Environnement et facteurs dégradant la santé

Le Monde.fr : Pollution : les femmes enceintes françaises surexposées à l’arsenic et au mercure

Décembre 2017, par infosecusanté

Pollution : les femmes enceintes françaises surexposées à l’arsenic et au mercure

Selon une étude publiée par Santé publique France, cette « surimprégnation » s’expliquerait par « une consommation plus élevée de produits de la mer » en France.

LE MONDE

19.12.2017

Par Stéphane Mandard

Le petit pictogramme qui rappelle aux femmes que le champagne ou tout autre alcool leur est interdit pendant la grossesse, même pendant les fêtes, doit-il également être accolé sur les bourriches d’huîtres ou les plateaux de saumon et de fruits de mer ?

On savait déjà que ces mets, consommés crus, étaient déconseillés en raison des risques de listériose. Une étude inédite publiée mardi 19 décembre par Santé publique France (ex-Institut de veille sanitaire), quelques jours avant les agapes de fin d’année, montre que les femmes enceintes françaises sont surexposées à l’arsenic et au mercure et que cette « surimprégnation » (en comparaison des Américaines et des Canadiennes notamment) « trouverait une explication dans la consommation plus élevée de produits de la mer ».

Ces résultats préoccupants sont issus du volet périnatal du programme national de biosurveillance que les ministères de la santé et de l’environnement ont demandé à Santé publique France de mettre en œuvre, considérant que « la connaissance des niveaux d’exposition des femmes enceintes [aux polluants de l’environnement] et le mode d’imprégnation sont des enjeux majeurs de santé publique ».

L’exposition prénatale à ces polluants est soupçonnée d’avoir des répercussions sur la grossesse (prématurité, malformations congénitales, petits poids à la naissance) et sur le développement et la santé de l’enfant (atteintes du système reproducteur, du métabolisme, du développement psychomoteur et intellectuel ou augmentation du risque de cancers).

L’étude a été conduite sur un échantillon représentatif de 4 145 femmes ayant accouché en 2011 en France continentale (hors Corse) à partir de prélèvements recueillis au moment de l’accouchement : sang de cordon, urines, cheveux et sérum. Une première salve de résultats, publiés en décembre 2016, a déjà montré la présence de polluants organiques (bisphénol A, phtalates, pesticides, PCB ou composés perfluorés).

Arsenic, plomb et cobalt dans 100 % des échantillons

Les résultats rendus publics mardi concernent, eux, les métaux. Outre le mercure et l’arsenic, un total de treize substances ont été dosées. Il s’agit de l’aluminium, de l’antimoine, du cadmium, du césium, du chrome, du cobalt, de l’étain, du nickel, du plomb, de l’uranium et du vanadium. La plupart sont classées cancérogènes certains (arsenic, cadmium, chrome, nickel), probables (vanadium) ou possibles (mercure, antimoine, cobalt) pour les humains par le Centre international de recherche sur le cancer.

A l’exception de l’uranium, tous ces polluants ont été retrouvés chez pratiquement toutes les femmes. Avec des niveaux plus ou moins importants. Ainsi, la présence d’arsenic, de plomb et de cobalt a été mise en évidence dans 100 % des échantillons. Les taux varient mais restent très élevés pour le nickel (99 %), le chrome (96 %), le vanadium (96 %) ou le mercure (91 %). Les deux principales sources d’imprégnation sont le tabac (antimoine, chrome, cobalt, nickel, vanadium) et l’alimentation.

S’agissant du plomb et du mercure, l’étude relève que les niveaux d’imprégnation s’inscrivent dans une tendance à la baisse observée dans les études précédentes. Pour Santé publique France, c’est le résultat de la mise en place de réglementations plus strictes comme l’interdiction de l’essence au plomb ou la limitation des rejets industriels de mercure.

Pour le mercure, toutefois, la concentration capillaire moyenne reste supérieure à celle mesurée sur la même période (entre 2011 et 2012) en Europe centrale et de l’Est, et aux Etats-Unis. Cet écart pourrait s’expliquer par la consommation de produits de la mer, plus élevée en France que dans la plupart des autres pays d’Europe et aux Etats-Unis, suggère l’étude.

« Le principal contributeur de l’exposition des femmes enceintes françaises au mercure organique, principale forme du mercure mesurée dans les cheveux, est la consommation de produits de la mer. Plus précisément, la consommation de poisson, de coquillages et de crustacés. »

L’étude parvient au même constat concernant l’arsenic, substance très utilisée dans l’industrie (batteries électriques, conservateurs du bois) ou l’agriculture (fongicides) et qui, comme le mercure, pollue aussi les océans. « Les concentrations urinaires en arsenic des femmes enceintes augmentent avec la consommation de produits de la mer », note les auteurs, qui ont soumis des questionnaires sur les habitudes alimentaires.

« Des répercussions sur la santé de l’enfant et de la mère »

Cette surimprégnation par le mercure et l’arsenic par rapport aux Etats-Unis, notamment, avait déjà été observée pour la population française en général, dans l’étude ENNS (Etude nationale nutrition-santé 2006-2007).

« L’exposition pendant la grossesse à ces polluants pourrait avoir des répercussions sur la santé de l’enfant et de la mère, confirme l’une des auteurs, Clémence Fillol, responsable de l’unité surveillance biologique des expositions et des effets. Mais il est encore trop tôt pour mesurer les effets sanitaires sur les enfants. » Les 4 145 femmes étant incluses à la cohorte Elfe (étude longitudinale française depuis l’enfance) qui suit plus de 18 000 enfants nés en 2011, ils pourront être mis en évidence dans les prochaines années.

A l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), on rappelle que « les risques sont bien connus » et que l’exposition aux métaux contenus dans les produits de la mer ne se résume pas pour les enfants aux neuf mois de grossesse mais aux habitudes alimentaires de la mère bien avant la conception et après la naissance pour celles qui allaitent.

Deux portions de poisson par semaine

L’Agence prépare de nouvelles recommandations pour 2018. Mais déjà, depuis cette année, le Programme national nutrition santé préconise pour la population globale de limiter la consommation de poisson à deux portions par semaine dont un gras (maquereau ou sardine).

Cette nouvelle étude risque de troubler un peu plus le message de santé publique répété pendant des années selon lequel il fallait privilégier le poisson à la viande. « Le problème, c’est que contrairement à la viande, le poisson apporte certains acides gras qui ne sont pas substituables mais que, manque de chance, ils sont très contaminés », explique-t-on à l’Anses.

« C’est une question très difficile », estime la biologiste Barbara Demeneix (CNRS-Muséum national d’histoire naturelle), qui vient de publier Cocktail toxique. Comment les perturbateurs endocriniens empoisonnent notre cerveau (Odile Jacob). « On trouve beaucoup de mercure dans les gros poissons en bout de chaîne alimentaire comme le thon et l’espadon et en même temps les bienfaits du poisson sont très importants, relativise-t-elle. Les poissons de mer contiennent du sélénium [un élément], qui est important pour activer l’hormone thyroïdienne et neutraliser le mercure en le complexant chimiquement. » Les huîtres, aussi, sont riches en sélénium.