Emploi, chômage, précarité

Médiapart - Les plus précaires et les plus âgés vont payer la réforme de l’assurance-chômage

Mars 2017, par Info santé sécu social

Par Rachida El Azzouzi

Neuf mois après un tonitruant fiasco, le patronat et quatre syndicats sur cinq ont abouti à un accord pour réformer le régime de l’assurance-chômage. Il prévoit près de 1,2 milliard d’euros d’économies.

« Un accord, c’est un compromis et un compromis, ce n’est jamais satisfaisant ni pour les uns, ni pour les autres. » Michel Beaugas, le négociateur de Force ouvrière, n’applaudit pas à deux mains l’accord de principe (que Mediapart publie ci-dessous) arraché in extremis ce mardi 28 mars en soirée, entre les syndicats – à l’exception de la CGT – et le patronat sur une nouvelle convention d’assurance-chômage. Michel Beaugas attend le feu vert de son comité confédéral pour signer, tout en étant conscient que ce texte rogne sur les droits de nombreux demandeurs d’emploi, notamment les plus de 50 ans, les seniors, « même si on a amoindri les coups ». Mais « un compromis était impératif pour sauver le paritarisme de gestion. Il fallait que les partenaires sociaux démontrent qu’ils savent réformer et gérer », justifie le
Avec près de 1,2 milliard d’euros d’économies et de recettes nouvelles pour le régime de l’Unedic, l’organisme de gestion de l’assurance-chômage, qui affiche une dette de 30 milliards d’euros et perd environ 4 milliards d’euros par an, syndicats et patronat ont montré qu’ils étaient capables de tenir l’équilibre budgétaire et les réformes. Quelque 891 millions d’euros d’économies vont être réalisés sur les droits des chômeurs, et les cotisations patronales permettront 270 millions de recettes supplémentaires. Un signal fort envoyé à deux candidats à l’élection présidentielle en particulier, qui veulent en finir avec le paritarisme s’ils accèdent à l’Élysée : Emmanuel Macron, qui veut nationaliser l’Unedic, et François Fillon, qui menace de reprendre la syndicaliste.
main si les économies ne sont pas drastiques. Depuis des semaines, tous deux ont mis syndicats et patronat sous pression au point que le Medef, malgré le fiasco tonitruant de juin dernier et sa ligne rouge « pas de hausse des cotisations patronales », a réussi à dépasser ses clivages internes pour rouvrir la négociation et en faire l’une des plus express de ces dernières années.

« Nous nous réjouissons que le dialogue social ait montré une fois de plus son efficacité », a réagi le négociateur du Medef, Alexandre Saubot. Le président de l’influente Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM), chef du pôle social du Medef et candidat à la succession de Pierre Gattaz (qui s’en va en juillet 2018), a des raisons de se réjouir même s’il n’a pas fini d’affronter des frondes dans son camp, de nombreux secteurs étant vent debout contre la maigre concession du patronat aux syndicats sur les contrats courts. Le patronat a accepté de maintenir pendant dix-huit mois la surcotisation des CDD d’usage, qu’il voulait supprimer immédiatement et il a aussi accepté une « contribution exceptionnelle temporaire » de 0,05 % pour tous les contrats, pour une durée de trente-six mois maximum. Cette contribution pourra être suspendue par un comité de pilotage qui se réunira tous les ans, en fonction des résultats des négociations sur les contrats courts dans les branches. Elle sera compensée par une baisse des cotisations à l’AGS (Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés), l’organisme patronal qui assure le paiement des salaires et indemnités des entreprises en difficulté.

Jacques Chanut, le président d’une autre puissante fédération, celle du bâtiment (FFB), n’a pas tardé à réactiver la guerre de succession qui se joue déjà au Medef en démissionnant du pôle social de l’organisation patronale avant même l’accord de principe. « Où est la cohérence pour le Medef dans son combat pour juguler le coût du travail puisque dans le champ paritaire nous acceptons d’augmenter les cotisations ? », fustige-t-il dans une lettre adressée à Pierre Gattaz, publiée dans Le Monde 3. Il dénonce « un paritarisme de connivence » et le franchissement de la « ligne rouge » qu’avait fixée Gattaz. Rappelons que le patronat s’en tire très bien. On est très loin du bonus-malus réclamé par les syndicats en matière de taxation des contrats courts. Et le texte n’est absolument pas contraignant avec les branches les plus gourmandes en contrats courts, comme l’hôtellerie-restauration, le spectacle, les services à la personne et les métiers de l’événementiel. Il les invite seulement à négocier pour « réguler » leur utilisation sans aucune obligation de faire aboutir ces négociations.

