Industrie pharmaceutique

http://www.anti-k.org : Dossier Dépakine

Mai 2017, par infosecusanté

Dépakine : une première action collective en justice

Information France Inter |

L’APESAC vient officiellement de saisir le Tribunal de Grande Instance de Paris. Il s’agit de la 1ère action de groupe dans le domaine de la santé

En près de 55 ans, jusqu’à 100 000 femmes ont été potentiellement exposées à la Dépakine pendant leur grossesse, c’est le cas d’Emmanuelle
En près de 55 ans, jusqu’à 100 000 femmes ont été potentiellement exposées à la Dépakine pendant leur grossesse, c’est le cas d’Emmanuelle © Radio France / Hélène Chevallier

C’est une information France Inter : l’association de défense des victimes de la Dépakine (APESAC) vient officiellement de saisir le Tribunal de Grande Instance de Paris. Il s’agit de la première action de groupe dans le domaine de la Santé.

En près de 55 ans, jusqu’à 100 000 femmes ont été potentiellement exposées à la Dépakine, ou sa molécule le Valproate de Sodium, pendant leur grossesse, avec des conséquences pour leurs bébés. On estime à 14 000 les enfants souffrant de malformations et/ou de troubles du comportement.

Erwann, aujourd’hui âgé de 8 ans, a été récemment diagnostiqué autiste sévère. Le garçon est né avec un deuxième pouce à la main, mais ce n’est que vers 4 ans que ses parents, Franck et Emmanuelle, ont commencé à se poser des questions. Sa sœur jumelle et lui étaient très souvent malades, souffraient de problèmes de tonus musculaire, de motricité et de comportement. Emmanuelle, la maman, explique :« On avait bien vu qu’il y avait quelque chose qui clochait un peu, les problèmes qu’Erwann avait, ses crises de colère, certains retards, mais on mettait ça sur le dos de la PMA, de leur prématurité et de leur gémellité. »

Aucun médecin ne les avait prévenus des risques de la Dépakine

Le couple fait finalement le rapprochement avec le médicament qu’Emmanuelle prend depuis ses 23 ans pour éviter les crises d’épilepsie. Sur internet, il découvre des publications médicales rapportant des risques de malformations et de troubles du comportement, certaines datent même des années 80. Pourtant, sur les vingt médecins consultés au cours des deux années de la procréation médicament assistée, aucun ne les a alertés, déplore Franck : « médecins généralistes ou spécialisés comme des neurologues, gynécologues, ou spécialistes de la procréation, aucun n’a réagi – ça figure dans les dossiers – lorsque l’on a systématiquement annoncé que ma femme était épileptique et prenait de la Dépakine, et on n’était pas il y a 20 ans, mais entre 2006 et 2008 ! »

« Au contraire », explique Emmanuelle « on m’a précisé qu’il fallait absolument que je continue mon traitement durant la grossesse sinon ce serait dangereux pour moi et mes bébés ! »

Grâce au combat mené par l’association APESAC, le pictogramme représentant une femme enceinte dans un triangle rouge apparaît sur la boîte, mais seulement depuis un mois. Bien trop tard pour Emmanuelle « Sur le médicament vous lisez maintenant ‘Dépakine + grossesse = danger’, avant c’était = risque. Il n’y avait pas le logo avec la femme enceinte dessus. Si j’avais su ça à 23 ans, je me serais fait stériliser, je n’aurais même pas pris la pilule » .

