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Alternative économiques - Smic : vers une réforme libérale radicale

Septembre 2017, par Info santé sécu social

Michel Husson (31/08/2017)

Alternatives Economiques est en mesure de révéler la conclusion du prochain rapport du groupe d’experts sur le Smic. La voici : « Nous considérons nécessaire de poursuivre sur la voie d’une gestion prudente des hausses de Smic en limitant le relèvement du 1er janvier 2018 au mécanisme légal de revalorisation automatique. » Une rédaction alternative pourrait être : « Aller au-delà de la formule légale d’indexation introduirait cependant un risque de déstabilisation à partir d’une situation encore fragile. »

Cette anticipation est facile, puisque la conclusion de tous les rapports du groupe en question créé par la loi du 3 décembre 2008 « en faveur des revenus du travail » a toujours été de déconseiller tout « coup de pouce ». La première formulation est tirée du rapport de novembre 2012, et la seconde du rapport de décembre 2016. La différence entre les deux groupes, respectivement désignés sous Sarkozy et Hollande, réside dans le « cependant » qui permet aux experts de signifier leur regret de ne pouvoir conseiller un « coup de pouce ».

Qui sont les experts nommés ?

Mais c’est la composition du nouveau groupe, désigné par un décret du 23 août dernier, qui renforce la solidité de notre pronostic. Le choix d’André Zylberberg, auteur avec Pierre Cahuc (ex-membre du groupe) d’un pamphlet dénonçant le « négationnisme » des économistes hétérodoxes, est hautement symbolique d’un refus revendiqué de tout pluralisme. Dans leur livre, les deux auteurs expliquaient que « si l’Etat continue d’accroître le salaire minimum, certains travailleurs finiront par coûter plus qu’ils ne rapportent. Ils seront alors licenciés » et c’est selon eux le cas en France. Pour le démontrer, ils renvoyaient à une seule étude, portant sur la période 1982-1989, dont on mesure donc la brûlante actualité.

Le choix des membres du groupe d’experts sur le Smic marque un refus de tout pluralisme

Parmi les nouveaux membres, figure Isabelle Méjean, une brillante économiste qui s’est vu décerner le prix Malinvaud 2016. Mais ses travaux ne portent pas sur le Smic, hormis un article de 2010 où elle s’intéressait, à partir d’un modèle très formalisé et très empiriquement calibré, aux situations où « une politique de salaire minimum élevé réduit l’attractivité du pays en augmentant les coûts de production et en réduisant la demande globale ». Quant à Marie-Claire Villeval, c’est une adepte des expériences de laboratoire et une spécialiste de l’économie comportementale du marché du travail qui établit par exemple que « la crainte de perte de bien-être ou de pouvoir d’achat par un chômeur par rapport au point de référence que constitue son ancien emploi le conduit à refuser des offres d’emploi pourtant raisonnables ».

Zoom La composition des groupes d’experts sur le SMIC

 2009-2012 : Paul Champsaur (président), Martine Durand, Gilbert Cette, Francis Kramarz, Etienne Wasmer.
 2013-2017 : François Bourguignon (président), Pierre Cahuc, Eve Caroli, Dominique Goux, Stefano Scarpetta.
 2017 : Gilbert Cette (président), André Zylberberg, Isabelle Méjean, Andrea Garnero, Marie-Claire Villeval.
Selon une règle non écrite, le groupe doit comprendre un représentant de l’OCDE. Cette fois, c’est le tour d’Andrea Garnero qui, lui au moins, a travaillé sur le sujet en étudiant les systèmes de salaire minimum. Dans un article intéressant, il confirme l’hypothèse développée auparavant par Thorsten Schulten d’une « équivalence fonctionnelle » entre les systèmes à salaire interprofessionnel et les systèmes a minima de branche, mais à condition que le taux de couverture des conventions collectives soit suffisamment élevé. Le risque est évidemment que cette équivalence serve d’argument en faveur de l’instauration de salaires minima au niveau des branches. Mais ce serait oublier que, dans un autre article qui d’ailleurs contredit en partie le précédent, Garnero insiste sur le fait qu’il y a « plus de personnes dont le salaire effectif est inférieur aux minima » quand ceux-ci sont négociés au niveau des branches.