Si des dents grincent au Medef, l’accord a été salué par les différents acteurs du compromis. Y compris les acteurs indirects tels que Matignon qui, selon nos informations, a dû faire pression sur Gattaz, mardi, la négociation bloquant comme attendu sur la question des contrats courts, ou encore les patrons des centrales CFDT et FO, Laurent Berger et Jean-Claude Mailly, qui ont appelé Gattaz à plusieurs reprises pour dénouer les débats. « Près de 60 ans après la création du régime de l’assurance-chômage, le dénouement de cette négociation témoigne de la capacité de notre modèle social à faire face aux transformations économiques en cours », a applaudi François Hollande dans un communiqué félicitant les partenaires sociaux « d’assumer leurs responsabilités dans la gestion des régimes paritaires, y compris face à des décisions difficiles ». Bernard Cazeneuve, le premier ministre, a renchéri et plébiscité « une nouvelle importante pour les salariés et pour les demandeurs d’emploi ».

C’est tout sauf le point de vue de la CGT, qui avait prévenu par la voix de son négociateur, Denis Gravouil, qu’elle ne signerait pas ce texte qu’elle juge « sexiste, anti-travailleurs pauvres et anti-vieux ». La centrale de Montreuil dénonce « 900 millions d’euros d’économies sur le dos des chômeurs ». Comme décrypté ici et là par Mediapart, cette nouvelle convention n’est pas sans reculs.

Premières victimes : les travailleurs précaires, chômeurs de catégorie B ou C, dont le nombre ne cesse de croître (plus de deux millions de personnes aujourd’hui contre 500 000 il y a dix ans), c’est-à-dire les travailleurs à l’activité réduite (qui travaillent les uns plus, les autres moins de 78 heures par mois). Le patronat avait dans le viseur ces personnes qui, « à salaire horaire équivalent, alternent courtes périodes de chômage et courtes périodes d’emploi » pour, d’après lui, « un revenu global supérieur à celui d’une personne en CDI à temps plein ». Contrairement aux ambitions initiales du Medef, l’accord ne durcit pas les conditions minimales d’affiliation à l’assurance-chômage. Il les améliore même légèrement. Elles sont fixées à 610 heures travaillées ou 88 jours ouvrés contre 122 jours calendaires actuellement. « Les seuls qui vont y gagner sont les temps partiels en CDD très courts qui n’arrivent pas à faire 122 jours calendaires et qui vont pouvoir ouvrir plus tôt des droits à indemnisation avec 88 jours travaillés », d’après Denis Gravouil, de la CGT. En revanche, la modification du mode de calcul de l’indemnisation des personnes exerçant des activités réduites ou travaillant peu de jours va permettre, elle, 400 millions d’euros d’économies avec des conséquences sur les plus précaires. « Cela va entraîner des baisses jusqu’à 200 euros par mois dans certains cas pour des salariés en CDD, en intérim ou en temps partiel, au SMIC », d’après la CGT. « On a réduit les coups [portés aux droits de demandeurs d’emploi], veut nuancer Michel Beaugas (Force ouvrière). 54 000 personnes verront leurs revenus baisser de plus de 10 % avec le changement du mode de calcul. A contrario, 34 000 personnes pourront ouvrir des droits avec ces nouvelles conditions d’affiliation. »

Autres grandes victimes : les seniors. Le patronat en a fait un de ses chevaux de bataille de longue date : repousser le plus tard possible l’âge à partir duquel un « senior » demandeur d’emploi obtient 36 mois d’indemnités. Il ose même parler dans le texte en préambule « de sécurisation de la situation des seniors face au risque chômage » alors qu’il s’agit ni plus ni moins d’une baisse de leurs droits. En France, les chômeurs de plus de 50 ans (soit un quart des chômeurs) ont droit à 36 mois d’allocations chômage, contre 24 mois maximum pour les autres actifs. Désormais, l’âge d’entrée dans la filière senior est reporté à 55 ans au lieu de 50 ans. Avec un palier intermédiaire. Entre 53 et 55 ans, la durée maximale va passer à 30 mois, avec la possibilité d’être indemnisé jusqu’à 6 mois supplémentaires si le chômeur se forme. Les chômeurs de 50 à 55 ans voulant entrer en formation bénéficieront d’un abondement de leur compte personnel de formation (CPF) pouvant aller jusqu’à 500 heures. « De 50 à 52 ans, 40 000 chômeurs perdent 12 mois, de 52 à 55 ans 40 000 autres perdent six mois. En “compensation”, un hypothétique abondement du droit à la formation de 3 mois doit être mis en place… plus tard ! », dénonce la CGT.

Le gouvernement compte agréer l’accord « dans les prochaines semaines ». Une gageure, de l’avis des syndicats et du patronat. « Ce sera plutôt au prochain président, compte tenu de délais techniques incompressibles. Les services de l’Unedic ont six semaines à deux mois pour rédiger la nouvelle convention qui n’entrera pas en application avant septembre voire décembre car Pôle Emploi demande du temps pour mettre en œuvre les nouvelles mesures. On reste donc un peu suspendu à cette élection présidentielle. D’où la nécessité d’être les plus nombreux possible à signer le texte pour lui donner du poids », explique Michel Beaugas.