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Le Monde - Retraites, allocations, institutions : trois grandes promesses qui pourraient virer au casse-tête

Mai 2018, par Info santé sécu social

LE MONDE | 07.05.2018 | Par Adrien Sénécat
Les décodeurs

Moralisation de la vie politique, ordonnances sur le droit du travail, SNCF… le gouvernement a multiplié les fronts au cours de la première année du quinquennat. Mais malgré cette profusion de lois sur des sujets variés, il est loin d’avoir épuisé le programme sur lequel Emmanuel Macron s’est engagé. Trois grandes réformes qui se profilent à l’agenda s’avèrent particulièrement sensibles.

1. Les défis du système « universel » des retraites
Ce qu’Emmanuel Macron a promis

« Nous créerons un système universel des retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé », affirmait, sur son site, le candidat d’En marche ! pendant la présidentielle. « Nous ne toucherons pas à l’âge de départ à la retraite, ni au niveau des pensions », s’engageait-il également dans son programme.

L’idée est que tout citoyen alimente une forme de compte virtuel tout au long de sa vie active à chaque fois qu’il cotise (y compris lorsque ces cotisations sont prises en charge par l’Etat, par exemple, pour les périodes de chômage). Au moment de prendre sa retraite, les droits accumulés sont traduits en une pension, selon un coefficient de conversion calculé à partir de l’âge de départ en retraite et de l’année de naissance.

Selon la formule promue par Emmanuel Macron, le système des retraites resterait « un régime par répartition », où ce sont les cotisations des actifs qui financent les pensions de leurs aînés. Pas question non plus de modifier les droits de « ceux qui sont à moins de cinq ans de la retraite ». Le futur chef de l’Etat évoquait pendant la campagne une transition « progressive, sur une période d’environ dix ans », précisant que « la réforme ne commencera à s’appliquer qu’au cours de la législature suivante », soit après 2022.

Où en est la mesure ?

Emmanuel Macron a rappelé cette promesse d’aboutir à un « système universel » dans son entretien télévisé sur BFM-TV et Mediapart, le 15 avril, affirmant qu’il n’y aura « plus de régimes spéciaux » de retraites, puisque ces derniers convergeront dans « dix ans » environ. Le gouvernement a précisé le calendrier envisagé dans la foulée : huit mois de concertation sont prévus et la réforme pourrait être « votée en 2019 ».

C’est Jean-Paul Delevoye, haut commissaire à la réforme des retraites, qui pilote, pour l’heure, les négociations. Il a commencé à recevoir dix organisations syndicales salariales et patronales, qui sont consultées sur six grandes thématiques d’ici à la fin de l’année. Le site Participez.reforme-retraite.gouv.fr doit également permettre aux citoyens de donner leur avis à partir de la mi-mai.

Qu’est-ce qui coince ?

« Plus simple », « plus égalitaire », « plus transparent »… Les grandes lignes de la réforme prônée par la communication gouvernementale sont plutôt consensuelles. Le détail des discussions pour passer du système actuel au nouveau l’est, en réalité, beaucoup moins.

Malgré la volonté de formuler une règle de calcul universelle, il faudra bien que celle-ci prenne en compte de nombreuses situations spécifiques. On peut citer les congés maternité, les périodes de maladie, la prise en compte de la pénibilité ou les possibilités de cotiser à des taux différents. « Tout ça est à discuter », reconnaissait Emmanuel Macron, le 15 avril, évoquant, par exemple, la possibilité de majorer les droits des pompiers volontaires.

Quel que soit le détail des arbitrages, il devrait bien y avoir des gagnants (ceux dont la situation sera mieux valorisée par la nouvelle formule) et des perdants (ceux pour qui les anciennes règles étaient plus favorables) à l’arrivée. Parmi les cas potentiellement litigieux, on trouve celui des fonctionnaires, dont la retraite est aujourd’hui calculée sur les six derniers mois de fonctions. Supprimer cette règle sans compensation sur les salaires en cours de carrière plomberait, de fait, les retraites d’une partie des intéressés.

Par ailleurs, le futur système des retraites devrait, dans les grandes lignes, inciter à retarder l’âge de départ à la retraite pour bénéficier d’une pension plus élevée. D’autant plus que l’espérance de vie devrait être prise en compte dans le calcul dans le coefficient de conversion. Une manière de retarder l’âge de départ à la retraite sans y contraindre les salariés.

La complexité de cette réforme, ajoutée au fait qu’elle touche la future retraite de dizaines de millions de Français, en fait un dossier particulièrement sensible.

2. Le « versement social unique », un chantier tentaculaire
Ce qu’Emmanuel Macron a promis

« Nous créerons un versement social unique. Toutes les allocations sociales (APL, RSA, etc.) seront versées le même jour du mois, un trimestre maximum après la constatation des revenus [contre jusqu’à deux ans aujourd’hui] », écrivait le candidat dans son programme, précisant, par ailleurs, sur son site qu’il serait « automatique ». L’un des avantages vantés par le candidat étant de lutter contre le non-recours aux aides sociales, qui fait notamment qu’autour d’un tiers des bénéficiaires potentiels du RSA n’usent pas de ce droit.

