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Le Monde.fr : Assurance-chômage : le projet de réforme de Gabriel Attal attaqué dans la majorité

il y a 3 jours, par infosecusanté

Le Monde.fr : Assurance-chômage : le projet de réforme de Gabriel Attal attaqué dans la majorité

Le premier ministre a défendu sa volonté de réduire les droits des demandeurs d’emploi, mardi, devant les députés macronistes. Plusieurs d’entre eux, parmi les plus influents, contestent le bien-fondé d’un nouveau tour de vis.

Par Thibaud Métais

Publié le 03/04/2024

Le projet de réforme de l’assurance-chômage fait tanguer la majorité. Quatre mois après les débats sur la loi sur l’immigration qui avaient divisé les élus macronistes, plusieurs députés du camp présidentiel font à nouveau entendre une voix dissonante, cette fois-ci au sujet de la réduction des droits des demandeurs d’emploi annoncée par le premier ministre, Gabriel Attal.

La plupart des critiques viennent d’élus de la majorité classés à l’aile gauche de la majorité. C’est notamment le cas de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui a appelé le gouvernement à temporiser, mardi 2 avril. Rappelant que le gouvernement a plusieurs fois « réformé l’assurance-chômage » et a « déjà réduit la durée d’indemnisation », elle a souligné sur Franceinfo qu’il fallait « évaluer » ces réformes avant d’en envisager une nouvelle. Deux jours plus tôt, l’ex-ministre des transports, Clément Beaune, s’était dit « prudent » face à cette nouvelle réforme, alertant sur le risque de précariser les plus fragiles « si on allait vers des paramètres qui sont trop durs ».

Gabriel Attal a confirmé la préparation d’un nouveau tour de vis pour les chômeurs lors d’un entretien au « 20 heures » de TF1, mercredi 27 mars. Une hypothèse qui est dans les cartons de l’exécutif depuis la fin 2023. Le locataire de Matignon a annoncé qu’« une vraie réforme globale de l’assurance-chômage » serait élaborée d’ici « à l’été », « pour qu’elle puisse entrer en vigueur à l’automne ». Cela serait la quatrième depuis qu’Emmanuel Macron est arrivé à l’Elysée, en 2017.

Tout en indiquant qu’un « document de cadrage » sera envoyé aux partenaires sociaux – normalement chargés de définir les règles d’indemnisation – pour baliser la négociation entre patronat et syndicats, le premier ministre a évoqué les pistes envisagées par l’exécutif : réduction de la durée d’indemnisation, augmentation de la durée d’affiliation (le temps de travail nécessaire pour ouvrir des droits au chômage) ou baisse du montant de l’allocation.

Après les réformes de 2018, 2019 et 2023, « il n’est pas forcément de bonne méthode de réformer aussi rapidement, à nouveau, un point majeur sans qu’on ait pu regarder les effets produits par la précédente réforme », a souligné Yaël Braun-Pivet, mardi.

« Parvenir au plein-emploi »
Conscient des remous provoqués dans les rangs de la majorité par ses déclarations, Gabriel Attal est venu justifier son projet lors de la réunion hebdomadaire du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale, mardi 2 avril au matin. Le chef du gouvernement a ainsi défendu une réforme devant « inciter au travail », sans avoir nécessairement pour but de faire des économies. Une réponse aux critiques du député Renaissance de la Vienne Sacha Houlié, qui avait jugé, dimanche 31 mars, sur le plateau du « Grand jury » RTL-Le Figaro-M6, que la « motivation » de la réforme « n’est pas le retour à l’emploi », mais « une mesure d’économies ». « Est-ce que je pense qu’il faut faire une mesure d’économies sur les chômeurs aujourd’hui ? Je ne le pense pas », a ajouté le président de la commission des lois, figure de l’aile gauche de la majorité.

« Le seul qui parle de mesure d’économies, c’est toi Sacha, a rétorqué le premier ministre, mardi. Ni moi ni les membres du gouvernement n’ont utilisé ces mots. » Pas sûr cependant que sa réponse dissipe tous les doutes, tant la réforme a d’abord été évoquée et souhaitée par le ministre de l’économie, dès fin 2023. « Ce n’est pas une réforme financière, a toutefois assuré Bruno Le Maire, samedi, à Ouest-France. Nous ne la faisons pas pour faire des économies, mais pour parvenir au plein-emploi, c’est-à-dire 5 % de taux de chômage. »

Il n’empêche que l’urgence avec laquelle l’exécutif tient à réformer le régime intervient dans un contexte de restriction budgétaire, alors que la France a accusé un déficit de 5,5 % du produit intérieur brut en 2023 – contre 4,9 % initialement prévu. De quoi faire craindre à l’exécutif une éventuelle dégradation de la note de la dette du pays par les deux agences de notation, Fitch et Moody’s, qui doivent rendre leur verdict le 26 avril.