Les positions du président Cette

Il y a près de dix ans, en 2008, Gilbert Cette cosignait – avec Pierre Cahuc et André Zylberberg (déjà) – un rapport pour le Conseil d’analyse économique intitulé « Salaire minimum et bas revenus : comment concilier justice sociale et efficacité économique ? » Le titre d’une version provisoire qui avait « fuité » était beaucoup plus explicite, parlant de coût du travail, d’incitation au travail et de compétitivité. Ce rapport « assassin », selon L’Express, développait trois critiques essentielles : le Smic a trop augmenté et couvre en France une proportion de salariés plus importante qu’ailleurs ; il « comprime la distribution des salaires et contribue à réduire le dialogue social, sans grande efficacité pour lutter contre la pauvreté » ; enfin, il contribue à exclure les jeunes de l’emploi.

En 2012, le groupe d’experts proposait de régionaliser le Smic et, implicitement, d’instaurer un Smic jeune

Ces arguments seront repris dans le rapport du groupe d’experts de 2012, qui a par ailleurs disparu des sites officiels mais que l’on peut consulter ici ou ici. Il se termine par des propositions de réformes « à plus long terme ». La première est de régionaliser le Smic puisque « les niveaux de prix diffèrent fortement entre régions ». Les experts soulignent ensuite « l’homogénéité du Smic selon l’âge, alors que l’insertion sur le marché du travail des moins de 25 ans est difficile » et recommandent donc implicitement l’instauration d’un Smic jeune.
Ils suggèrent également de réfléchir aux effets d’une « revalorisation automatique dépassant le simple maintien du pouvoir d’achat du salaire minimum » sous prétexte d’un possible dérapage dans un contexte de faible inflation. Enfin, ils réitèrent l’argument récurrent selon lequel « le Smic n’est pas un instrument efficace de lutte contre la pauvreté et les bas revenus ». Les experts assuraient même, sans rire, qu’ils contribuaient, en lançant ces ballons d’essai provocateurs, « à atténuer la dimension politique et symbolique de la fixation du Smic ».

Une réforme radicale

Depuis, Gilbert Cette s’est fait le militant d’une réforme radicale du Smic. Les mêmes arguments sont repris dans le livre Changer de modèle, coécrit avec Philippe Aghion et Elie Cohen en 2014, où les auteurs proposent une réforme du Smic, jugé à nouveau « trop élevé » et « inefficace pour réduire la pauvreté ». Le projet de Gilbert Cette est donc clairement de remettre en cause le principe et les modalités de revalorisation du Smic

Dans Libération du 3 septembre 2015, Cette va encore plus loin, en proposant que le Smic « ne s’applique que par défaut, en l’absence d’un accord de branche ». Autrement dit, il faudrait que les branches puissent convenir d’un salaire minimum effectivement inférieur au Smic interprofessionnel. Plus récemment, dans Le Monde du 4 mars 2017, Cette affirme qu’on « n’a pas tout fait contre le chômage de masse » et réitère que le mode de revalorisation du Smic est « plus contraint que dans aucun autre pays développé », ce qui est « préjudiciable pour l’emploi des actifs les moins qualifiés et les plus fragiles ».

Le projet de Gilbert Cette est donc clairement de remettre radicalement en cause le principe et les modalités de revalorisation du Smic. Cette persévérance a été récompensée par sa nomination comme président du groupe d’experts (sans doute aussi un lot de consolation pour l’un de ces économistes macroniens déçus). Mais comment croire un instant que le nouveau président du groupe d’experts ne cherchera pas à en faire le porteur de la réforme radicale qu’il appelle de ses vœux depuis tant d’années ? Et comment, dans ces conditions, parler d’expertise indépendante ? N’existe-t-il pas des sociologues (voire des experts syndicaux) qui pourraient nuancer le dogme ?

Et l’Europe ?

Tous les arguments mis en avant par Gilbert Cette peuvent être contestés, comme nous l’avions fait dans un document de travail rédigé avec Pierre Concialdi et résumé dans une Lettre de l’Ires. Mais le plus déplorable est que personne dans le groupe d’experts ne sera vraiment en mesure de porter la perspective d’un système européen de salaire minimum. Personne dans le groupe d’experts ne portera la perspective d’un système européen de salaire minimum

L’enjeu est pourtant essentiel : il s’agit de réduire le dumping social au lieu de s’y soumettre en proclamant que le salaire minimum est trop élevé en France. Même la direction du Trésor avait exploré les « pistes pour l’instauration d’une norme de salaire minimum européenne » et trois chercheurs liés aux syndicats viennent de dresser une feuille de route pour une « politique de salaire minimum européen ». Mais de cela, le groupe d’experts ne parlera pas.