Le gouvernement n’a pas précisé l’ensemble des modalités de la mesure pour l’heure. Interrogé à ce sujet, le cabinet de la ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn a expliquer découper la mesure en trois grands chantiers :

Le versement des aides sociales « en une fois » (reste à définir s’il s’agira de plusieurs versements le même jour ou d’un seul) ;
Le versement « automatique » de ces aides sans autre démarche qu’une première déclaration, selon le ministère, ce qui est déjà le cas pour les prestations familiales mais est prévu pour le RSA et la prime d’activité ;
La création d’une « base ressources » unique pour les différentes aides (c’est-à-dire de créer une déclaration de ressources unique pour différentes aides). Ce volet « est engagé » pour les APL et pourrait être étendu « à partir de 2020 » aux autres aides sociales.
Sur le calendrier général, le ministère reste prudent, évoquant une réforme qui est engagée et « pourra aboutir d’ici fin 2020 ».

Qu’est-ce qui coince ?

La mesure pose, en réalité, de nombreuses questions. Il faudra d’abord préciser la liste exacte des prestations concernées. Là où le programme présidentiel ne mentionnait explicitement que les aides personnalisées au logement (APL), le RSA et la prime d’activité, il existe, en réalité, des dizaines d’aides dans des sphères différentes : les aides à la santé, les aides à la famille, les aides aux agriculteurs, aux demandeurs d’asile, aux personnes en situation de handicap, les bourses étudiantes…

Or, toutes ces aides sont versées par une multitude d’organismes différents et sur des critères souvent différents. Par exemple, pour les conditions de ressources, certaines aides retiennent, pour leur calcul, le revenu fiscal de référence de l’année précédente, d’autres se basent sur les revenus des trois derniers mois, d’autres encore les revenus d’il y a deux ans, etc.

Au ministère, on explique que la liste exacte des aides concernées n’est pas arrêtée pour l’heure. Dans tous les cas, créer un versement unique et automatique des aides sociales nécessite une bonne dose d’harmonisation, voire la création d’un guichet unique chargé de distribuer ces aides. Avec de fortes problématiques techniques jamais simples à gérer pour des chantiers de telle envergure, comme l’a montré l’échec de l’opérateur national de paie, un projet informatique qui visait à établir le bulletin de salaire de l’ensemble des fonctionnaires, enterré en 2014, après avoir coûté au moins 346 millions d’euros. Là encore, tous les détails de mise en œuvre n’ont pas encore été établis.

Cette réforme aurait, par ailleurs, un coût considérable puisqu’elle reviendrait à verser les minimums sociaux à un plus grand nombre de personnes qui y ont droit et ne le demandent pas aujourd’hui, comme le relevait le rapport du député Christophe Sirugue, en 2016. Ce dernier jugeait néanmoins que cette dépense serait pleinement « justifiée ». Sauf qu’Emmanuel Macron n’a pas chiffré précisément d’enveloppe allouée au versement social unique dans son programme.

3. La réforme des institutions face à des obstacles politiques
Ce qu’Emmanuel Macron a promis

La réforme des institutions reprend notamment trois promesses présidentielles : la réduction d’un tiers du nombre de parlementaires, l’introduction d’une dose de proportionnelle dans l’élection des députés et la limitation du cumul des mandats dans le temps.

Où en est la mesure ?

Le gouvernement a annoncé, début avril, les grandes lignes de sa réforme :

une réduction de 30 % du nombre de députés et sénateurs ;
l’introduction d’une dose de 15 % de proportionnelle aux législatives ;
la limitation à trois mandats consécutifs maximum pour les parlementaires et présidents d’exécutif locaux (hors maires de communes de moins de 9 000 habitants).
Edouard Philippe a, par ailleurs, affirmé vouloir qu’elle soit « parachevée » en 2019.

Qu’est-ce qui coince ?

L’introduction d’une dose de proportionnelle aux législatives relève de la loi ordinaire et peut donc être adoptée en dernier recours par les seuls députés de la majorité.

La réduction du nombre de parlementaires et la limitation dans le temps du cumul des mandats relèvent, en revanche, de la loi organique et doivent être approuvées par le Sénat, car il est concerné par ces dispositions. De même, d’autres dispositions prévues dans le cadre de la réforme des institutions nécessitent de modifier la Constitution, ce qui implique un vote en des termes identiques à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Les sénateurs de droite, qui sont majoritaires et pour partie hostiles à la réforme, peuvent donc y faire obstacle. A moins que le gouvernement ne décide de le contourner et d’organiser un référendum sur ces questions, un processus qui aurait, là aussi, son lot d’incertitudes.