Psychiatrie, psychanalyse, santé mentale

Médiapart - L’hôpital psy lyonnais du Vinatier vent debout contre la réforme

Avril 2017, par Info santé sécu social

Par Mathilde Goanec

Les professionnels de la pédopsychiatrie de l’hôpital du Vinatier, dans la région lyonnaise, refusent de sacrifier la proximité des soins au nom de l’efficacité budgétaire. Une mobilisation sans précédent agite le premier hôpital psychiatrique de France, en grève lundi 3 avril.

Si l’hôpital public est malade, la psychiatrie semble encore plus mal en point. Le Vinatier, premier hôpital psychiatrique de France, installé en banlieue lyonnaise à Bron, est en l’occurrence un thermomètre parfait du malaise. Le personnel s’est mis en grève lundi 3 avril pour protester contre la dégradation des conditions de prise en charge des patients. Une mobilisation sans précédent, puisqu’elle réunit bien au-delà des cercles syndicaux traditionnels et jusqu’aux médecins, qui se sont fendus en février dernier d’un appel signé par 166 professionnels, soit la quasi-totalité des médecins et psychiatres de l’hôpital, dont la présidente de la communauté médicale d’établissement, ainsi que la plupart des chefs de service. « Nous exprimons notre très grande inquiétude sur l’avenir des missions de la psychiatrie publique, nos craintes à pouvoir maintenir des soins de qualité et de proximité dans les dispositifs de secteur et à prendre en charge les populations les plus démunies. (…) Où se situe donc le curseur du tolérable ? Est-il possible d’aller plus loin dans cette voie au point de finir exsangue ? », interrogent les médecins du Vinatier.

Déjà confrontés à une grave crise liée à l’arrivée d’un nouveau directeur en 2010 (lire notre enquête ici), les soignants se fédèrent cette fois-ci autour du sort de la pédopsychiatrie, principale victime du nouveau plan de rigueur exigé par l’agence régionale de santé (ARS). L’hôpital du Vinatier doit économiser 3,5 millions d’euros supplémentaires pour 2017, et la ponction budgétaire devrait se poursuivre en 2018 et 2019. Afin de mettre ses comptes au clair, et parce que la masse salariale représente la principale charge d’un hôpital, l’établissement doit « rendre » 80 postes.

Après avoir réorganisé, non sans douleur, la psychiatrie adulte, la direction a donc décidé de restructurer la psychiatrie pour enfants et adolescents de Lyon et ses alentours, en fermant plusieurs unités de soins, services de jour, centre d’activités thérapeutiques à temps partiel (CATTP) et centres médico-psychologiques, principaux outils du maillage territorial d’une psychiatrie pour mineurs, qui se pratique majoritairement hors les murs. L’objectif ? « Privilégier pour un certain nombre de raisons la constitution de gros centres ambulatoires, dans lesquels toutes les lignes de soins sont disponibles, à l’organisation actuelle faite de petites structures », explique Hubert Meunier, directeur de l’hôpital. « Si dans les années 70, on a décidé de fermer des lits, c’était pour apporter le soin dans la cité, au plus près des patients. C’est ce que l’on appelle la psychiatrie de secteur, rappelle cependant Georges Di Giusto, secrétaire de la section CFDT du Vinatier. Aujourd’hui, on nous dit qu’on va faire l’inverse en créant des superstructures au nom de l’efficacité. Mais plus les familles seront loin, moins les enfants seront soignés. À moyen et long terme, ça va coûter encore plus cher à tout le monde. » À l’instar de la « discrimination territoriale » avancée dénoncée par d’autres professionnels, en d’autres lieux (lire à ce sujet la situation de la pédospychiatrie en Seine-Saint-Denis, par Caroline Coq-Chodorge).

Chantal Petavy est assistante sociale depuis plus de trente ans dans un service de pédopsychiatrie qui couvre le 3e, le 6e et le 8e arrondissement de Lyon, amené à se réorganiser (la fermeture d’une unité institutionnelle dite « Matin/soir » a d’ores et déjà été actée). Elle était en grève lundi après-midi. « De ma place, je sais à quel point la réalité sociale et le psychopathologique sont impactés l’un par l’autre. Depuis les années 2000, toute une législation a été mise en place pour qu’un enfant suivi en psychiatrie ne soit ni déscolarisé ni coupé du monde, et c’est pour cette raison qu’on travaille au maximum en proximité avec les écoles, la protection de l’enfance, les associations, les PMI, les crèches… Tout cela est remis en cause par cette nouvelle organisation décidée par l’ARS et notre directeur, pour le moins très zélé. »

Même inquiétude chez ce pédopsychiatre, également mobilisé lundi et membre du collectif de défense de la pédopsychiatrie du Vinatier, qui souhaite rester anonyme. « Ce sont les patients les plus fragiles qui vont trinquer. S’il faut faire 45 minutes ou 1 heure de transport par semaine pour que son gamin voie un psychiatre, beaucoup de familles vont décrocher. » Pour ce médecin, la réorganisation prévue est le symptôme d’un abandon de « ce qui faisait l’hôpital public ». « La baisse des moyens est continue alors même que les besoins en pédopsychiatrie ne font que s’accroître et que les listes d’attente grossissent de manière exponentielle. Regrouper des CMP, ne nous leurrons pas, c’est pour supprimer des postes de secrétaires, d’infirmières, de médecins… » Chantal Petavy estime aussi que « cela fait des années qu’on supprime déjà des postes », amenuisant à chaque fois la qualité du soin. « Il y a vingt ans, une famille attendait au maximum un mois pour avoir un rendez-vous, pas plus. Aujourd’hui, on ne propose même plus de psychothérapie individuelle, faute de personnel... Ceux qui le peuvent vont se faire soigner dans le libéral. Mais il y a toute une partie de la population qui n’a pas les moyens de composer sans un vrai service public de la psychiatrie ! »

