Europe

Le Monde - En Pologne, l’avortement pour risque de handicap mis en cause – « Les médecins ont peur »

Juin 2018, par Info santé sécu social

Mercredi 23 mai 2018, par IWANIUK Jakub

Le gouvernement ultraconservateur, bien que tenté de restreindre le droit à l’IVG, temporise face au débat porté par les milieux «  anti-choix  ».

Les ultraconservateurs du PiS (Droit et justice) au pouvoir à Varsovie durciront-ils la loi encadrant l’avortement, déjà l’une des plus restrictives d’Europe ? L’homme fort du pays, Jaroslaw Kaczynski, le sait : ce dossier est socialement explosif, et de nature à porter un coup dur à la cote de popularité de son gouvernement, toujours élevée. La majorité, qui se retrouve sous pression de l’Eglise et des organisations « anti-choix », se serait bien passée de cet encombrant débat.

Une mobilisation importante de femmes, en octobre 2016, avait déjà fait échouer un premier projet de loi d’initiative citoyenne qui visait à une interdiction totale de l’avortement. En novembre 2017, les associations catholiques sont revenues à la charge, et ont déposé au Parlement un texte soutenu par les signatures de 850 000 citoyens, visant à supprimer une des trois exceptions dans lesquelles l’avortement est autorisé.

L’avortement est permis dans trois cas seulement en Pologne : quand il existe une forte probabilité de handicap ou de maladie incurable du fœtus, quand la vie ou la santé de la femme enceinte est menacée, et quand la grossesse est le résultat d’un viol ou d’inceste. Le projet de loi déposé vise à supprimer l’exception pour risque de handicap, que les associations catholiques qualifient d’« avortement eugénique ». De leur point de vue, il s’agirait de protéger les enfants handicapés, en particulier ceux atteints de trisomie.

« Les médecins ont peur »

« Ce projet est une initiative citoyenne, et il n’y a pas actuellement de position du gouvernement à son sujet, se défendait en mars la vice-ministre de la santé, Jozefa Szczurek-Zelazko, tout en indiquant que le parti au pouvoir se prononce pour « la protection de la vie, de la conception jusqu’à la mort naturelle ».

Si elle venait à entrer en vigueur, cette loi reviendrait quasiment à interdire l’interruption de grossesse dans le pays, car 96 % du millier d’avortements pratiqués légalement chaque année en Pologne concernent précisément des fœtus atteints de handicap ou de malformation grave.

Le projet de loi est aujourd’hui retenu en commission parlementaire, et la majorité semble jouer le temps, au grand dam des organisations « anti-choix ». Les proches de Jaroslaw Kaczynski essayent de les persuader qu’une remise en cause des exceptions actuelles, fruit d’un compromis entre l’Eglise et l’Etat en 1993 après la fin du régime communiste sous lequel l’avortement était possible, pourrait aussi conduire à une plus grande libéralisation en cas d’alternance politique.

Mais les parlementaires les plus conservateurs ont trouvé une parade. Cent députés ont interpellé le Tribunal constitutionnel pour savoir si l’exception de handicap prévue dans la loi était constitutionnelle. Or la plus haute cour est aujourd’hui acquise à la majorité. Un tel jugement pourrait non seulement interdire cette exception, mais aussi obliger les partisans d’une plus grande libéralisation à réunir une majorité constitutionnelle des deux tiers du Parlement à l’avenir.

SEULE CONSOLATION POUR LES ORGANISATIONS FÉMINISTES, DEPUIS QUE LE DÉBAT SUR L’IVG A ÉTÉ RELANCÉ, LES MENTALITÉS SEMBLENT ÉVOLUER

Les associations féministes soulignent que la loi actuellement en vigueur est bien plus restrictive dans la pratique que sur le papier, du fait de la stigmatisation qu’elle suscite. « Il existe un effet de paralysie, indique Liliana Religa, de l’Association pour les femmes et le Planning familial (Federa). Les médecins ont peur de faire des interventions ou même d’émettre des autorisations. Les procédures sont volontairement retardées. Il y a aussi beaucoup d’abus de la clause de conscience des médecins, qui est parfois appliquée à tout un hôpital, ce qui est illégal. »

Le pays connaît ainsi un phénomène de déserts médicaux concernant l’IVG : dans certaines régions, aucun hôpital ne la pratique. Les avortements clandestins sont, quant à eux, estimés entre 80 000 et 150 000 par an, essentiellement sous forme de « tourisme » abortif ou de pharmacologie commandée depuis l’étranger sur Internet.

Seule consolation pour les organisations féministes, depuis que le débat sur l’IVG a été relancé, les mentalités semblent évoluer. Selon un sondage Ipsos datant de janvier, 37 % des sondés se prononceraient pour une libéralisation de l’avortement – contre 20 % historiquement –, 43 % pour le statu quo et 15 % pour une plus grande restriction. « Les manifestations de masse ont eu une grande influence sur ce changement, estime Mme Religa. Quand le débat est sur la place publique et que des histoires concrètes de femmes sont racontées dans les médias, cela change beaucoup. »

Jakub Iwaniuk (Varsovie, correspondance)