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66 millions d’impatients - Genre et santé : encore trop d’inégalités

Février 2018, par Info santé sécu social

Les stéréotypes liés au genre influencent de façon importante le regard des soignants vis-à-vis de leurs patients. Ces derniers sont par ailleurs susceptibles d’exprimer leur trouble de façon différente. Pour les femmes, et pour les hommes aussi, il résulte de ce constat un défaut de prise en charge de certaines pathologies qui peut coûter cher.

Catherine Vidal est neurobiologiste, directrice de recherche honoraire à l’Institut Pasteur et membre du comité d’éthique de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Elle est l’auteure d’un ouvrage (1) portant sur les inégalités liées au genre en matière de santé. De quoi est-il question ? Nous l’avons rencontrée.

" Le poids des représentations sociales est un facteur majeur d’inégalités entre les sexes dans l’accès aux soins et la prise en charge médicale ".

66 Millions d’IMpatients – Comment qualifier l’état de santé des femmes aujourd’hui ?

Catherine Vidal L’espérance de vie dans les pays occidentaux est plus longue que celle des hommes. Les garçons nés en 2016 peuvent compter vivre 79 ans, les filles 85 ans. Cela dit, elles passent aussi plus d’années qu’eux en mauvaise santé et présentent des taux de morbidité bien différents de ceux des hommes, aux différents stades de la vie et pour nombre de pathologies. C’est un constat largement documenté. Elles décèdent moins que jadis des suites de grossesse mais davantage de pathologies autrefois considérées comme masculines. Elles meurent plus tard mais elles soufrent plus, notamment de maladies chroniques qui se manifestent par des symptômes affectant considérablement leur qualité de vie. En matière de santé, femmes et hommes ne sont pas logés à la même enseigne, non seulement pour des raisons biologiques mais aussi pour des raisons sociales, culturelles et économiques. N’oublions pas que les femmes sont les premières victimes de précarité économique ce qui les pousse à renoncer aux soins.

66M – Vous décrivez une inégalité des genres en matière de santé. De quelle manière se manifeste-t-elle ?

CV – Les différences de prévalence des maladies entre les sexes se retrouve dans quasiment tous les champs de la médecine, au-delà du domaine de la reproduction : asthme, cancer, maladies des systèmes cardio-vasculaires et immunitaires, diabète, obésité, arthrose… Mais les différences en question ne sont pas forcément d’origine biologique. Les codes sociaux de féminité (fragilité, sensibilité, expression verbale) et de masculinité (virilité, résistance au mal, prise de risque) influencent l’expression des symptômes, le rapport au corps, le recours aux soins de la part des personnes malades. Autrement dit, les patients eux-mêmes expriment différemment leurs symptômes selon les normes sociales du genre auquel ils appartiennent. De même, chez les médecins et le personnel soignant les stéréotypes de genre influencent l’interprétation des signes cliniques et les diagnostics. Les stéréotypes de sexe, l’un « fort », l’autre « faible » imprègnent encore les mentalités. Le poids des représentations sociales est un facteur majeur d’inégalités entre les sexes dans l’accès aux soins et la prise en charge médicale.

66M – Quelles pathologies témoignent plus particulièrement de ces inégalités ?

CV – Un exemple très frappant est celui du sous-diagnostic de l’infarctus du myocarde chez les femmes. C’est un fait peu connu : les maladies cardiovasculaires constituent la première cause de mortalité des femmes, bien avant le cancer du sein par exemple. Elles sont plus vulnérables aux maladies cardio-vasculaires que les hommes : 56 % en meurent contre 46% de ces derniers. La raison couramment invoquée tiendrait à la ménopause susceptible de favoriser l’hypertension, l’obésité et autres troubles métaboliques. Cette hypothèse ne fait pas consensus. Par contre, il est largement reconnu que les normes sociales et les stéréotypes liés au sexe jouent sur l’attitude des patients et du corps médical. L’infarctus du myocarde est considéré, à tort, comme une maladie masculine, caractéristique des hommes d’âge moyen stressés au travail. Une patiente qui se plaint d’oppression dans la poitrine se verra plus fréquemment prescrire des anxiolytiques, alors qu’un homme sera dirigé vers un cardiologue.

