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Le Monde.fr : Crise de l’hôpital : le gouvernement va prolonger les médecins à diplôme étranger menacés de perdre leur poste

il y a 2 mois, par infosecusanté

Le Monde.fr : Crise de l’hôpital : le gouvernement va prolonger les médecins à diplôme étranger menacés de perdre leur poste

Quelque 2 000 à 3 000 praticiens qui n’avaient pas validé les épreuves de vérification des connaissances vont pouvoir continuer à exercer ces prochains mois, alors que de nombreux établissements s’inquiétaient de leur départ. Un simple report du problème, réagit le syndicat de ces praticiens.

Par Camille Stromboni

Publié le 22/01/2024
Alors que les hôpitaux manquent de « bras », quelque 2 000 à 3 000 praticiens à diplôme « hors Union européenne » exerçant en France vont-ils devoir quitter leur poste ? Face à cette perspective, le gouvernement a envoyé un signal positif, lundi 22 janvier. La question se faisait de plus en plus pressante ces dernières semaines, le régime dérogatoire, qui permettait jusque-là à ces « Padhue » − pour praticiens à diplôme étranger hors Union européenne, l’acronyme en vigueur − d’exercer sous divers statuts, s’étant arrêté au 31 décembre 2023.

Engagement a été pris, lundi, par la nouvelle ministre de la santé, Catherine Vautrin, de les « autoriser à continuer de travailler pendant les mois à venir ». Des « garanties » pour « sécuriser la situation des Padhue », concrétisant les paroles d’Emmanuel Macron, lors de sa conférence de presse du mardi 16 janvier, de « régulariser nombre de médecins étrangers qui tiennent parfois à bout de bras [les] services de soin », et qui sont laissés « dans une précarité administrative complètement inefficace ».

Une centaine de ces médecins avaient manifesté, jeudi 18 janvier, devant le ministère de la santé pour dénoncer le risque d’un « licenciement massif », à l’appel de syndicats dont la CGT et FO, ou encore du Syndicat national des Padhue (Snpadhue).

La question est technique, les procédures, complexes, et les statuts peuvent différer d’un établissement à l’autre. A ceux qui n’ont pas validé les épreuves de vérification des connaissances (EVC) − seule procédure permettant désormais d’obtenir l’autorisation d’exercice pleine et entière en France −, le gouvernement promet ainsi une nouvelle solution provisoire.

Ils pourront continuer d’exercer en France, le temps de voir publiés les décrets d’application de la loi Valletoux visant à améliorer l’accès aux soins du 27 décembre 2023. Ceux-ci doivent permettre à ces Padhue de disposer d’un délai supplémentaire pour repasser les prochaines épreuves. Leur nombre précis n’est pas communiqué.

« L’équation est impossible »
En dehors de ces 2 000 à 3 000 médecins dans une situation préoccupante, selon les syndicats de Padhue, le ministère de la santé a aussi fait des promesses aux lauréats des EVC 2023, soit environ 2 700 médecins sur près de 6 900 candidats ayant passé les épreuves : ils seront « maintenus dans leurs fonctions et dans leurs structures actuelles », pour « garantir la continuité des soins et ne pas désorganiser les services hospitaliers dans des zones souvent en tension ». Cela vaut pour ceux exerçant déjà sur le territoire national.

Derrière l’acronyme de Padhue, les situations humaines sont aussi nombreuses qu’inextricables sur le plan administratif, avec une réforme des procédures, déployée depuis 2022, qui n’a cessé de donner lieu à des mécontentements. Urgentistes, psychiatres, gynécologues, généralistes… « Il y a 2 000 à 3 000 Padhue en poste qui n’ont pas obtenu les EVC, mais qui travaillent depuis au moins quatre ans, évalue l’anesthésiste Mehdi Zebentout, porte-parole du Snpadhue.

« Vous travaillez depuis des années, vous êtes payés trois à quatre fois moins qu’un médecin français, et on exige de vous la validation d’EVC avec un nombre de postes très limités et des candidats venant de partout… L’équation est impossible », tacle ce médecin, lui-même ancien Padhue, qui cite l’exemple de la pharmacie, avec 150 praticiens en exercice… pour seulement six postes ouverts au concours 2023. Il réclame une « procédure particulière » pour les praticiens déjà installés, s’inquiétant de voir le gouvernement ne faire que « reporter » le problème.

En parlant de « régularisation », le chef de l’Etat a fait référence à des difficultés encore plus fortes : « Depuis le 1er janvier, des centaines de médecins se retrouvent “sans papiers”, avec des obligations de quitter le territoire français, reprend Mehdi Zebentout. Certaines préfectures commencent même à exiger les EVC pour des médecins qui ont encore un contrat de travail avec un hôpital… »

« Risque de voir certaines activités s’arrêter »
Dans les rangs hospitaliers, cela fait aussi des semaines qu’on tire le signal d’alarme. La situation est « indigne » de la France, pour l’Action Praticiens Hôpital. « Ces praticiens, exerçant en France depuis de nombreuses années sous des statuts précaires, et [qui sont] souvent sous-payés, ont rempli leurs missions de soin et sont intégrés dans nos hôpitaux, nos villes, notre pays », écrivait le syndicat le jeudi 18 janvier, en demandant un moratoire de six mois.

A la Fédération des hôpitaux de France (FHF), Zaynab Riet, déléguée générale, évoque le « risque de mettre des services en difficulté », par exemple en Ile-de-France, aux urgences et en psychiatrie. « Nous avons des praticiens reconnus par leurs pairs, leurs chefs de service, et qui n’ont pas obtenu les EVC : peut-être faut-il adapter les procédures, ou au moins poser la question », interroge Mme Riet. La FHF réclame aussi un recensement précis des situations.

Cela fait partie des « grands sujets de préoccupation », reconnaît David Piney, vice-président de la conférence des présidents de commission médicale d’établissement de centres hospitaliers. « Nous avons beaucoup d’inquiétudes sur les départs potentiels de praticiens, avec, dans certains services très tendus, le risque de voir certaines activités s’arrêter », souligne-t-il.

Si le gouvernement a bougé, la solution apportée est loin de répondre à toutes les questions posées : elle prolonge des statuts précaires et une rémunération plus faible, tandis que les modalités de la procédure des EVC continuent de faire débat. « On ne sait même pas de combien de postes on dispose », déplore Mathias Wargon, chef de service des urgences de l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), qui espérait pouvoir recruter sept médecins − quatre urgentistes et trois généralistes.

La liste des postes ouverts par établissement n’est toujours pas connue. Le « casse-tête » reste entier aussi avec certains jurys, comme en médecine générale, qui exigent des stages supplémentaires pour certains lauréats, « sans qu’on sache sur quels critères, et alors qu’il n’y a pas de places de stage… », ajoute-t-il.

Camille Stromboni