« La défense de Sanofi est la même que les laboratoires Servier dans l’affaire du Médiator »

Alors que les études se multiplient sur les effets tératogènes du Valproate de Soduim, les risques tardent à apparaître dans les notices du médicament. Ceux liés à l’autisme ne sont, par exemple, apparus qu’en 2010. Le laboratoire Sanofi nie toute responsabilité. Amel Benkritly, responsable de pharmacovigilance, affirme que son laboratoire a alerté l’agence du médicament dès 2003« dès lors que nous avons eu connaissance d’un certain nombre de publications médicales qui alertaient sur d’autres effets indésirables. Les études n’allaient pas toutes dans le même sens mais devant ces interrogations, nous les avons partagées devant les autorités de Santé en proposant une modification. »

Le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a effectivement pointé le manque de réactivité de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé, comme d’ailleurs du laboratoire. Une responsabilité « collective » reconnait Dominique Martin, le directeur de l’agence : « il y a eu un retard dans la prise en charge, ce qui est fait aujourd’hui aurait pu être fait avant« . L’avocat de l’association APESAC, Maître Charles Joseph-Oudin, également défenseur des victimes du Médiator, estime que Sanofi avait bien un devoir d’information auprès des patientes. « Leur défense est la même que le laboratoire Servier, qui consiste à dire : dès que j’ai su j’ai dit aux autorités de santé, elles n’ont rien fait et moi pauvre laboratoire je ne pouvais rien faire. » Or selon l’avocat, qui cite la jurisprudence liée à l’affaire du Médiator : « les laboratoires ne peuvent s’exonérer de leur responsabilité au motif qu’ils sont soumis au contrôle d’une autorité administrative ». Et cela, même si la responsabilité de cette dernière a été retenue. La procédure pourrait prendre des années. Un fond d’indemnisation des victimes a été mis en place par l’Etat. Fond auquel Sanofi refuse, pour le moment, de contribuer.

Le Monde – 17/05/2017


Marine Martin : « On a laissé des femmes malades prendre le risque d’avoir des enfants malades »

Figure de proue des victimes de la Dépakine, son association vient de saisir la justice pour tenter de faire reconnaître la responsabilité du laboratoire Sanofi.

M le magazine du Monde | 17.05.2017 | Propos recueillis par Aurore Merchin

Depuis l’âge de 6 ans, Marine Martin, 45 ans, a lutté contre son épilepsie en prenant chaque jour de la Dépakine, y compris pendant ses deux grossesses, sans contre-indication de la part des médecins. Ses enfants souffrent aujourd’hui, l’une de troubles psychomoteurs, l’autre de troubles autistiques. En cherchant la cause, la mère de famille a découvert les risques causés par son médicament aux fœtus. Fondée en 2011, l’Apesac, son association d’aide aux parents d’enfants souffrant du syndrome de l’anticonvulsivant, a depuis remporté plusieurs batailles dont la création d’un nouveau dispositif d’indemnisation des dommages causés par la molécule de valproate de sodium pendant une grossesse.

Comment avez-vous découvert les risques encourus sous Dépakine ?

Prenant ce médicament depuis l’enfance, j’en ai toujours ressenti les effets secondaires : problèmes scolaires, de comportement, idées noires. Mais quand on risque des crises graves engageant le pronostic vital, on doit être traité. Pour mes deux grossesses, les médecins m’ont assuré que le seul risque encouru concernait la colonne vertébrale du fœtus, et j’ai été surveillée.

« J’ai harcelé les médecins mais on me répondait : “L’important c’est qu’ils soient bien pris en charge, pourquoi continuez-vous à chercher l’origine du problème ?” »

En 2002, mon fils Nathan est né avec une malformation urogénitale opérable. Et j’avais déjà remarqué que ma fille aînée, Salomé, née en 1999, était maladroite sans plus, mais pour lui, l’apprentissage était très lent. Il a fallu attendre deux ans pour qu’on lui diagnostique des troubles autistiques, et à sa sœur des troubles psychomoteurs. J’ai harcelé les médecins de questions mais on me répondait : « L’important c’est qu’ils soient bien pris en charge, pourquoi continuez-vous à chercher l’origine du problème ? » C’est en ligne, sur le site du Centre de recherche des agents tératogènes – étymologiquement « créer des monstres » – que j’ai découvert qu’avec l’antiacnéique Roaccutane, la Dépakine était un des médicaments les plus dangereux pendant une grossesse.

