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Le Monde.fr : Sur la fin de vie, la grande hésitation d’Emmanuel Macron

il y a 3 mois, par infosecusanté

Le Monde.fr : Sur la fin de vie, la grande hésitation d’Emmanuel Macron

Promesse de campagne sans cesse repoussée, un projet de loi sur l’aide à mourir devrait finalement être examiné après les européennes. Mais le chef de l’Etat redoute toujours que le sujet déchaîne les passions.

Par Claire Gatinois et Béatrice Jérôme 

Publié le 16/12/2023

Le dîner élyséen est sur le point de s’achever quand Emmanuel Macron rattrape les convives. « Il faut que je vous dise encore une chose », lâche le chef de l’Etat. Il est près de minuit ce mardi 12 décembre. Le président de la République a réuni la cheffe du gouvernement, Elisabeth Borne, et une poignée de ministres afin de décider de l’étroite voie de passage qui sera empruntée pour sortir le quinquennat de l’impasse après le vote, la veille, d’une motion de rejet qui bloque l’examen du projet de loi « immigration ».

L’heure est tardive mais le chef de l’Etat veut évoquer un dernier sujet, la fin de vie. La promesse de campagne va voir le jour. Mais « ce sera long », prévient-il depuis le salon des ambassadeurs. Le texte, déposé sur son bureau depuis plusieurs semaines, sera plutôt examiné après les élections européennes de juin. Les débats ne seront pas hâtés, prévient-il. L’aide active à mourir sera réservée aux patients atteints de « maladies incurables » ou souffrant de « douleurs extrêmes », poursuit le chef de l’Etat, précisant que le terme d’euthanasie, qui lui fait horreur, ne figurera nulle part dans le texte.

Avant toute chose, un travail doit être accompli pour renforcer, au cours du prochain semestre, les soins palliatifs. Il ne faut pas que le gouvernement puisse être accusé d’aider les plus souffrants à mourir pour libérer des lits d’hôpitaux, fait valoir le chef de l’Etat auprès de l’assistance. Silence.

« Tempête sous un crâne »
Emmanuel Macron avance, enfin, sur le dossier de la fin de vie. Mais soupèse chaque terme, refusant de déléguer à quiconque les derniers arbitrages. Faut-il autoriser un tiers à donner la mort à autrui ? Ou franchir le seul pas du suicide assisté ? Le sujet le hante. Fils de médecin, il n’ignore pas que la profession a pu par le passé, au cas par cas, abréger des agonies. Mais il mesure la farouche opposition, aujourd’hui, d’une partie des soignants à l’idée qu’une future loi définisse le geste létal comme un acte médical qu’ils seraient tenus d’accomplir au même titre qu’un soin.

A la tête d’une nation qu’il sait fracturée, le président de la République redoute que les discussions sur cette question, abordant le rapport de chacun à la mort, blessent les convictions des uns et déchaînent les passions des autres. « C’est tempête sous un crâne présidentiel », observe un conseiller d’Emmanuel Macron.

Ces questionnements sont alimentés par les discussions, fréquentes, que le locataire de l’Elysée mène avec les représentants des cultes. Le président de la République s’en est ouvert au pape François et converse régulièrement avec le grand rabbin de France, Haïm Korsia, qui avait, en 2018, comparé l’euthanasie à la Shoah, lors d’un dîner au palais présidentiel. Le chef religieux a radouci son propos mais incite Emmanuel Macron à la plus grande prudence. « Le sujet de la fin de vie ne peut être abordé que la main tremblante », souffle-t-il au Monde.

« Comme beaucoup de monde, il change d’avis »
Au sein du gouvernement, la voix des opposants s’immisce dans les discussions. La ministre des solidarités, Aurore Bergé, imagine l’Hémicycle s’enflammer lorsque le thème entrera dans l’atmosphère. « On ne peut pas tomber dans la caricature et dans l’hystérie », alerte l’ancienne cheffe de groupe des députés Renaissance à l’Assemblée, le 10 novembre, sur France 2, appelant à « respecter les opinions ». La « une » du Figaro, le 14 décembre, sur une première version du texte de loi, a déjà ulcéré une partie des soignants, irrités de découvrir qu’y figure l’« exception d’euthanasie ». Le quotidien met en exergue l’image maladroite de « secourisme inversé », utilisée dans le texte, pour décrire l’intervention – en cas d’« incident » lors de la prise du produit létal – du professionnel de santé appelé à « hâter le décès en limitant les souffrances ».

