Environnement et facteurs dégradant la santé

Libération -Une étude établit un lien entre la maladie et la consommation d’aliments transformés, comme les sodas ou les plats cuisinés.

Février 2018, par Info santé sécu social

Un rapport important mais à prendre avec prudence.

Cancer et alimentation : du crabe ou du cochon ?

Après le sucre, le sel, les additifs, les excipients, la viande rouge, sans oublier les maîtres en la matière que sont l’alcool et le tabac, voilà que les plats industriels augmenteraient le risque d’être atteint d’un cancer. En ligne de mire : les « AUT », pour aliments ultratransformés. Selon une vaste étude française, présentée spectaculairement dans le très sérieux British Medical Journal, il y aurait ainsi « une association entre cette consommation d’aliments ultratransformés et le sur-risque de développer un cancer ».

Que dit l’étude ?
Cette étude est imposante. Elle a été réalisée dans l’Hexagone auprès de 105 000 personnes, associant des chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et de l’université Paris-XIII (Centre de recherche épidémiologie et statistique Sorbonne-Paris Cité). Mais elle s’avère au minimum frustrante. Entrons dans les détails. De 2009 à 2017, les participants à l’étude NutriNet-Santé, une vaste cohorte nationale dans laquelle on cherche à étudier les relations entre la nutrition et la santé, ont périodiquement rempli des questionnaires en ligne sur ce qu’ils mangeaient. Dans cette masse de données, les chercheurs se sont intéressés à ce qu’ils appellent les « aliments ultratransformés ». Leur hypothèse de départ : ces aliments, variés et pas toujours bien définis (lire ci-contre), « contiennent souvent des quantités plus élevées en lipides, lipides saturés, sucres et sels ajoutés, ainsi qu’une plus faible densité en fibres et vitamines ». Pour exemple, ils citent les pains industriels, sucreries, desserts, céréales, boissons sucrées, viandes transformées (boulettes, nuggets, jambon avec additifs, etc.), mais aussi les pâtes et soupes instantanées, plats surgelés ou en barquette, etc.

Sur huit ans, 2 228 cas de cancers ont été diagnostiqués et validés. Les chercheurs ont pointé qu’« une augmentation de 10 % de la proportion d’aliments ultratransformés dans le régime alimentaire se révélait être associée à une augmentation de plus de 10 % des risques de développer un cancer au global et un cancer du sein en particulier ». Pour tous types de cancers, ce risque s’accroît de 6 à 18 %. Pour le cancer du sein, la hausse serait de 2 à 22 %. Et ces résultats sont restés significatifs « après prise en compte d’un grand nombre de facteurs sociodémographiques et liés au mode de vie, et également en tenant compte de la qualité nutritionnelle de l’alimentation ».

La faute à qui ?
Ce ne sont que des hypothèses. D’abord, « on peut supposer que la moins bonne qualité nutritionnelle globale des aliments ultratransformés est en cause », note l’Inserm, mais elle ne serait pas la seule impliquée. L’étude évoque également des mécanismes mettant en jeu d’autres composés (comme les additifs, voire les substances formées lors des process industriels ou enfin des matériaux au contact des aliments). Une moins bonne qualité nutritionnelle peut en tout cas entraîner une prise de poids qui, en elle-même, constitue un surrisque de cancer. Tout se tient. « Inversement, l’apport en fibres alimentaires diminue le risque de cancer colon rectal », notent les chercheurs. Or il y en a moins dans l’alimentation industrielle. Enfin, l’étude met en avant le fait que « la transformation des aliments et en particulier leur cuisson produisent des contaminants nouvellement formés » et qu’en outre leur emballage plastique peut contenir du bisphénol A, perturbateur endocrinien bien connu.

On l’a compris, tout peut se mélanger. Et les certitudes ne sont pas établies : « Ces résultats doivent être considérés comme une première piste d’investigation et doivent être confirmés dans d’autres populations d’étude. Notamment, le lien de cause à effet reste à démontrer », précise l’Inserm dans un communiqué, qui ajoute que d’autres études « sont nécessaires afin de mieux comprendre l’impact relatif des différentes dimensions de la transformation des aliments (composition nutritionnelle, additifs alimentaire, matériaux de contact et contaminants néoformés) dans ces relations ».

Y a-t-il des biais ?
Dans un éditorial, le BMJ souligne que l’étude ne propose qu’une première observation, qui « mérite une exploration attentive et plus poussée ». Pour la revue, d’autres facteurs peuvent entrer en jeu, car « le tabagisme et une activité physique faible sont bien plus répandus chez les participants qui consomment une plus grande proportion d’aliments ultratransformés ». Autre biais éventuel, le terme même d’AUT, alambiqué et « peu utilisé par les scientifiques de la nutrition », a relevé un professeur en diététique du King’s College de Londres, Tom Sanders, pour qui « cette classification semble arbitraire et fondée sur le postulat que les aliments traités industriellement ont une composition nutritionnelle et chimique différente de ceux produits à la maison ou par des artisans. Ce qui n’est pas le cas ». Pas toujours, pourrait-on préciser.

Bref, cela fait beaucoup de points d’interrogation. L’équipe qui a réalisé l’étude le sait, elle lance d’ailleurs un nouveau programme sur les additifs, « dont l’objectif principal sera d’évaluer les expositions alimentaires usuelles à ces substances et d’étudier leurs effets potentiels sur la santé et la survenue de maladies chroniques ». Pour cela, les chercheurs vont se montrer plus précis, en incluant par exemple les marques et noms commerciaux des aliments industriels consommés. « Ce dernier point est fondamental pour estimer l’exposition aux additifs au niveau individuel, étant donné la grande variabilité des compositions entre les marques. »

Quel bilan tirer ?
Les études sur l’alimentation qui reposent sur de vastes cohortes laissent régulièrement l’observateur sur sa faim. Des faits apparaissent, on évoque des liens, mais finalement, qu’est-ce qu’une causalité ? En médecine, la causalité doit être reproductive. Impossible en l’espèce : cela nécessiterait de retrouver plus de 100 000 personnes et de les exposer exactement aux mêmes habitudes alimentaires. Marcel Goldberg, professeur de biostatistique et d’informatique médicale, fait partie de la plateforme de recherche Cohortes en population du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations. « Les questions autour de l’alimentation sont très complexes, nous dit-il. Déjà, les questionnaires par Internet peuvent être un biais : les personnes qui répondent ont souvent des profils particuliers. » Et ce n’est pas tout. « Quand une étude réunit 100 000 sujets, tout peut devenir significatif. Quel recul avoir ? Nous, on a travaillé sur les risques professionnels en raison d’exposition à des produits éventuellement toxiques. On a éliminé les dix dernières années d’exposition, par manque de recul… » Avancer avec prudence : la recommandation vaut particulièrement en matière d’habitudes alimentaires, sujet ultrasensible s’il en est.

Eric Favereau