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Le Monde.fr : Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat aux personnes handicapées : « Permettre à tous les enfants autistes d’entrer à la maternelle »

Avril 2018, par infosecusanté

Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat aux personnes handicapées : « Permettre à tous les enfants autistes d’entrer à la maternelle »

LE MONDE

06.04.2018

Propos recueillis par Pascale Santi et Sandrine Cabut

Fortement attendue par les familles et les professionnels, la stratégie nationale pour l’autisme devait être présentée, vendredi 6 avril, par le premier ministre, Edouard Philippe, et Sophie Cluzel, la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées.

Après trois plans autisme depuis 2005, une concertation nationale avait été lancée en juillet 2017 par le président de la République, Emmanuel Macron. Celle-ci a été pilotée par Claire Compagnon, déjà auteure d’un rapport en tant qu’inspectrice générale des affaires sociales. Sophie Cluzel dévoile les grandes lignes de cette stratégie.

La France est toujours pointée du doigt pour le retard dans le diagnostic et la prise en charge de ces troubles du neuro-développement. En quoi cette stratégie nationale diffère-t-elle des politiques précédentes ?

C’est le fer de lance de la politique du handicap que l’on veut mener pendant ce quinquennat. Les précédents plans autisme concernaient le domaine médico-social ; aujourd’hui l’enjeu est l’implication de tous les ministères, aussi bien la santé que l’éducation nationale, l’emploi, la recherche, la culture, le sport… C’est ainsi que les personnes handicapées seront considérées avant tout comme des personnes, citoyens d’une société inclusive. Pour cela, le budget 2018-2022 sera de 344 millions d’euros, presque deux fois plus que le précédent plan.

Nous avons étendu la stratégie à tous les troubles neurodéveloppementaux reconnus par les nomenclatures internationales, comme le trouble du déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH) ou les déficiences intellectuelles. Cet élargissement de focale était nécessaire pour ne pas passer à côté de certaines situations en matière de repérages, de troubles associés. La prévalence des troubles du spectre autistique est de 1 %, celle des troubles du neurodéveloppement de 5 %.

Vous évoquez 1 % d’autistes, soit environ 700 000 personnes en France, mais il n’y a pas de recensement. Comment agir sans connaître précisément les besoins ?

Un pour cent, c’est la prévalence moyenne au niveau international. Il est vrai que la France manque de statistiques fiables, d’abord parce qu’il n’existait pas de système d’information unique des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Les MDPH sont pourtant des sources de données précieuses pour savoir où sont les personnes, leur prise en charge, leurs besoins, les places disponibles…
Depuis mon arrivée, j’ai accéléré le déploiement d’un système d’information commun, pour disposer notamment d’un état des lieux d’ici à deux ans. Par ailleurs, nous allons lancer un appel d’offres pour constituer une cohorte qui permettra de recueillir des données épidémiologiques, le suivi, l’impact social sur les familles. Plus généralement, le développement de la recherche sur ces troubles est le premier des cinq engagements de cette stratégie.

L’intervention précoce des troubles autistiques est aussi l’une de vos priorités. Avec quelle organisation ?

L’objectif est d’initier un accompagnement dès les premiers troubles, avec un minimum de reste à charge pour les familles. Dans beaucoup de pays, on n’attend pas que le diagnostic soit stabilisé pour intervenir. C’est la clé pour éviter les pertes de chances et permettre à ces enfants de rentrer à l’école maternelle.
En France, un goulot d’étranglement s’est créé au niveau des Centres ressources autisme (CRA), qui sont devenus des lieux de diagnostic pour toutes les situations alors que leur mission première était d’être un pôle de référence pour les cas complexes.

De nombreuses personnes sont en capacité d’alerter quand le développement d’un enfant s’écarte de la norme : professionnels de la petite enfance, médecins généralistes, pédiatres… Ils devront aussi savoir écouter l’inquiétude des parents. Les professionnels de la petite enfance vont être formés, les généralistes et pédiatres, responsabilisés. Ces praticiens ont les connaissances et des outils comme le carnet de santé pour s’inquiéter si un bébé de quelques mois ne réagit pas à son nom, s’il ne fixe pas l’attention…

Des plates-formes autisme-TND (troubles du neurodéveloppement) vont être créées pour confirmer l’alerte des professionnels de première ligne, et diriger immédiatement les enfants vers des psychomotriciens, psychologues… L’accompagnement débutera avant même d’avoir un diagnostic précis et un bilan complet.

