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Le Monde.fr : Retraites les multiples inconnues du projet Fillon sur les retraites

Mars 2017, par infosecusanté

Retraites : les multiples inconnues du projet Fillon sur les retraites

LE MONDE

14.03.2017

Par Bertrand Bissuel et Patrick Roger

L’ancien premier ministre veut porter à 65 ans l’âge de départ mais occulte de nombreuses questions.

François Fillon, pendant la présentation de son programme, à Paris, le 13 mars.
C’est une des mesures les plus explosives du programme de François Fillon. Elle consiste à passer l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 65 ans. Ce mot d’ordre simple, qui vise à en finir avec les « délires socialistes », soulève toutefois de multiples questions auxquelles ni lui ni son entourage n’apportent de réponse – ou alors seulement partiellement.

Première interrogation : le tempo de la réforme. Jusqu’à présent, M. Fillon avait indiqué que l’objectif des 65 ans devrait être atteint à la fin du quinquennat. Il infléchit, à présent, le mouvement. La montée en charge, explique-t-il dans son entretien aux Echos du lundi 13 mars, s’effectuera « au même rythme que ce qui s’est passé pour le passage de 60 à 62 ans, ce qui permettra d’atteindre 65 ans un peu après la fin du mandat ».

Initialement, la réforme des retraites de 2010 prévoyait de faire passer progressivement l’âge légal du départ de 60 à 62 ans en 2018. La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012 a avancé cet objectif d’un an, en 2017. En disant qu’il souhaite atteindre 65 ans « un peu après la fin du mandat », en 2022, M. Fillon reste dans le flou. Or cela conditionne le rythme d’allongement de la durée de cotisation.

Le candidat de la droite laisse en suspens un autre aspect du dossier : qu’en sera-t-il de l’autre « borne » déterminant le droit à la retraite à taux plein, sans décote ? Actuellement, celle-ci est fixée à 67 ans et, traditionnellement, l’écart entre les deux bornes est de cinq ans. Entend-il pousser ce curseur jusqu’à 70 ans ? Le sujet n’est pas abordé clairement par M. Fillon.

Ambiguïté sur la pénibilité

La même imprécision règne sur l’alignement des régimes de retraite du public et du privé. S’agit-il d’harmoniser les règles de calcul des pensions des fonctionnaires (qui prennent en compte les six derniers mois de salaire) et celles du privé (qui retiennent les vingt-cinq meilleures années) ? Les primes des agents publics seront-elles incluses en totalité (alors qu’elles ne le sont que très partiellement, aujourd’hui, dans le cadre d’un « régime additionnel ») ? Quel sera le sort des fonctionnaires relevant de la catégorie « active », qui ont le droit de partir plus tôt à la retraite, car leur métier est physiquement éprouvant ou dangereux (policiers, égoutiers, etc.) ? Et les régimes spéciaux (cheminots, etc.) ?

Le candidat entretient également l’ambiguïté s’agissant de la prise en compte de la pénibilité. D’une part, il assure que « les dispositifs permettant de partir plus tôt que l’âge légal seront maintenus » ; de l’autre, il défend l’abrogation du compte personnel de prévention de la pénibilité. Si cet outil est supprimé, qu’advient-il des points accumulés par les personnes qui en bénéficient ? Fin 2016, elles étaient un peu plus de 500 000 dans cette situation et leur nombre est appelé à s’accroître.

Une approche « purement comptable »

De plus, le vainqueur de la primaire à droite ne cache pas vouloir encourager le développement de la retraite par capitalisation, mais sans détailler ses intentions. Et il justifie son projet au nom des équilibres financiers. Y a-t-il péril en la demeure ? « Si l’on se fie aux prévisions du Conseil d’orientation des retraites, il apparaît que, avec une croissance de 1,5 % et un taux de chômage de l’ordre de 9 %, les besoins de financement du système ne seront pas entièrement couverts, à l’horizon 2030, et il faudrait donc un surcroît de recettes correspondant à l’allongement d’une année de cotisations », observe Frédéric Bizard, économiste et auteur de Protection sociale, pour un nouveau modèle (Dunod, 352 pages, 24 euros).

Toutefois, ajoute-t-il, l’approche de M. Fillon est « purement comptable » et ne s’avère « pas satisfaisante car elle revient à maintenir un dispositif massifié et rigide, qui est de moins en moins adapté aux évolutions de notre économie et aux discontinuités croissantes des parcours professionnels ». « Pour cette raison, la proposition consistant à repousser l’âge légal de départ à la retraite me paraît être à côté de la plaque, tranche M. Bizard. Qui plus est, pousser ce curseur à 65 ans est très ambitieux sur un plan politique. »

Enfin, le programme de M. Fillon est peu disert sur le sort des seniors, alors même qu’il s’agit d’un sujet crucial, puisque « la part des personnes de 55 à 64 ans qui ont une activité est nettement inférieure à celle de plusieurs de nos voisins », rappelle M. Bizard. « Parmi les pays européens où l’âge effectif de départ à la retraite a été repoussé, bon nombre d’entre eux ont engagé une réflexion sur l’emploi des seniors, en y associant les entreprises », souligne Bruno Palier, codirecteur du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques.

Ainsi, la Suède mène « une politique de formation tout au long de la carrière », poursuit-il : « Environ un tiers des actifs suivent une formation, chaque année. En France, en revanche, les salariés qui franchissent la barre des 45 ans se voient fréquemment refuser des formations car ils sont considérés comme trop vieux. » Conclusion : si la borne des 65 ans est posée « sans aucun accompagnement, les premières victimes d’une telle décision seront les personnes peu formées et les chômeurs de longue durée », met en garde M. Palier.

De même, complète-t-il, il convient d’agir sur l’amélioration des conditions de travail : « Notre pays l’a fait, à travers le compte pénibilité, mais cet outil n’insiste pas assez sur les mesures de prévention permettant de réduire les tâches éprouvantes. »

Le candidat de droite entend-il s’attaquer à la résolution de tous ces problèmes ? Réponse des équipes de M. Fillon : « Cela fera partie de la négociation avec les partenaires sociaux. » Mieux vaut, dans ce cas, ne pas promettre que la réforme sera engagée « dans les trois premiers mois » suivant l’élection présidentielle.

Patrick Roger
Journaliste au Monde Suivre Aller sur la page de ce journaliste

Bertrand Bissuel
Journaliste au Monde