Emploi, chômage, précarité

Alternatives Economiques : Négociations sur l’assurance chômage : les dés sont-ils pipés ?

Août 2023, par infosecusanté

Alternatives Economiques : Négociations sur l’assurance chômage : les dés sont-ils pipés ?

LE 30 AOÛT 2023

Les syndicats s’apprêtent à négocier une nouvelle convention d’assurance chômage, mais le gouvernement leur impose de ne pas toucher aux précédentes réformes tout en ponctionnant une partie des excédents de l’Unédic.

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Par Sandrine Foulon

A force de reprises en main de l’Etat sur les conventions qui fixent les droits des demandeurs d’emploi, on en avait presque oublié que c’est d’abord une affaire de partenaires sociaux. Gestionnaires paritaires de l’Unédic, ils doivent entamer début septembre de nouvelles négociations sur les règles de l’assurance chômage pour une durée de deux à trois ans.
Le gouvernement leur a envoyé la traditionnelle lettre de cadrage le 1er août et c’est dans ce cadre très corseté que les organisations syndicales et patronales sont censées trouver un accord avant le 15 novembre. Faute de compromis, ou si le texte signé ne correspond pas aux attentes de l’exécutif, celui-ci est libre de ne pas l’agréer et de déterminer les règles lui-même.
Il ne s’en est pas privé lors des dernières réformes, imposant un durcissement inédit et drastique des modalités d’indemnisation des chômeurs. Entamées en 2018, les négociations entre syndicats avaient buté sur deux objectifs intenables : réaliser un plan d’économie de plus de 3 milliards d’euros sur trois ans et réguler les contrats courts.
Ce fut l’occasion pour le gouvernement de reprendre le gouvernail afin de restreindre les conditions d’éligibilité aux allocations, de revoir le calcul du salaire journalier de référence (SJR) – avec pour conséquence la forte baisse des allocations des demandeurs d’emploi qui alternent périodes de travail et de chômage – et d’introduire la dégressivité du montant des allocations pour les cadres et un bonus-malus pour les employeurs qui abusent des CDD.
Dans sa lancée, le gouvernement a encore resserré la vis et fait voter en décembre 2022 une loi qui lui permet, par décret, de moduler les règles d’indemnisation selon la conjoncture. Depuis février dernier, ce principe, dit de « contracyclicité », réduit la durée des allocations d’un quart dès lors que le taux de chômage national passe au vert, c’est-à-dire sous la barre des 9 %. Inversement, il crée un complément de fin de droits de 25 % lorsque la situation de l’emploi se dégrade.
Ligne de crête
Dans de telles conditions, difficile pour les négociateurs de trouver des marges de manœuvre.

« Cette négo est un carcan, reconnaît Denis Gravouil, en charge du dossier assurance chômage pour la CGT. On ne peut pas toucher au SJR, au niveau de cotisation, à la contracyclicité… On va y aller pour gratter des droits pour les demandeurs d’emploi mais il n’est pas dit qu’on respecte la lettre de cadrage. »
Michel Beaugas, son alter ego de Force ouvrière, se rendra également à la table des négociations et tentera de trouver des interstices pour améliorer le sort des plus précaires, comme les saisonniers. « On pourrait imaginer que dans certaines situations, les durées de cotisation soient plus favorables », explique-t-il. Il s’agirait ainsi de revenir sur la règle qui a modifié de quatre à six mois la période de travail exigée pour avoir droit à une indemnisation.

« On ne peut pas revenir sur la contracyclicité puisque ce principe est inscrit dans le Code du travail. Un accord interprofessionnel ne peut pas détricoter la loi. En revanche, le Code du travail ne dit rien sur les niveaux de taux de chômage qui déclenchent un resserrement des règles d’indemnisation. Ce qui nous permettrait de jouer sur les curseurs », renchérit le secrétaire confédéral.
Trois points de la lettre de cadrage pourraient laisser penser que les partenaires sociaux disposent de petites ouvertures. Ils sont ainsi invités à « réduire certaines difficultés d’accès à l’assurance chômage » concernant les démissionnaires notamment, et à « corriger les différences effectives d’incitation de retour à l’emploi selon le niveau de rémunération ». Le principe de dégressivité selon lequel le montant des allocations de toutes celles et ceux qui percevaient plus de 4 500 euros bruts diminue de 30 % au bout de six mois, quelle que soit leur capacité réelle à retrouver un emploi, pourrait être revu.
Ils doivent enfin « tirer les conséquences de l’allongement de la durée d’activité sur les règles d’indemnisation des seniors et favoriser leur retour à l’emploi ». Avec le passage de l’âge légal de la retraite de 62 à 64 ans, la question des seniors demandeurs d’emploi est en effet cruciale.

