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Médiapart - Réforme de l’assurance chômage, l’Etat met les partenaires sociaux au chômage

Avril 2018, par Info santé sécu social

6 AVRIL 2018 PAR DAN ISRAEL

La ministre du travail a présenté vendredi 6 avril la réforme de l’assurance chômage, qui arrivera en juin au Parlement. Les représentants des salariés et du patronat voient leurs marges de manœuvre fortement réduites. Le risque existe que l’État décide seul de réduire les montants accordés aux chômeurs.

Un texte qui « apporte de nouveaux droits pour tous les actifs ». Et qui permet à l’État de prendre largement les rênes de l’assurance chômage, comme jamais depuis sa mise en place dans sa forme actuelle, en 1958. La ministre du travail Muriel Pénicaud a présenté ce vendredi 6 avril le projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », qui remodèle en profondeur les règles régissant l’assurance chômage, mais aussi la formation professionnelle (lire notre article à ce sujet). Il devrait être présenté en conseil des ministres le 27 avril, puis examiné au Parlement à partir de juin.

L’une des promesses phares de campagne d’Emmanuel Macron ne sera pas tenue : on reste très loin de la mise en place d’une assurance chômage « universelle ». Le nouveau dispositif devrait permettre à moins de 30 000 indépendants de bénéficier des droits au chômage (sur 2,8 millions d’indépendants, dont 400 000 micro-entrepreneurs). Il devrait aussi s’ouvrir à 20 000 ou 30 000 démissionnaires au maximum (pour 400 000 salariés claquant la porte de leur entreprise tous les ans, et alors que 50 000 d’entre eux sont déjà indemnisés, car ils le font pour des motifs jugés légitimes). Le projet de loi lui-même assume ce recul, puisque le chapitre concerné ne parle dès son titre que d’« une indemnisation du chômage plus universelle ».

En revanche, un deuxième axe porté pendant la campagne présidentielle sera bien tenu : on assiste à un profond changement de philosophie sur le sujet. Désormais, les syndicats et le patronat ne géreront plus de façon indépendante l’assurance chômage ; c’est l’État qui prend la main sur ses règles et sa gestion. Et il se ménage un champ très large de possibilités d’intervention, que ce soit sur le budget accordé à Pôle emploi chaque année, sur le montant des allocations versées aux demandeurs d’emploi ou sur le profil même des Français qui y auront droit.

Premier étage de ce chamboulement historique : comme Mediapart l’a déjà détaillé, le gouvernement a engagé une baisse des cotisations sociales payées par les salariés, qui sera compensée par une hausse d’un impôt, la CSG. C’est la fin de ce qu’on nomme le modèle assurantiel : aujourd’hui, quand un salarié touche son salaire, une partie de l’argent versé par l’entreprise est déduit au nom des cotisations chômage. Et c’est à ce titre qu’il pourra toucher des droits au chômage s’il perd son emploi (à condition qu’il ait cotisé au moins quatre mois). En fait, les salariés placent une partie de leur rémunération dans une assurance, qui leur garantit des revenus en cas de chômage. Ces revenus varient en fonction du montant et de la durée des salaires perçus.

Les cotisations chômage sont donc généralement considérées, par les syndicats mais aussi par les comptables ou même la justice, comme un « salaire différé ». En taillant dans les cotisations salariales et en faisant monter en puissance l’impôt, payé par tous, dont les retraités qui ne bénéficieront jamais du chômage par définition, Emmanuel Macron met un terme à ce système.

Conséquence logique de cette transformation, et deuxième coup de boutoir porté contre le système actuel, le gouvernement s’invite à la table des négociations, entre les représentants des salariés et du patronat. Jusque-là, les partenaires sociaux négociaient jusque-là entre eux, et uniquement entre eux, les règles d’indemnisation des chômeurs et les conditions y donnant accès. C’est ce qu’on appelle le paritarisme.

Le gouvernement n’a jamais fait mystère de sa volonté de mettre à bas ce mode de gouvernance, et a longtemps laissé planer le doute sur ses intentions, qui auraient pu aller jusqu’à une disparition totale du paritarisme. La logique est simple. Demain, ce sera l’impôt des citoyens qui financera les allocations chômage, et non plus les allocations des salariés. Il est donc légitime que l’État, qui lève l’impôt et redistribue les sommes récoltées, ait un droit de regard sur les règles de l’assurance chômage. Dit plus brutalement, comme l’a glissé un membre de l’exécutif au Monde, « l’État entre au capital de l’Unédic », l’organisme qui gère les sommes allouées aux chômeurs.