Mardi, lors de la séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, le député Renaissance des Français de l’étranger Marc Ferracci a redit que la réforme « ne doit pas avoir pour but premier de faire des économies, mais d’améliorer le niveau et la qualité de l’emploi », invitant le gouvernement à proposer une « réforme efficace et juste ». « C’est grâce à l’emploi que nous pourrons désendetter le pays », avait avancé Gabriel Attal le matin même, jurant ne pas s’en prendre aux chômeurs, « mais à un système qui a conduit au chômage de masse ».

Une entorse à la contracyclicité
Plusieurs députés s’inquiètent par ailleurs que la nouvelle réforme remette en cause une promesse de campagne du président de la République. « A chaque fois que la conjoncture s’améliore, on doit avoir des règles qui réincitent encore davantage au retour à l’emploi, déclarait Emmanuel Macron en mars 2022. A chaque fois que la conjoncture se dégrade, on doit mieux protéger celles et ceux qui tombent dans une situation de chômage. »

La réforme adoptée fin 2022 a donc instauré le principe de « contracyclicité » : un durcissement des conditions d’indemnisations des chômeurs lorsque le marché du travail se porte bien et un assouplissement quand il se dégrade, plus précisément lorsque le taux de chômage passe au-dessus de 9 %. Mis en œuvre en février 2023, alors que le chômage était à son plus bas, à 7,1 %, le dispositif a conduit à une réduction de 25 % de la durée d’indemnisation, passant de vingt-quatre à dix-huit mois pour les moins de 53 ans. Mais alors que le chômage remonte depuis un an, en s’élevant désormais à 7,5 %, le gouvernement envisage un nouveau durcissement des règles.

« Est-ce qu’il faut une nouvelle réforme sur ce sujet alors même qu’on constate que le chômage ne baisse plus ? », s’est ainsi interrogé Sacha Houlié. Mais le premier ministre ne compte pas changer de ligne. « Ce n’est pas parce que le chômage augmente qu’il faut arrêter de mener des réformes structurelles », précise-t-on dans son entourage. Un conseiller de l’exécutif assure que le projet de réforme ne remet pas en cause la contracyclicité : « La modulation doit s’appliquer selon de nouvelles règles, on ne l’abandonne pas, on la revoit. »

« On rate la cible »
Des voix s’élèvent plus généralement contre le principe même d’une réforme de l’assurance-chômage. « La question du travail et de l’emploi doit être vue dans son ensemble, avance Astrid Panosyan-Bouvet. Si un seul levier, celui de l’assurance-chômage, est activé, on rate la cible. » La députée Renaissance de Paris considère qu’il faut « parler de tous les sujets », comme les trappes à bas salaires, les freins périphériques à l’emploi (logement, transport et garde d’enfant).

Macroniste de la première heure, l’élue réfute également l’idée que le modèle français serait « le plus généreux du monde ». « Il est certes très protecteur, avec une durée d’indemnisation longue et des conditions d’éligibilité assez basse, mais le taux de remplacement [le pourcentage de salaire versé] n’est pas du tout le plus élevé », tient-elle à rappeler. « On peut tout regarder, mais il faut aussi parler de l’attractivité des métiers, des conditions de rémunérations et des conditions de travail », juge également la présidente (Renaissance) de la commission des affaires sociales de l’Assemblée, Charlotte Parmentier-Lecocq.

Mardi matin, lors de la réunion avec le groupe macroniste à l’Assemblée, si le premier ministre a assuré ne pas vouloir « stigmatiser les chômeurs », il en a profité pour rappeler sa volonté de parler aux classes moyennes, la « majorité silencieuse », ces Français « qui bossent et qui ont l’impression que les efforts leur sont demandés ». Devant les députés Renaissance, l’ancien ministre de l’éducation a répété qu’il faut « leur envoyer un message et montrer que nous valorisons le travail ».

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Une opposition entre deux catégories de Français que certains députés jugent dangereuse. « Il faut faire attention à cette petite musique qui s’installe entre les bons et les mauvais Français », met en garde Astrid Panosyan-Bouvet. « Ce n’est pas en appauvrissant certains qu’on améliorera le sort des classes moyennes, c’est en offrant des opportunités économiques à tous », complète-t-elle.

A Matignon, on assure que les voix discordantes ne sont pas légion et qu’une large partie de la majorité soutient le projet du gouvernement. Gabriel Attal a souligné que son initiative n’était pas rejetée dans l’opinion publique, prenant peu de risque de ce côté-là, tant les Français ne se mobilisent jamais sur ces sujets. Mettant en avant l’absence d’« un raz de marée contre la réforme » dans les sondages, le premier ministre en a conclu qu’il y a donc « une forme de lucidité dans la société ». Un argument qui devrait toutefois peiner à convaincre, puisque le gouvernement, il y a un an, était resté sourd aux études d’opinion qui faisaient état de la large opposition des Français à la réforme des retraites.

Thibaud Métais