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L’Express.fr : Budget : révélations sur les stratégies de Pénicaud et Buzyn

Août 2018, par infosecusanté

Budget : révélations sur les stratégies de Pénicaud et Buzyn

Corinne Lhaïk , Laurent Léger

Gel du RSA, fins des alloc’pour les familles aisées, indemnités journalières financées par les patrons. Elles sont contre !
On sait que les arbitrages budgétaires donnent souvent lieu à des échanges musclés entre les ministres et la tête de l’exécutif : L’Express s’est procuré des documents confidentiels illustrant à la fois la vivacité des arguments et leur grand classicisme.
Les notes dont nous divulguons la teneur datent du mois de juillet, alors que la fabrication de la loi de finances pour 2019 bat son plein. Elles sont écrites par Agnès Buzyn, ministre des Solidarités de la Santé, et par Muriel Pénicaud, ministre du Travail, et sont adressées soit au président de la République et au Premier ministre, soit à celui-ci seulement.

Deux budgets au coeur des économies programmées par le gouvernement. Agnès Buzyn est aux commandes de la sphère sociale, soit la moitié des dépenses publiques. Muriel Pénicaud est sur le front de l’emploi et de la lutte contre le chômage, deux domaines qu’Emmanuel Macron a promis de réformer. D’ailleurs les deux membres du gouvernement ont assisté à la réunion d’arbitrage du 22 août à l’Elysée, avec Emmanuel Macron, Edouard Philippe, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances, et Gérald Darmanin, celui de l’Action et des Comptes publics.

Un gel de l’ensemble des prestations envisagé

Dans deux lettres confidentielles, Agnès Buzyn s’élève contre des mesures envisagées pour son ministère : le gel du RSA et la suppression des allocations familiales pour les plus aisés. Selon nos informations, la ministre s’est montrée convaincante et elle pourrait bien remporter une double victoire.

Dans la première note (celle sur le RSA), en date du 5 juillet, Agnès Buzyn confirme une piste déjà évoquée par la presse : l’ensemble des prestations sociales pourrait bien subir un gel (pas d’augmentation pour tenir compte de l’inflation) ou une sous indexation (une hausse inférieure à celle de l’inflation) pour 2019 et 2020. A l’exception de trois allocations qu’Emmanuel Macron a promis de revaloriser (bien au-delà de l’inflation) durant son quinquennat : le minimum vieillesse, la prime d’activité et l’allocation adultes handicapés.

Il est déjà arrivé que le montant des allocations familiales ne soit pas augmenté de l’inflation. Il est arrivé la même chose aux pensions : en 2014, en 2016, et de nouveau en 2018. Chaque année, sous tous les gouvernements, le sujet revient sur le tapis : c’est une manière mécanique de faire des économies. Emmanuel Macron a pourtant juré de ne pas recourir à ces coups de rabot, mais nécessité ( réduire les déficits publics) pourrait faire loi. Toutefois, il semble bien que jamais l’ensemble des prestations n’ait été touché en même temps. Une mesure les frappant toutes serait d’une ampleur inédite.

Aussi Agnès Buzyn est-elle très claire : "Je souhaite que le revenu de solidarité active [le RSA] soit exclu de la liste des prestations sociales dont l’évolution ne suivra pas celle des prix à la consommation." La ministre insiste sur le profil des bénéficiaires : 21% de femmes isolées avec enfants et 15 % de jeunes entre 25 et 29 ans. Elle souligne, argument traditionnel d’un ministre défendant le statu-quo, le faible bénéfice attendu. "Un gel de la prestation en avril 2019 [date de revalorisation du RSA] conduirait à une économie modeste de 135 millions d’euros en 2019 et de 180 millions en 2020. En cas de gel durant deux années, l’économie pour 2020 s’élève à 300 millions." Et d’ajouter : "L’intégralité de ces économies profitera aux départements qui sont aujourd’hui financeurs de la prestation." Une manière de dire que l’Etat récolterait les ennuis politiques sans encaisser le gain financier ?
Le risque politique est souligné par la ministre : au moment où sera annoncé la stratégie de lutte contre la pauvreté [à la mi-septembre], cette mesure serait "difficile à porter". La ministre contredit par avance l’argument que le gouvernement sera tenté d’avancer. A savoir : "Le renforcement des mesures d’insertion permettra à court terme de diminuer significativement le nombre de bénéficiaires du RSA." Agnès Buzyn estime que certains titulaires de cette prestation sont dans une situation sociale tellement difficile qu’ils ne peuvent pas s’en sortir par leurs propres moyens.