Ce que vous dénoncez n’est pas le médicament en soi mais le manque d’informations sur les risques encourus en cas de grossesse…

Oui car ces risques étaient connus de longue date. Moi, je n’aurais pas pu renoncer à ce médicament, mais si on les avait informées, d’autres femmes auraient pu avoir le choix. Le 31 décembre 2010, j’ai fait un cauchemar. Dans le métro, j’assistais à un viol et ne bougeais pas. J’ai réalisé que, tous les jours, des enfants allaient naître sous Dépakine et qu’il fallait que j’alerte. J’ai monté mon association en mars 2011. A cette époque éclatait le scandale du Mediator, j’étais époustouflée par le courage d’Irène Frachon. J’ai sollicité son avocat Charles Joseph-Oudin.

A combien estimez-vous le nombre de victimes ?

Des enfants sont nés sous Dépakine depuis sa mise sur le marché en 1967 jusqu’en 2015. L’épidémiologiste Catherine Hill estime à 14 000 le nombre de victimes potentielles de médicaments contenant du valporate de sodium, dont la Dépakine mais aussi le Dépakote ou la Dépamide, prescrits contre les troubles bipolaires. Il faut se rendre compte qu’on a laissé des femmes malades prendre le risque d’avoir des enfants malades. Les miens vont relativement bien, ils ont été bien pris en charge et je suis très fière d’eux. Ma fille passe son bac en juin. Mais d’autres sont atteints de troubles autistiques lourds, de malformations cardiaques. Parfois les pères quittent le domicile familial, il y a des situations dramatiques.

« J’ai réalisé que, tous les jours, des enfants allaient naître sous Dépakine et qu’il fallait que j’alerte », explique Marine Martin, mère de deux enfants victimes de la Dépakine.

Jusqu’ici, quelles batailles avez-vous remporté ?

En 2013, l’Agence européenne du médicament a réévalué le bénéfice risque du médicament. La France a dû ratifier ces nouvelles recommandations et changer ses notices. La Dépakine ne doit être prescrite qu’en dernière intention et les patientes enceintes sont informées : 40 % des grossesses n’arrivent pas à terme et, pour les autres, il y a 30 à 40 % de risques que l’enfant présente des retards de développement, malformations et troubles neurologiques.

« Si moi, patiente, je n’avais pas tapé du poing sur la table pour qu’une bonne information soit donnée, rien ne se serait passé. »

Nous avons obtenu un pictogramme et l’obligation de mentionner ces dangers. On a aussi bataillé pour obtenir que l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) mène une enquête et la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) une étude.

Vous avez aussi mené la première action de groupe dans le domaine de la santé, où en est la procédure ?

Le décret de Marisol Touraine rendant possible cette action collective est paru le 27 septembre 2016. Le 30 septembre, notre association, l’Apesac, déposait une action contre le laboratoire Sanofi. Le juge a deux ans pour déterminer s’il y a eu tromperie. En parallèle, nous sommes plusieurs à avoir attaqué Sanofi individuellement. J’ai personnellement attaqué au civil en 2012 et au pénal en 2015, contre X, pour tromperies aggravées. Les procédures courent toujours.

A partir du 1er juin, les victimes peuvent déposer un dossier pour se faire indemniser. Quels sont vos prochains combats ?

L’Apesac regroupe 2 200 familles, avec en moyenne deux enfants. Nous allons d’abord les aider à constituer leurs dossiers. Mais ce n’est pas suffisant. Ces médicaments étaient remboursés à 100 %, les enfants handicapés perçoivent des allocations et, là c’est encore, c’est le contribuable qui paie alors qu’il y a eu tromperie. Nous aimerions que le gouvernement demande à être remboursé par le laboratoire. Nous voulons aussi aider les victimes à s’organiser dans les pays voisins et attendons la réévaluation de 21 autres antiépileptiques. Enfin, il n’y a pas de pharmacovigilance en France, si moi, patiente, je n’avais pas tapé du poing sur la table pour qu’une bonne information soit donnée, rien ne se serait passé. L’Agence de santé ne bouge que sous la pression médiatique. Il faudrait lui donner les moyens de faire son travail, en toute indépendance.

Aurore Merchin