Politique santé sécu social de l’exécutif

JIM - Acool : Agnès Buzyn met plus que de l’eau dans son vin

Mars 2018, par Info santé sécu social

Paris, le mercredi 28 mars 2018 –

C’est une institution qu’Agnès Buzyn a présidée ; une étape de son parcours qu’elle rappelle fréquemment avec fierté. L’Institut national du cancer (InCA) présentait hier quelques données sur la prévalence des cancers en France. Cette communication a été l’occasion pour l’organisation de revenir sur un point à ses yeux essentiel : la lutte contre l’alcool. Et l’INCA n’a pas hésité à rappeler un élément remis en cause au plus haut niveau de l’État ces derniers jours : « Ce n’est pas « l’abus d’alcool » qui est à risque mais une consommation, même faible ». Aussi, l’organisation invite-t-elle à « construire une politique publique cohérente » et insiste encore sur le fait que « la politique de prévention relève de la responsabilité pleine et entière des pouvoirs publics ».

Morts évitables

La prévention a de fait semblé faire figure de priorité gouvernementale lundi, à l’occasion de la présentation d’un plan doté de 25 mesures, concernant tous les âges de la vie. Pourtant, si la prévention a pour objet principal de réduire le nombre de morts prématurés évitables, un sujet devait nécessairement être abordé : l’alcool. C’est, avec le tabac, l’un des premiers responsables de décès précoces évitables. Or, si lutte contre la consommation d’alcool n’est pas absente des préconisations du gouvernement, les mesures ne concernent que les femmes enceintes et les plus jeunes. Rien pour les adultes, rien pour la consommation "ordinaire" qui peut se transformer en fléau.

Mesures cosmétiques

Ces lacunes ont été fortement regrettées par plusieurs médecins spécialistes de santé publique et de lutte contre les addictions. Neuf d’entre eux ont adressé une lettre à Agnès Buzyn déplorant un plan « bien en deçà de la gravité du problème ». « La responsabilité de l’alcool dans les dommages sanitaires et sociaux est du ressort de la puissance publique. L’État ne peut se limiter à des mesures cosmétiques face aux encouragements forcenés à consommer qui se multiplient », écrivent encore ces praticiens.

Sans modération

Pourtant, il y a quelques semaines, certains avaient espéré qu’Agnès Buzyn, toujours solidement attachée à son passé de présidente de l’INCA, serait ce porte-parole attendu de la lutte contre l’alcool, là où ses prédécesseurs s’étaient laissés imposer des impératifs économiques bien éloignés des considérations de santé publique. Sur France 2, le 7 février, le ministre remarque que le slogan qui figure aujourd’hui sur les bouteilles d’alcool n’est pas adapté : « Avec modération (…) c’est un mauvais mot ; "l’alcool est mauvais pour la santé" serait le vrai message de santé publique » observe-t-elle espérant que le quinquennat permettra de faire évoluer cette situation. Agnès Buzyn s’inscrit ainsi dans la lignée des recommandations de nombreux spécialistes de santé publique et entre autres du Haut conseil de la santé publique (HCSP).

N’emmerder personne

Désormais, pourtant, il n’en est plus question. Déjà, dimanche, avant la présentation du plan prévention, Agnès Buzyn faisait son "mea culpa". « Le Président a raison quand il dit qu’il ne faut pas emmerder les Français. Les Français n’ont pas besoin d’être emmerdés, mais faire de la pédagogie et de l’information, çà n’emmerde personne et c’est ma façon de faire de la santé publique », précisait-elle sur France Inter se montrant bien moins combattive. Hier, elle confirmait qu’elle avait totalement baissé les armes. Interrogée sur RTL sur sa volonté de faire évoluer le message figurant sur les bouteilles d’alcool qui précise que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé, elle ne retient plus comme il y a un mois que c’est la consommation même qui est problématique. Remplacer le message actuel par « l’alcool nuit à la santé » « peut laisser penser qu’on est pour une action de prohibition, c’est-à-dire qu’on ne veut pas d’alcool du tout, or ce n’est pas le cas aujourd’hui. C’est une recommandation du Haut conseil de santé publique, mais je pense qu’il faut informer les Français sur le fait que l’alcool nuit à la santé de manière proportionnelle à la dose et que chacun doit être en capacité de choisir ». L’évolution est saisissante et ne peut que décevoir certains médecins (et rassurer les viticulteurs et les alcooliers) . Néanmoins, refusant de renoncer à leur lutte, les spécialistes de santé publique espèrent qu’un véritable virage sera amorcé à l’occasion de la présentation en avril du plan addiction*.

A suivre.

* Les signataires sont le Pr Michel Reynaud, président du Fonds action addiction, les président et vice-président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) Nicolas Simon et Bernard Basset, Irène Frachon (pneumologue à Brest), Catherine Hill et Serge Hercberg (épidémiologistes), Amine Benyamina (psychiatre, addictologue), Albert Hirsch (Ligue contre le cancer) et Gérard Dubois (Académie de médecine).

Aurélie Haroche