Actuellement, beaucoup de ces prises en charge sont assurées par des professionnels libéraux, non remboursés. Nous créons des « forfaits intervention précoce » pour diminuer drastiquement le reste à charge ; 90 millions d’euros y seront consacrés.

Le nombre d’enfants autistes aujourd’hui scolarisés en France, même s’il a beaucoup augmenté, reste peu élevé, à 45 000, que préconisez-vous ?

En effet, là où le Royaume-Uni scolarise 70 % des enfants autistes, nous sommes à un petit 40 %, avec des ruptures de parcours. Or, l’école est la clé de l’inclusion sociale. L’obligation de scolarisation à 3 ans s’appliquera à tous, grâce à des modalités d’accueil spécifiques comme les unités d’enseignement maternel, dont le nombre va être triplé.

Les enseignants seront aussi appuyés par des professionnels formés. Pour cela, on va casser les murs, adosser les établissements médico-sociaux aux groupes scolaires et instaurer une vraie coopération entre le monde médico-social et le monde scolaire. La scolarisation de tous peut sembler ambitieuse, mais une prise en charge précoce permet de réduire les troubles du comportement qui sont souvent un frein pour la présence en classe.

De nombreux rapports ont pointé le manque de structures pour prendre en charge les adultes autistes – 600 000 au total –, qu’est-il envisagé pour les renforcer ?
De la même façon que l’on veut que les enfants aillent à l’école, l’idée est d’accompagner tous les adultes qui veulent et peuvent sortir des institutions, en facilitant leurs parcours de vie. Ils sont aujourd’hui invisibles avec une prise en charge inadéquate dans trop d’établissements. Une majorité d’entre eux n’a même pas été diagnostiquée et prend beaucoup de médicaments.
Il faut aussi prouver aux familles qu’on peut circuler en milieu ordinaire, en organisant des parcours, avec des services d’accompagnement, pour l’emploi, l’habitat… et des solutions pour permettre de vivre chez soi. Il existe par exemple des systèmes de colocation. C’est capital car l’autisme est un vecteur d’isolement social.

Vous vous engagez à soutenir les familles et à reconnaître leur expertise. Comment comptez-vous procéder ?

Elles doivent vraiment bénéficier d’un soutien. Nous allons mettre en place une plate-forme de répit par département en se fondant sur ce qui fonctionne, comme en Normandie, ou à Lyon métropole.

Par ailleurs, les familles sont souvent en déshérence et ne savent pas où s’adresser. Aujourd’hui, l’offre de soins est illisible, on voit même des présentations d’établissements « pour débiles profonds » ! En tant que parent, vous partez en courant. La stratégie comporte plusieurs mesures pour mieux informer et former les aidants. L’expertise parentale doit être mise en valeur. Toute la préparation de cette politique s’est d’ailleurs faite en concertation avec des représentants des familles, et des personnes autistes.

20 mesures et cinq engagements

La stratégie nationale comporte 20 mesures, résumées en cinq engagements : renforcer la recherche et les formations, mettre en place des interventions précoces, garantir la scolarisation effective des enfants et des jeunes, favoriser l’inclusion des adultes, soutenir les familles.
Définition
D’une grande diversité, l’autisme est un trouble neurodéveloppemental qui peut se manifester entre 1 et 2 ans, selon la Haute Autorité de Santé. Il peut affecter le langage, la sociabilité, le développement moteur et sensoriel.
Chiffres clés :
700 000 : estimation du nombre de personnes atteintes d’autisme en France, dont 100 000 enfants (un sur cent)
4/5 : proportion des garçons dans les troubles autistiques
446 jours : délai moyen d’attente pour accéder au diagnostic dans un Centre Ressources Autisme (CRA)
12 000 : nombre d’ élèves autistes à l’école élémentaire
3 000 euros : reste à charge des familles en moyenne par an.
0,5 % des autistes travaillent en milieu ordinaire