Alors que les médecins comme les soignants soulignent l’absence de concertation préalable ainsi qu’un calendrier « intenable » (selon un tract de la CFDT, tout devrait être réglé avant le départ du directeur du Vinatier, en juin 2017), ces critiques sont balayées par le principal intéressé, Hubert Meunier. « Cette orientation est portée par l’ensemble des pôles, en psychiatrie adulte et en pédopsychiatrie, et non, comme cela est parfois présenté, comme le projet de la seule direction, insiste le patron du Vinatier. Elle vise à assurer une meilleure continuité du service, qui peut se traduire effectivement, pour certains patients, par un éloignement géographique. Cet éloignement est relatif dans la mesure où le Vinatier couvre un petit territoire géographique très urbain (Lyon et quelques communes limitrophes), très bien desservi par les transports urbains. »

Pour rassurer les équipes, la direction évoque aussi des « équipes mobiles pour les patients qui seraient véritablement dans l’impossibilité de se déplacer ». À la suite d’une première grève le 7 mars, qui a mobilisé un agent sur quatre en pédopsychiatrie, les mots étaient toutefois plus crus : « Les gens font des kilomètres pour aller chez Ikea, ils peuvent bien le faire pour faire soigner leurs enfants… », a ainsi déclaré Hubert Meunier aux syndicats, venus présenter les doléances du personnel.

Encore une fois, le style très offensif du directeur de cet énorme établissement de santé mentale complique les relations sociales. Ainsi, dans une adresse au conseil de surveillance du Vinatier, Hubert Meunier justifie sa réforme en mettant en cause l’efficacité des équipes, et certains professionnels nominalement, ce qui a provoqué un tollé : « Les organisations syndicales et une partie de la communauté médicale s’émeuvent aujourd’hui des intentions de fermeture de certains CMP, considérées comme des projets de casse du service public. Mais les mêmes personnes refusent de regarder ce qu’il en est aujourd’hui dudit service public. Peut-on sérieusement affirmer qu’il est bien rendu dans ces petites structures dont l’activité, très faible alors que les délais de prise en charge des patients sont inacceptables, plonge au premier arrêt de travail ? Qui a dit au maire et aux habitants de Caluire que le médecin du CMP est en arrêt de travail depuis quatre mois ? »

Le collectif en défense de la pédopsychiatrie du Vinatier n’a pas manqué de dénoncer une fausse « guerre des chiffres », déplorant au passage que le directeur n’ait aucun autre moyen d’accès à la connaissance de l’activité de soin en psychiatrie que par « le maniement de statistiques, comme chaque professionnel qui a tenté de discuter avec lui en a fait l’amère découverte ». Le psychiatre, interrogé plus haut, se fait également l’écho de la « grande colère » qui anime les équipes visées. « Meunier se plaint qu’on ne fasse pas assez d’actes, mais pour ma part, 50 % de mon activité se déroule sans le patient ! Je dois rencontrer les élus locaux, les autres acteurs institutionnels, animer le conseil en santé mentale, faire de la prévention. Tout ça n’est pas comptabilisé et c’est un vrai mépris de notre travail de terrain. »

Les 143 grévistes du 3 avril (selon les chiffres de la direction et hors réquisition de personnel) comptent sur la mobilisation de la communauté médicale d’établissement, pensée par la loi de 2009 comme un contre-pouvoir de l’administratif hospitalier, qui devait se réunir ce lundi. En avril 2015, face à une crise aiguë aux urgences, plusieurs médecins avaient, dans un geste inédit, démissionné de leur siège, afin de marquer leur désaccord. Le 12 avril, un nouveau conseil de surveillance du Vinatier devrait également avoir lieu, et Hubert Meunier pourrait à nouveau y solliciter un vote de confiance sur son projet.

De son côté, l’ARS n’a pas, pour le moment, réagi à la mobilisation. Elle applique de fait les directives ministérielles, qui insistent sur les réorganisations managériales pour combler les trous. « Bien sûr que nous pouvons réfléchir à une autre manière d’exercer la psychiatrie aujourd’hui, mais de là à jeter à la poubelle une clinique et une politique partenariale que nous avons mis tant d’années à monter, déplore l’assistante sociale Chantal Petavy. Nous n’avons même plus le temps de réfléchir, la pensée opératoire a tout envahi. Et ce n’est pas fini... » Pour 2017, l’Ondam (l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie) est passé à 2,1%, soit environ 190 milliards d’euros, ce qui reste insuffisant pour couvrir les dépenses de l’hôpital public, à qui l’on demande de faire encore plus d’économies cette année (845 millions d’euros). En réduisant, partout où cela est possible, des postes.