Devant la levée de boucliers des syndicats, mais aussi du patronat, l’exécutif a finalement adouci son projet. Le texte de loi confirme les partenaires sociaux dans leur rôle, mais les place en quelque sorte sous tutelle : lors de leur négociation annuelle, ils devront respecter une lettre de cadrage leur dictant les sommes qu’ils auront le droit de dépenser, mais aussi, « le cas échéant, les objectifs d’évolution des règles du régime ».

Interrogée lors de la conférence de presse de ce vendredi sur ce point qu’elle s’était bien gardée de mettre en avant, Muriel Pénicaud a confirmé : « Nous avons finalement choisi de ne pas nationaliser l’AC, mais bien que l’État puisse avoir un rôle de régulateur, ce qui est le cas dans quasiment tous les pays européens », a-t-elle déclaré, estimant « logique qu’il y ait un certain encadrement » des négociations.

Les partenaires sociaux sont quant à eux loin d’être ravis. « Nous pensons qu’il faut des corps intermédiaires sur tout un tas de sujet. L’assurance chômage est un cas d’école, jugeait il y a quelques jours François Asselin, le dirigeant de la CPME, qui représente les petites entreprises. L’État s’immisce dans des prérogatives qui ne sont pas les siennes, et il le fait déjà sur le dos des partenaires sociaux. » La CPME ne cache pas son irritation, et menace de quitter la table de l’Unédic.

« Si notre rôle, c’est d’appliquer des consignes et d’être des faire-valoir, à quoi bon rester à la table des négociations ? L’État prend la main, qu’il assume », lâche François Asselin, qui assure arriver « à un point de rupture ». Le Medef, qui représente les plus grandes entreprises, est sur la même ligne, mais la ministre du travail a refusé de répondre aux questions sur ce point, bottant en touche au prétexte que l’équipe dirigeante du Medef arrive en fin de mandat cet été.

L’inquiétude est partagée par les syndicats. Denis Gravouil, le chef de file de la CGT pendant les négociations, dénonce lui aussi « une mise sous tutelle, qui était déjà actée de fait avec la suppression des cotisations des salariés ». Mais il signale que la situation est au moins clarifiée. « La laisse est courte, mais en un sens, cela a un côté moins hypocrite, juge-t-il. Cela fait longtemps que le gouvernement a un œil sur les négociations, et il est déjà fréquent que les partenaires sociaux discutent avec lui en amont de la signature de leurs accords. »

Mais ce n’est pas tout, l’État s’est ménagé d’autres possibilités de contrôler les règles de l’assurance chômage. Si en cours d’année après la négociation des partenaires sociaux, les paramètres retenus coûtent trop cher, ou « si la trajectoire financière décidée par le législateur dans le cadre des lois financières évolue significativement », le premier ministre pourra demander aux syndicats et au patronat de revoir leur copie, pour rentrer dans les clous. À notre connaissance, cette possibilité n’avait jamais été mentionnée avant la diffusion de ce texte.

Et si l’Etat réduisait le montant des allocations chômage ?
Une autre possibilité de changer les règles par décret crée une très grande méfiance de la part des syndicats. Elle concerne les modifications possibles, par décret, des conditions dans lesquelles certains demandeurs d’emploi sont indemnisés. Cette nouvelle mesure, apparue le 27 mars dans l’avant-projet de loi, s’inscrit dans les débats autour du « bonus-malus », qui pourrait être appliqué aux entreprises en fonction de leur propension à recourir à des contrats courts à répétition, plutôt qu’à des contrats stables.

Le sujet est majeur : le nombre d’embauches en CDD de moins d’un mois a presque triplé depuis le début des années 2000, et les trois quarts de ces contrats sont des embauches régulières d’un même salarié chez son employeur (notamment dans la restauration et le bâtiment).

Le gouvernement est resté très mesuré face aux employeurs, qui freinent des quatre fers devant toute régulation potentielle de cette pratique. Les branches professionnelles ont jusqu’à décembre 2018 pour réfléchir à une manière de réduire l’utilisation des contrats courts. Si les résultats obtenus sont jugés insuffisants, le gouvernement annonce alors qu’il pourra utiliser une mesure de rétorsion, en augmentant les cotisations sociales payées par les entreprises qui en abusent.

