Industrie pharmaceutique

Mediapart : Les ministres public/privé du gouvernement

Mai 2017, par infosecusanté

Les ministres public/privé du gouvernement

17 mai 2017| Par Michaël Hajdenberg, Jérôme Hourdeaux, Dan Israel, Manuel Jardinaud et Antoine Perraud

À la santé, au travail, dans le numérique ou encore à la culture, les parcours de différents ministres passés par le privé posent la question de leurs conflits d’intérêts. Emmanuel Macron considère que les déclarer suffit à les régler.

Emmanuel Macron n’avait pas fait mystère de ses intentions. « Jamais je ne me priverai d’un talent parce qu’il vient du secteur privé. Jamais. Sinon, nous rentrons dans un système qui est totalement fermé. Il faut utiliser les gens pour leurs talents. »

La composition du gouvernement illustre bien ce principe, qui ne va pas sans poser des difficultés. Car dans les faits, le passage du privé au public (et inversement) suscite des questionnements : le nouveau ministre va-t-il défendre l’intérêt général ? Ou l’intérêt de ses précédents employeurs, qui l’ont rémunéré pendant des années, qui lui ont permis de faire carrière, et qui ont durablement imprégné sa réflexion ? Le fait qu’un doute existe suffit à caractériser un conflit d’intérêts.

Bien sûr, la question se pose depuis quelques jours avec le premier des ministres, Édouard Philippe, qui fut lobbyiste en chef d’Areva, la multinationale qui œuvre dans le nucléaire. Elle se pose dorénavant pour plusieurs ministres.

Lors du « live » organisé par Mediapart, Emmanuel Macron a été clair sur la simultanéité des positions. « Le conflit d’intérêts qu’on doit éradiquer, c’est celui qui est concomitant à l’exercice d’une fonction publique : c’est-à-dire se faire rémunérer par le privé tout en exerçant un mandat ou une fonction. C’est tout le problème qui a été soulevé à l’occasion de l’affaire Fillon. Cette situation, il faut l’interdire totalement. Quand on est ministre ou parlementaire, on ne peut pas être rémunéré pour une autre fonction dans le privé. » Le sujet devrait être abordé dans la prochaine loi sur la moralisation de la vie publique.

La question devient cependant plus complexe lorsque le conflit d’intérêts est lié à des fonctions antérieures. « C’est une situation qui est traitée pour les fonctionnaires par la commission de déontologie », a plaidé le nouveau président, qui ne peut ignorer que cette commission a la réputation d’être plutôt tolérante dans ses appréciations. « Quand je suis devenu secrétaire général adjoint en 2012, je n’ai pas traité de dossiers que j’avais eu à connaître. J’ai fait la même chose en tant que ministre. Donc, je me déportais [il ne prenait pas part aux décisions ayant un impact sur son ancien employeur – ndlr] », explique Emmanuel Macron. Ce que je demanderai à toutes celles et tous ceux qui viennent du secteur privé, c’est de faire auprès du secrétariat général du gouvernement et la Haute Autorité une déclaration exhaustive de tous les intérêts et de toutes les affaires qu’ils ont eu à connaître dans les cinq années précédentes. On doit pouvoir créer la transparence par des institutions fortes et des procédures complètes. »

Une position de principe. Mais complexe à mettre en œuvre. La nouvelle ministre de la santé, Agnès Buzyn, qui a travaillé pour des laboratoires, devra-t-elle s’abstenir de prendre part à toutes les questions intéressant l’industrie pharmaceutique ? Son agenda s’en trouverait considérablement allégé. Le risque qu’elle se transforme en ministre du temps libre est cependant faible au vu de sa perception des conflits d’intérêts.

Et à l’entendre, pourquoi parler de conflit d’ailleurs ? Après tout, puisqu’on peut être en même temps de droite et de gauche, pourquoi ne pas imaginer qu’on puisse défendre en même temps les intérêts de l’industrie pharmaceutique et ceux des malades ?