Buzyn rappelle les promesses de Macron

Dans une lettre datée du 18 juillet, la ministre refuse également la suppression de l’universalité des allocations familiales. Actuellement, elles sont versées à tous (à partir de deux enfants), même si leur montant varie, depuis 2015, en fonction des ressources du ménage. Cette question est au coeur du débat politique _ elle a enflammé les députés LREM en mars dernier.
L’idée envisagée par le gouvernement est de supprimer complètement ces allocations à partir d’un certain niveau de revenus. La ministre constate que plusieurs mesures ont déjà renforcé le ciblage de la politique familiale en faveur des plus modestes. Elle rappelle que le candidat Macron a promis de ne pas modifier le montant du quotient familial, ni celui des allocations familiales. "Mettre fin à l’universalité de ces dernières décevrait donc une attente légitime des Français dans ce domaine", martèle la ministre des Solidarités dans le document consulté par L’Express. Agnès Buzyn rappelle les efforts déjà consentis une économie de 500 millions d’euros ( à horizon 2022) sur l’accueil des enfants de moins de trois ans.
Là encore, elle souligne la faiblesse des économies à espérer : ciblée sur les familles gagnant plus de 5 600 euros de revenus avec deux enfants [le seuil de revenus augmenterait avec le nombre d’enfants], la mesure permet de faire 400 millions d’euros d’économies. Augmenter le seuil à 7 400 euros rapporte 150 millions. La ministre souligne que la perte par famille est d’autant plus élevée que leur nombre d’enfants est important.

Muriel Pénicaud manie l’arme politique

Muriel Pénicaud, elle aussi, manie l’arme politique. Dans une note du 24 juillet, elle met en parallèle les économies qu’on lui demande et les annonces du plan pauvreté. Celui-ci prévoit le financement de 5 000 emplois par an pendant quatre ans dans le domaine de l’insertion par l’activité économique. Mais les crédits alloués ne permettent d’en financer que 1 660, affirme la ministre du Travail. Là encore, les contre-arguments du gouvernement sont balayés : certes, ce secteur bénéficiera l’an prochain d’une baisse des charges d’une centaine de millions d’euros. Mais la ministre dit redouter la lecture des associations du secteur qui ne manqueront pas de déplorer ce décalage entre les intentions et la réalité.
Elle déplore également une ambigüité sur les effectifs de Pôle emploi qui doivent baisser, mais dans des proportions telles que l’organisme ne serait pas en mesure, selon elle, de remplir les nouvelles missions qu’on lui fixe, notamment dans le cadre du plan pauvreté.

Toujours dans la note du 24 juillet, Muriel Pénicaud prend clairement position contre une autre idée d’économies du gouvernement : transférer le financement d’une partie des arrêts de travail ( du 4ième au 7ième jour) de la Sécurité sociale aux entreprises.

La ministre détaille les raisons de ce transfert envisagé ( 930 millions d’euros) : responsabiliser les entreprises sur le coût des arrêts courts ( 47 % du total des arrêts) en les incitant à traiter les causes du phénomène à la racine : on imagine qu’elle fait allusion à des conditions de travail éprouvantes.

Quand la ministre écrit des phrases en gras...

L’ancienne DRH de Danone n’a pas l’air de prendre ces arguments très au sérieux. Elle estime que "ce présupposé n’est pas documenté de façon robuste et sérieuse par la littérature économique." Et surtout, cette mesure "risque de mettre un coup d’arrêt net à la perception d’un gouvernement "pro-business"". Cette phrase est d’ailleurs soulignée en gras, de même que celle-ci : "C’est "l’effet ordonnances travail" [ le premier chantier de Muriel Pénicaud après sa nomination] et fiscalité pro-investissement qu’on risque de mettre à bas."

Au moment où le gouvernement a demandé aux partenaires sociaux de négocier de nouvelles règles de l’assurance-chômage, elle redoute un blocage. Du patronat qui, selon elle, ne prendra pas le moindre risque dans cette négociation si on le taxe de 930 millions ; des syndicats, en particulier Force ouvrière , la CGT et la CFE-CGC, qui protesteront contre ce désengagement de la Sécurité Sociale.
Dans sa soif de convaincre, la ministre fait appel à un "allié" inattendu : François Fillon. "L’opposition devrait s’empresser de faire le parallèle entre la mesure et le programme présidentiel de François Fillon." Probablement parce que le candidat LR à la présidentielle, pendant la primaire de la droite, proposait que la Sécurité sociale ne rembourse plus les petits risques.

Au cas où elle perdrait son arbitrage, la ministre propose l’option du moindre mal : présenter ce transfert comme une solution ultime au cas où les partenaires sociaux ne trouveraient pas une autre source d’économies par la négociation.

L’art de cacher les moutons sous le tapis

La ministre évoque ensuite le financement de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), versée aux chômeurs ayant épuisé leurs droits. Elle affirme que les moyens nouveaux qui lui sont alloués sont en baisse de 148 millions d’euros par rapport aux besoins tels qu’établis par les prévisions. La ministre est peut-être tactique : en écrivant noir sur blanc que le budget de départ est insuffisant, elle sera en position de force pour réclamer l’argent manquant au cas où les prévisions se réalisent.
Si tel n’est pas le cas, elle n’aura besoin de rien réclamer et tout ira bien. A une condition : que l’ensemble du gouvernement surveille son "wording" [ son langage, en bon français]. "Cette différence de 148 millions d’euros n’est pas repérable, à condition que le discours tenu par l’ensemble du gouvernement consiste à bien dire que l’ASS n’est pas modifiée par le PLF [projet de loi de finances]." Car cette allocation fait partie des sujets examinés dans le cadre de la négociation sur les nouvelles règles de l’assurance-chômage, à partir de fin septembre. Si jamais les partenaires sociaux apprennent que l’ASS est d’ores et déjà sous dotée, ils ne voudront pas entrer dans la négociation. De l’art de cacher les moutons sous le tapis...