« Ils subissent une double peine, rappelle Denis Gravouil. Non seulement la durée maximale d’indemnisation est passée de 36 mois à 27 mois pour les plus de 55 ans, à cause de la contracyclicité, mais ils ne sont plus assurés de bénéficier du maintien de leurs droits jusqu’à l’âge de la retraite à taux plein. »
Un chômeur qui atteint l’âge légal de la retraite sans avoir tous ses trimestres cotisés perçoit ses allocations-chômage jusqu’à l’âge du taux plein. Problème, de nombreux seniors risquent d’arriver en fin de droits bien avant de fêter leurs 64 ans. « Il faut à tout prix éviter que les seniors soient encore plus nombreux à se retrouver dans ce sas de précarité », s’alarme le cégétiste.
Mais cette épineuse question divise les partenaires sociaux. « La situation a changé. Dans le contexte démographique que nous vivons, avec des pénuries de main-d’œuvre plus importantes que par le passé, il faut envoyer un signal aux entreprises : les pré-retraites Unédic, c’est fini ! », avance de son côté Eric Chevée, le vice-président de la CPME en charge des affaires sociales. Priver les seniors d’allocations incitera-t-il les employeurs à les garder en emploi ? Les syndicats de salariés ne sont pas prêtes à prendre le pari.
Hold up sur les excédents
Sur nombre de sujets, les centrales s’attendent à négocier pied à pied. « Dès qu’on ouvre une porte, il faut qu’on en ferme une autre, et c’est surtout à cause du cadrage financier », résume Michel Beaugas. La trajectoire financière à respecter ne laisse guère d’espace aux négociateurs et pas plus de doutes sur les desseins du pouvoir : « une part majoritaire des excédents [doit être] affectée au désendettement du régime » et « une part minoritaire [doit être] transférée au financement de la politique du plein-emploi ».

« L’objectif d’une réduction de moitié de la dette d’ici 2025 (donc passer de 60 à 30 milliards d’euros) referme les possibilités de revoir certains paramètres », écrit l’économiste Bruno Coquet dans un billet de blog. D’autant plus qu’avant toute discussion, l’Unédic se voit taxée de près de 9 milliards d’ici 2025 : un prélèvement obligatoire de près de 50 % sur les 18,3 milliards d’excédents que l’Unédic prévoyait de dégager d’ici 2025. Une belle taxe sur les superprofits », dénonce-t-il.
Loin de la philosophie de l’assurance chômage qui est de garantir un revenu aux personnes privées involontairement d’emploi, l’Unédic est désormais priée de participer à l’effort de guerre. Elle devra contribuer au financement de France Compétences, dont la mission est notamment de franchir le seuil d’un million de nouveaux apprentis.
Elle devra également abonder le budget de France Travail dans sa mission pour l’accès à l’emploi. Pas moins de 12 milliards devraient être consacrés aux politiques de l’emploi à l’horizon 2027. Quant à la participation de l’Unédic dans le financement de Pôle emploi, elle passera de 11 % aujourd’hui à 13 % dans les deux années à venir.
Ce « hold up » sur les recettes de l’Unédic, selon l’expression des syndicats, ne réjouit pas non plus le camp patronal. Le nouveau patron du Medef, Patrick Martin, s’est appuyé sur les excédents pour plaider la baisse de la cotisation patronale, qui est à ce jour de 4,05 %. Du côté des petites entreprises, on estime que ce soutien financier aux politiques d’emploi nécessiterait de revoir la gouvernance de France Compétences et de France Travail, largement pilotées par l’Etat.

« Il faudrait que les partenaires sociaux aient toute leur place dans ces instances, et que des décisions soient au préalable prises dans ce sens, mais le calendrier imposé par le gouvernement sur l’assurance chômage ne nous en laisse pas le temps », avance Eric Chevée, le négociateur de la CPME. Il faut peut-être davantage s’attendre à un accord technique sur l’assurance chômage qu’à un accord qui change fondamentalement les règles pour les demandeurs d’emploi. L’enjeu derrière cette négociation est de savoir si on veut rester dans le paritarisme ou pas », diagnostique-t-il.
Même crainte du côté de FO : « Si nous n’aboutissons pas à un accord, c’est la fin du paritarisme. L’Etat prendra quasi définitivement la main. Ce sera comme pour la Sécu, nous aurons un strapontin. Nous pourrons donner notre avis et c’est tout », redoute Michel Beaugas.
Après l’épisode désastreux de la bataille des retraites, le gouvernement pouvait donner le sentiment de vouloir recoller les morceaux avec les syndicats et de leur laisser du grain à moudre. Mais cette intention résiste mal à la nécessité de trouver de nouvelles recettes. La négociation pourrait alors se déplacer sur d’autres terrains que celui de la protection des droits des chômeurs. L’exécutif fait main basse sur les excédents de l’assurance chômage, les organisations syndicales et patronales jouent, elles, l’avenir du paritarisme.

Sandrine Foulon