Une étude canadienne a montré que les femmes qui se présentent aux urgences pour une suspicion d’infarctus sont moins vite prises en charge et diagnostiquées que les hommes. Cette enquête a été menée sur plus de 1 000 patients hospitalisés au Canada, aux Etats-Unis et en Suisse. Elle indique qu’en moyenne, les femmes sont 29% à passer un électrocardiogramme en moins de 10 minutes contre 38% pour les hommes. Les représentations sociales, le plus souvent inconscientes entrainent aussi des biais de diagnostic pour les hommes. L’ostéoporose est sous diagnostiquée chez eux car considérée, comme une maladie de femmes ménopausées, ce qui est faux. Un tiers des fractures de la hanche chez les hommes est du à l’ostéoporose.

66M – Un autre exemple ?

CV – On commence depuis peu à en parler, le cas de l’autisme est aussi un exemple flagrant de l’inégalité de prise en charge entre les hommes et les femmes. Les troubles autistiques sont en moyenne quatre fois plus fréquents chez les garçons que chez les filles. Là encore, les raisons de cette différence de prévalence restent hypothétiques : origine génétique, trouble du développement in utero, facteurs hormonaux, psychologiques etc. Les normes sociales liées au genre constituent une piste pertinente pour expliquer cette différence. Le retrait sur soi ou le défaut d’interactions sociales sont considérés chez une petite fille comme de la réserve et de la timidité. Ces mêmes attitudes sont davantage interprétées comme un indice de trouble de la communication chez les garçons. Pourquoi ? Parce qu’elles se trouvent en décalage des représentations sociales des comportements des garçons, censés être plus expansifs et dynamiques. Conséquence : l’autisme est sous-diagnostiqué chez les filles. Et quand le trouble est identifié, il l’est bien plus tard chez les filles que chez les garçons. Dans une vaste enquête américaine menée auprès de 14 000 enfants présentant des troubles autistiques avérés, seulement 18% des filles avaient été détectées dès le plus jeune âge contre 37% des garçons.

66M – Quelles actions préconisez vous de mettre en œuvre afin d’améliorer la prise en charge des problèmes de santé chez les femmes ?

CV – L’inégalité entre les sexes vis-à-vis de la santé est le résultat d’une interaction complexe entre des facteurs biologiques, sociaux, culturels et économiques. Les normes sociales et les stéréotypes liés au genre font encore obstacle à une prise en charge efficace et équitable de pathologies graves telles que les maladies cardiovasculaires, l’ostéoporose, la dépression, etc. Ces maladies ont des coûts humains et financiers qui pèsent lourd sur la société. Mais ce n’est pas tout de faire ce constat, encore faut-il proposer des pistes d’action. Il est essentiel, à mon sens, d’organiser de façon systématique des formations de tous les personnels de santé pendant leurs études et tout au long de leur vie professionnelle afin de les sensibiliser à ces questions. Il est tout aussi important d’informer le grand public, en particulier d’inciter les femmes à surveiller leur cœur et les hommes à faire vérifier leur squelette ! A noter que le comité d’éthique de l’Inserm travaille à promouvoir le sujet avec notamment la production d’une série de vidéos intitulée « Genre et Santé : attention aux clichés ! »*. L’objectif est de contribuer à construire une médecine plus égalitaire au service de la santé des femmes et des hommes.

(1) Femmes et santé, encore une affaire d’hommes ? Catherine Vidal et Murielle Salle, Edition Belin, Octobre 2017, 80 pages, 6,5 €

* La série aborde 6 thèmes : dépression, durée de vie, maladies cardio-vasculaires, ostéoporose, douleur et imagerie cérébrale. Elle a été réalisée à l’initiative du comité d’éthique de l’Inserm et de son groupe de travail « Genre et recherche en santé ».