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Médiapart - Chômage : Aurélien Taché : « En matière de protection sociale, on prône un système plus universel »

Mars 2018, par Info santé sécu social

28 MARS 2018 PAR MANUEL JARDINAUD ET MATHILDE GOANEC

Le projet de loi réformant l’assurance chômage et la formation est désormais sur la table, à peu près conforme aux arbitrages gouvernementaux dévoilés début mars. Le futur rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, le député LREM Aurélien Taché, assume les risques du changement de modèle voulu par Matignon.

Le gouvernement présentera normalement le 18 avril son projet de loi réformant l’assurance chômage, la formation professionnelle et l’apprentissage. Le texte, dévoilé mardi par Le Monde avant son passage devant le Conseil d’État, ne contient pas de grosses surprises par rapport aux premiers arbitrages gouvernementaux, détaillés dans plusieurs de nos articles, sur le contrôle des chômeurs notamment ou encore l’avenir du compte personnel de formation.
Deux nouveautés cependant : alors que Matignon confirme vouloir limiter le recours aux contrats courts en demandant au patronat de réfléchir, branche par branche, à un système de bonus-malus, voire de l’imposer par décret, il sort de son chapeau une mesure jamais discutée jusqu’ici : la possibilité de modifier le mode d’indemnisation des « permittents », ces demandeurs d’emploi qui cumulent chômage et revenus du travail.

Ils fournissent une partie des bataillons des catégories B et C, ces personnes qui oscillent entre l’activité salariée et Pôle emploi. Selon l’avant-projet de loi, les modifications de ce régime seront prises par décret, donc à l’issue du débat parlementaire. D’après nos informations, la Cour des comptes s’apprête, officiellement de sa propre initiative, à rendre un rapport sur ces fameux « permittents » et leur coût pour l’Unédic.

Autres mesures inconnues au bataillon, différentes modalités pour favoriser la « mobilité des fonctionnaires », dans une loi qui, de prime abord, ne les concerne pas. Si un agent se met en disponibilité pour exercer un autre emploi, ses droits à l’avancement de carrière seront maintenus pendant cinq ans maximum. Et en cas de retour dans la fonction publique, son passage dans le privé pourra favoriser une promotion. Alors que les fonctionnaires protestent contre une réforme de leur statut, le gouvernement a pu avoir envie de faire un geste dans leur direction.

Comme prévu, les démissionnaires ainsi que les indépendants intègrent le régime, mais pour une portion congrue. Sur la philosophie générale du texte, le gouvernement est droit dans ses bottes, malgré les alertes des partenaires sociaux : le financement et la gouvernance de l’assurance chômage changent de nature, avec le passage progressif de la cotisation sociale vers la CSG, et un cadrage budgétaire fixé par le gouvernement avant chaque négociation.

Aurélien Taché, futur rapporteur de la loi à l’Assemblée nationale, assume ce changement radical de modèle, où la protection sociale des demandeurs d’emploi est financée par l’impôt, ce qui ne garantit plus forcément un niveau d’indemnisation identique à celui en cours aujourd’hui. Il dépendra désormais des choix budgétaires de chaque gouvernement en exercice.

Entretien.

Aurélien Taché  : Il faut remettre cette question dans un contexte global. On va passer dans un système beaucoup plus universel qu’aujourd’hui. Tout le monde aura droit à l’assurance chômage, avec des droits nouveaux, parce que nous considérons qu’il faut sortir d’une logique de statut pour aller vers une logique de protection des individus. Et mieux prendre en compte les nouvelles précarités. Par exemple, comment justifier encore le statut des cheminots au regard de celui des travailleurs des plateformes ou des auto-entrepreneurs ? Il faut qu’il y ait une protection universelle globale. Il est anormal que certains soient complètement exclus de la protection, et ce n’est pas normal que certains aient une protection liée à un statut spécifique, comme celui de cheminot. C’est juste d’aller vers cela et ce n’est pas tirer vers le bas. C’est avoir une protection liée au niveau de revenu fiscal. Entre travailleurs indépendants et salariés, à revenu équivalent, il faut une protection équivalente. C’est cela la justice sociale à mon sens.

Quel est le lien entre le statut des cheminots et celui des travailleurs indépendants ? Chacun, en particulier parmi les salariés, est protégé à hauteur des luttes et des acquis au fil du temps…

En matière de protection sociale, on prône un système plus universel et moins assurantiel qui soit basé sur le niveau du revenu. C’est cela que l’on veut faire pour l’assurance chômage. Sur la question des retraites, on souhaite qu’un euro cotisé donne le même droit, quel que soit le métier exercé. Pour le chômage, pour moi, c’est identique. D’une manière générale, cette vision-là s’oppose plutôt à ce qu’il y ait des statuts spécifiques prévus par la loi, pour les uns ou pour les autres. On essaie d’aplanir les choses pour avoir un système plus égalitaire. Dans une telle logique, pour répondre à la question initiale sur le contrôle des chômeurs, où l’on ouvre plus de droits pour les démissionnaires et sur la formation, où l’on veut faciliter des parcours non linéaires, où l’on va demander au service public de l’emploi de faire beaucoup plus qu’aujourd’hui et d’avoir un accompagnement renforcé, il doit y avoir un peu plus d’efforts demandés à ceux qui recherchent.