Agnès Buzyn a eu des conflits d’intérêts. Elle a dû gérer ceux des autres en tant que présidente de l’Institut national du cancer (INCA) puis de la Haute autorité de santé (HAS). Elle a même théorisé la problématique. Mediapart s’en étonnait déjà au moment de sa nomination en 2016 à la HAS, cette autorité administrative indépendante qui a, entre autres, pour fonction d’évaluer les médicaments, d’émettre des recommandations de santé publique et de certifier les établissements de santé.

La nouvelle ministre n’a jamais caché tout le mal qu’elle pense de la loi Bertrand, adoptée en décembre 2011 à la suite du scandale du Mediator, et qui visait à mieux prévenir les conflits d’intérêts et à renforcer l’indépendance des experts sanitaires. « L’industrie pharmaceutique joue son rôle, et je n’ai jamais crié avec les loups sur cette industrie. Il faut expliquer que vouloir des experts sans aucun lien avec l’industrie pharmaceutique pose la question de la compétence des experts », expliquait-elle en février 2013, reprenant ainsi l’argument classique des laboratoires.

Les renvois d’ascenseurs ou les biais ne sont pas envisagés, comme si être rémunéré par un laboratoire ne pouvait pas influencer le jugement porté sur ses produits. « On commence à avoir des experts institutionnels qui n’ont plus aucun lien avec l’industrie pharmaceutique et dont on peut se demander, à terme, quelle va être leur expertise, puisqu’ils ne sont plus à aucun “board” [conseil de direction – ndlr] », allait jusqu’à déplorer Agnès Buzyn. Alors que participer à un « board » ne relève pas de la recherche scientifique en tant que telle, mais consiste à conseiller l’industrie sur sa stratégie de marketing et de développement d’un produit.

Quand elle était vice-présidente de l’INCA entre 2009 et 2011, Agnès Buzyn, médecin de 54 ans, spécialiste de la greffe de moelle osseuse, participait aux boards des laboratoires Novartis et Bristol-Meyers Squibb. Logique si l’on considère que la compétence des experts est corrélée à leur degré de dépendance à l’égard des industriels.

Pour le Formindep, un collectif de médecins qui cherche à favoriser une formation et une information médicales indépendantes, « avec Agnès Buzyn, on est au-delà du conflit d’intérêts. Pour elle, l’indépendance de l’expertise n’est pas une valeur en soi ni un devoir. Elle l’a au contraire publiquement décrite comme un véritable handicap. Sa conception de l’expertise sanitaire est datée, c’est celle des mandarins, reposant sur l’argument d’autorité ex cathedra, et non une médecine fondée sur les preuves scientifiques. Son bref passage à la HAS en a été l’illustration ».

Tous les nouveaux ministres ne présentent pas un tel profil. Mais leurs parcours révèlent d’autres surprises et d’autres difficultés. Que penser par exemple de la situation de Muriel Pénicaud ? La nouvelle ministre du travail présente le visage idéal de la « macronie », issue de la société civile, version experte des relations sociales dans l’entreprise, et avec une expérience de la fonction publique. L’incarnation parfaite du partenariat public-privé, qui risque de détonner dans un tel ministère.

Après une première partie de carrière comme administratrice territoriale et un passage au cabinet de Martine Aubry (1991-1993), elle rejoint Danone, dont elle deviendra la directrice des ressources humaines entre 2008 et 2014, après un aller-retour chez Dassault Systems, où elle a également occupé le poste de DRH, de 2002 à 2008.

Depuis janvier 2015, elle a pour mission de vendre les entreprises françaises à l’étranger, comme directrice générale de Business France, une chambre de commerce XXL chargée de draguer les investisseurs étrangers et d’aider les entreprises nationales à exporter. Au regard de la fronde qui naît de la part des syndicats face aux réformes du code du travail et de l’assurance-chômage dont elle aura la charge, quelle sera sa posture ? Pas forcément de leur côté, si l’on en juge ses récentes déclarations