Mais en complément, l’exécutif se réserve donc la possibilité de modifier le mode d’indemnisation des demandeurs d’emploi cumulant chômage et revenus du travail, et ce « entre le 1er janvier 2019 et le 30 juin 2019 ». Ces demandeurs d’emploi fournissent une partie des bataillons des catégories B et C, qui oscillent entre salariat et Pôle emploi. D’après nos informations, la Cour des comptes travaille d’ailleurs, officiellement de sa propre initiative, sur un rapport consacré à ces travailleurs, et à leur coût pour l’Unédic.

Officiellement, ce décret qui arriverait avant la mi-2019, est censé « combattre la précarité », mais aussi supprimer certains « effets pervers » du système actuel, où dans certain cas très limités, alterner chômage et contrats courts rapporte un tout petit peu plus qu’un contrat de plusieurs mois.

Cette idée était déjà présente dans le programme de campagne d’Emmanuel Macron, détaillé ici. Elle révolte les syndicats, y compris ceux qui analysent avec le plus d’indulgence les réformes impulsées par le président. « Si une branche négocie un accord sur la taxation des contrats courts, elle pourra aussi décider de diminuer les indemnités pour les “permittents” [qui enchaînent les CDD, ndlr]…, anticipe Michel Beaugas, le négociateur en chef de FO. Une forme de contrepartie aux “bonus malus” sur les CDD, c’est en tout cas qui s’amorce. »

La numéro deux de la CFDT, Véronique Descacq, ne cache pas non plus son mécontentement, dans un article publié sur le site du syndicat. « Vouloir diminuer les droits des demandeurs d’emploi en tapant sur les plus précaires est inacceptable. Ce n’est ni ce que l’on avait négocié ni ce sur quoi le gouvernement s’était engagé », cingle-t-elle. Selon la CFDT, les chômeurs cumulant une partie de leurs allocations avec leur revenu d’activité sont aujourd’hui 854 000 personnes. Des discussions sur ce point ont eu lieu jusqu’au dernier moment entre le ministère du travail, Bercy et l’Élysée, mais la mesure a été maintenue.

La crainte des représentants des salariés est simple : en se laissant la possibilité de réduire l’indemnisation des demandeurs d’emploi qui travaillent un peu durant le mois, l’État cherche tout simplement à contenir l’enveloppe des dépenses, au moment où des démissionnaires et des indépendants pourront entrer dans le système.

Au-delà de ce simple cas, certains observateurs craignent de toute façon que l’État, qui aura désormais les mains presque libres, décide dans les mois ou années à venir de réduire les montants offerts aux demandeurs d’emploi. Puisqu’ils n’auront plus cotisé pour avoir le droit au chômage, il devient moins compliqué d’assimiler les allocations qui leur sont versées à un filet de sécurité minimal. Filet qui pourrait être égal pour tous, quelles que soient les conditions d’emploi précédentes. Et qui pourrait surtout être ajusté à la baisse, en cas de difficultés budgétaires. La CGT rappelle qu’« en Allemagne, la définition légale de l’allocation chômage est une “garantie du minimum vital pour ceux qui n’ont aucune autre ressource”, c’est-à-dire aucune épargne ».

Le syndicat trouve un allié inattendu sur ce point, à Pôle emploi. Un de ses hauts responsables avoue une certaine inquiétude, dans une période où le nombre des chômeurs de catégorie A pourrait diminuer de façon conséquente. « Avec le système actuel, ces nouveaux salariés auraient payé des cotisations qui auraient alimenté les caisses de l’Unédic, et permis de constituer des réserves. Désormais, c’est l’État qui encaissera plus de CSG, et rien ne l’obligera à redistribuer ensuite cet argent vers le système du chômage », alerte ce spécialiste.

Des craintes qu’Aurélien Taché, le député qui sera le rapporteur du projet de loi sur l’assurance chômage à l’Assemblée, ne cherche guère à dissiper. Dans un entretien à Mediapart le 28 mars, le parlementaire assumait que dans le nouveau système, « le niveau de protection est fixé chaque année dans le projet de loi de finances » et que ce sont les députés « qui fixeront le niveau » de l’enveloppe dédiée à l’assurance chômage (comme ils le font pour les dépenses de santé).

Et en cas de crise financière, lorsque l’État aura besoin de ressources et sera tenté de couper dans la protection sociale pour équilibrer son budget, comment garantir cette enveloppe ? Ce sera impossible. « Si une crise a lieu, il y a une majorité en responsabilité et qui devra faire des choix », répond Aurélien Taché. Ouvrant du même coup la porte à des inquiétudes sans fin pour les demandeurs d’emploi et ceux qui les défendent.