Le taux de fraude des demandeurs d’emploi percevant une allocation chômage est extrêmement faible. Pourquoi donc insister sur cet aspect, alors que l’essentiel réside dans l’accompagnement ?

Si on regarde les chiffres de Pôle emploi finement, en fait, il y a 66 % des demandeurs d’emploi qui recherchent normalement, pour qui il n’y a rien à dire. Et il reste 34 %, dont 10 % posent effectivement un problème, plus 20 % qui se disent découragés. Lors de l’expérimentation de Pôle emploi, lorsque cette proportion a été contrôlée, les gens se sont remobilisés.

C’est donc bien une question d’accompagnement et non de contrôle

C’est un peu la même chose… Contrôle ne veut pas dire sanction. Contrôle veut dire « Aller vers » et remobiliser 20 % des gens. Et trouver la toute petite minorité, qui n’est pas démobilisée mais qui touche des indemnités sans chercher de boulot. Je précise par ailleurs que, la plupart du temps, il s’agit de cadres, des gens avec un bon niveau de revenus, qui attendent les derniers mois de chômage parce qu’ils peuvent se le permettre. Ces mesures-là ne vont donc pas viser les plus modestes, contrairement à ce que j’entends, mais ceux qui, d’une certaine manière, profitent du système, même si je n’aime pas cette expression. Nous mettons cela en place dans une approche pragmatique, je n’en fais pas un totem idéologique. C’est comment on passe à cette logique universelle, aller trouver ceux et celles qui avaient un peu baissé les bras et, pour la toute petite minorité de cherchant pas de travail, avoir des sanctions plus intelligentes.

Comment allez-vous définir ce qui relève des offres d’emploi acceptables ou raisonnables ?

Aujourd’hui, par exemple, vous avez des offres qui se trouvent à 30 km du domicile d’un demandeur d’emploi, à 70 % du salaire, et on veut obliger le chômeur à l’accepter. C’est bête et méchant, cela ne fonctionne pas. Demain, l’idée sera de dire : vous définissez avec votre conseiller vraiment ce que vous voulez, quel type d’emploi vous cherchez, où vous êtes prêt à aller travailler géographiquement. Et sur la base de ce projet personnalisé, il y aura un accompagnement, un suivi renforcé. Attention à ne pas résumer trop vite le contrôle à quelque chose qui serait seulement d’ordre idéologique. C’est bien une réforme d’ensemble.

Mais en passant d’un système assurantiel à un système dit « universel », comment pouvez-vous garantir que le niveau de protection et des indemnités ne diminuera pas ?

Par la démocratie. Ce modèle, qui est dit béveridgien, comporte deux versions. L’une très minimale, très libérale, à l’anglaise. Et une version maximale, à la scandinave. Dans les deux cas, c’est l’impôt qui finance la protection sociale, ce ne sont plus les cotisations – ce qui permet de baisser le coût du travail et à l’emploi de repartir. Le niveau de protection est fixé chaque année dans le projet de loi de finances, le PLF. Ce sont les députés qui auront été élus qui fixeront le niveau.

Si demain une crise financière se déclenche, que ferez-vous budgétairement pour garantir un niveau de protection aux demandeurs d’emploi, qui seront plus nombreux ?

Si une crise a lieu, il y a une majorité en responsabilité et qui devra faire des choix. Un système qui est financé par l’impôt, qui est proposé aux Français dans le cadre d’une campagne électorale, il pourra être sanctionné. Moi je fais campagne pour un niveau de protection qui me semble bon, même plutôt élevé. C’est ce que je défendrai lors de la discussion du PLF. Et si les Français pensent que c’est trop élevé ou pas assez, ils me donneront tort au moment des prochaines élections. Emmanuel Macron a toujours défendu ce type de modèle durant sa campagne, nous l’assumons. Je suis persuadé que c’est la meilleure solution face à une logique assurantielle gérée par une espèce de paritarisme qui ne représente plus grand-chose et qui est assez peu lisible. Demain, on aura un système plus universel, plus démocratique, mieux contrôlé par le citoyen. Et plus juste car fondé sur le niveau de revenu.

Quid des 15 milliards mis sur la table pour financer ce nouveau modèle concernant la formation professionnelle ?

Le plan d’investissement des compétences, l’argent est là, on aura la trajectoire budgétaire. C’est le cœur de notre politique sociale. Ce qui est structurant, c’est ce nouveau droit à la formation, avec un CPF qui n’est plus une coquille vide, avec des possibilités de reconversion, pour les démissionnaires notamment. Il y a aussi à regarder ce que l’on va faire sur les contrats courts, sur l’emploi de qualité, sur la manière dont nous facilitons l’accès au CDI et sur, éventuellement, la manière dont les entreprises qui ne jouent pas le jeu sont pénalisées.

Pourtant le bonus-malus a été renvoyé à des discussions par branche. Vous n’imposez rien aujourd’hui aux entreprises.

Je pense que, soit les entreprises jouent le jeu, soit à un moment on se donne les moyens de faire respecter cet engagement. Mais on essaie de faire confiance au dialogue social pour co-construire la norme sociale. Laisser une chance aux branches de se mettre d’accord, cela ne me paraît pas saugrenu. En revanche, derrière, nous devrons prendre nos responsabilités si cela ne suit pas, parce que c’est l’un de nos engagements forts.