« Ce n’est pas un sujet médical, c’est un sujet de société », souligne l’ancien ministre de la santé François Braun, qui avait fait part de ses réserves dans un entretien au Monde, le 8 avril. Le président de la République lui avait alors recommandé d’aborder le sujet « mezza voce » mais n’avait fait aucune remarque en lisant les mots du locataire de l’Avenue de Ségur, qui expliquait qu’« accompagner la mort, ce n’est pas donner la mort ». « Je n’ai jamais réussi à savoir ce qu’il y avait dans la tête du président, confie l’ancien urgentiste. Comme beaucoup de monde, il change d’avis. »

Disciple de Paul Ricœur, le président de la République garde à l’esprit les mots du philosophe qui, en 2006, s’interrogeait dans la revue Esprit : « Pour qui la prolongation de la vie est-elle insupportable ? Pour le malade ? Pour l’environnement familial ? Qui a demandé la mort ? Que signifie cette demande ? » Il soulignait que « si l’éthique de détresse est confrontée à des situations où le choix n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le mal et le pire, même alors le législateur ne saurait donner sa caution ».

Les débats lui échappent
En dépit de ses tourments philosophiques, Emmanuel Macron jure, le 2 septembre 2022, à l’ancienne meneuse de revue Line Renaud, grande avocate de l’aide à mourir : « On le fera. » Et glisse, à la même époque, à l’ancien député macroniste Jean-Louis Touraine, auteur de Donner la vie, choisir sa mort (Erès, 2019) : « Je comprends ton impatience. »

La pandémie de Covid-19 l’a fait réfléchir. Profondément meurtri par le sort des personnes âgées enfermées en Ehpad, qui décèdent parfois dans la plus grande solitude, il décide d’inscrire la fin de vie à l’agenda sociétal de son second quinquennat. Dans son esprit, il ne s’agit pas alors d’ouvrir le droit à donner la mort. Mais le sujet est lancé, les débats lui échappent.

La ministre déléguée aux professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, nommée en juillet 2022, s’empare du dossier. Et confie avoir elle-même été confrontée, impuissante, à la détresse de sa mère, condamnée par un cancer du pancréas. Une convention citoyenne sur la fin de vie, chapeautée par le porte-parole du gouvernement et ancien ministre de la santé, Olivier Véran, mise en place en décembre 2022, rend ses conclusions au printemps suivant. Le résultat est sans ambiguïté : les citoyens veulent un droit à mourir.

« Procrastination présidentielle »
Agnès Firmin Le Bodo rédige un premier projet de loi qu’elle espère voir examiné avant la fin de l’été. « Oui, ça traîne un peu. Il faut un synonyme au mot euthanasie, qui ne plaît pas au président », souffle-t-elle devant Jean-Louis Touraine. L’académicien Erik Orsenna est chargé d’une commission pour échafauder un lexique de la fin de vie. Mais l’écrivain jette l’éponge au bout de quelques mois. « Les discussions sont devenues de plus en plus complexes. J’étais perdu. Et incompétent », confie l’Immortel, comme le surnomme Emmanuel Macron. En privé, Agnès Firmin Le Bodo souffle que personne n’a été vraiment capable « de trouver les mots justes », pressentant, dès l’automne, les hésitations du chef de l’Etat.

« C’est écœurant. Il y a eu une convention citoyenne. Et voilà. Comme Macron agit, Badinter n’aurait jamais fait l’abolition de la peine de mort », griffe l’ancien député européen Daniel Cohn-Bendit. « Je ne comprends pas cette procrastination présidentielle. Je ne vois pas d’attitude rationnelle. Emmanuel Macron va passer pour quelqu’un qui manque de courage et qui n’écoute pas la population ! », peste Jean-Louis Touraine, persuadé que le président de la République reculera encore, repoussant le sujet jusqu’à la fin de son mandat.

Claire Gatinois et Béatrice Jérôme