Psychiatrie, psychanalyse, santé mentale

Médiapart. Blog Social en question - La pédopsychiatrie « perdue » en rase campagne

Novembre 2018, par Info santé sécu social

27 nov. 2018 Par YVES FAUCOUP

Les pouvoirs publics réduisent les moyens de la pédopsychiatrie, en particulier en milieu rural où de nombreux centres médico-psychologiques ferment. Les autorités prônent le maintien en milieu naturel tout en cassant les dispositifs d’accompagnement au point que l’objectif à terme de privatisation du secteur parait évident. Des psychologues de Midi-Pyrénées livrent ici leur point de vue.

Il est souvent rappelé que la France fut à la pointe de l’approche ambulatoire des problèmes de santé mentale, par un texte prévoyant dès 1960 la "sectorisation" c’est-à-dire la couverture du territoire de dispensaires d’hygiène mentale, devenus en 1986 centres médico-psychologiques (CMP), présents dans chaque département. Même si la lourdeur du secteur psychiatrique fermé a fait que cette sectorisation ne s’est pas réalisée du jour au lendemain, on avait là tout de même une évolution positive, qui, autant que possible, s’opposait à l’internement des malades.
Parallèlement, dans d’autres secteurs, on constatait aussi une volonté de ne pas exclure et enfermer : dans la même période, on a assisté dans le domaine de la protection de l’enfance à l’apparition des mesures sociales et éducatives à domicile.
Depuis le retour en force des politiques économiques dites "libérales" (en gros : réduire les dépenses sanitaires et sociales pour permettre aux détenteurs de capitaux de faire davantage de profits ce qui les incitera, promettent-ils, à investir et donc à booster l’économie et donc à réduire le chômage), le maitre-mot des décideurs est de sabrer partout dans les dépenses y compris dans celles qui manifestement favorisent un mieux-vivre pour ceux qui en bénéficient.

"Les gamins à la niche"
Non seulement des hôpitaux psychiatriques souffrent de ces réductions drastiques (autant que les hôpitaux généraux, même si on en parle moins), mais les services de suivi psychiatrique en milieu ouvert, les CMP, sont également menacés, certains ayant déjà fermé, comme dans la région du Rouvray (ou certains personnels soignants se sont mis en grève de la faim) ou à Bruyères dans les Vosges où le CMP accueillait 240 enfants et adolescents en souffrance psychique, contraints d’aller voir ailleurs.

A la niche les gamins ! Le billet de Nicole Ferroni © France Inter
https://blogs.mediapart.fr/yves-faucoup/blog/271118/la-pedopsychiatrie-perdue-en-rase-campagne

D’autres CMP ont été supprimés. Dans un billet percutant, Nicole Ferroni, après avoir évoqué également Paris Sainte-Anne et Saint-Etienne, constate qu’en dix ans les postes de pédopsychiatrie ont été divisés par deux, et que dans une dizaine de départements, il n’y a pas un seul lit en pédopsychiatrie. Elle en vient à suggérer qu’on envoie les gamins à la niche (fiscale, puisque le montant total de ces niches, 100 milliards d’euros, est bien supérieur aux sommes consacrées à l’Éducation nationale, à la protection de l’enfance et à la pédopsychiatrie). Elle va jusqu’à dénoncer, à juste titre, les contrats à impact social, en marche vers la privatisation du secteur social.

La plupart des CMP qui ne sont pas fermés sont conduits à traiter davantage de malades sortants des hôpitaux plutôt que, à titre préventif, à leur éviter d’y entrer. Les économies en personnel faites sur les CMP pour enfants provoquent de longues listes d’attente et des délais de prise en charge préjudiciables aux enfants, aggravant leur état, et angoissant les parents. Des professionnels, psychologues ou psychiatres, finissent par démissionner estimant qu’ils ne peuvent plus exercer selon les règles éthiques de leur profession. Cette "politique de santé" conduit à terme à privilégier le secteur privé, réduisant le public à n’être qu’un service d’intervention d’urgence.
Le texte ci-dessous dénonce l’abandon progressif de la pédopsychiatrie. Il émane de l’Intercollège des psychologues des secteurs sanitaires et sociaux de Midi-Pyrénées, qui me l’a communiqué pour parution sur le blog Social en question.

Pédopsychiatrie "perdue" en rase campagne
La suppression progressive des Centres Médico-Psychologiques pour enfants et adolescents interpelle les psychologues des secteurs sanitaires et sociaux de Midi-Pyrénées. Cette hémorragie touche en particulier les structures de proximité en milieu rural, qui sont soit fermées, soit réduites en personnel, au point d’afficher pour certaines une pluridisciplinarité de façade.

Ruralité : le compte n’y est pas
Postes non remplacés et personnels isolés instaurent des zones blanches en pédopsychiatrie. Cette pénurie de professionnels est masquée par des données statistiques faussées ; les chiffres remis aux tutelles dans le rapport 2016 du CREAI-ORS Languedoc-Roussillon, intitulé Repérage et prise en charge précoce des troubles psychiques des enfants et adolescents dans les CAMPS, CMP et CMPP en Midi-Pyrénées, font état dans le département du Tarn d’une offre de près de 300 psychologues, alors même que les trois quart de ces professionnels n’interviennent pas auprès d’enfants et que d’autres sont décomptés sur chaque temps partiel effectué en différents lieux de travail (salarié ou libéral) et donc comptés deux fois ou plus. Au final, sur le bassin Castres-Mazamet, le tableau des effectifs dénombre 58 psychologues salariés alors qu’à peine une dizaine travaille dans ces structures spécialisées auprès d’une population de moins de 21 ans (de l’ordre de 32000 jeunes et enfants).

Enfants oubliés de l’offre de soin
Le 30 mars 2018, une tribune dans Libération signée par deux pédopsychiatres lance ce cri d’alerte : La pédopsychiatrie ne veut pas mourir ! Les auteurs, Bernard Golse et Marie-Rose Moro, s’inquiètent de la réduction de moitié du nombre de pédopsychiatres en dix ans au point que les délais d’attente dépassent une année et que, dans certains départements, ils ont tout simplement disparu. Ils s’alarment aussi d’un modèle de soin essentiellement centré sur le symptôme, oubliant la notion de prise en charge globale et pluridisciplinaire de l’enfant. Les auteurs soulignent le sentiment d’abandon ressenti par les professionnels de pédopsychiatrie dont les moyens alloués ont stagné depuis dix ans tandis que l’activité augmentait de près de 80% sur cette période.

Sentiment d’abandon, vécu aussi aujourd’hui par les familles, qui par manque de moyens humains sont renvoyées vers le secteur libéral ou des structures plus éloignées de leur domicile, alors que les moyens de déplacement font défaut. Que deviendront ces enfants, dont une grande partie des parents ne dispose pas de moyens financiers pour ces soins, ni de véhicule ? Paradoxalement, certains suivis d’enfant s’arrêtent avec une prise en charge de transport, soit par échec à trouver un prestataire, soit du fait d’un désinvestissement des familles.

Rase campagne ?
L’exemple du département du Tarn est révélateur. En deux ans, plusieurs CMP de pédopsychiatrie y ont fermé leurs portes ou restreint leur ouverture. Les professionnels ont adressé des courriers aux différents responsables ainsi qu’aux tutelles, pointant le danger de ne plus pouvoir maintenir l’accès aux soins pour des enfants issus de catégories sociales défavorisées. En vain ! Ceci alors même que la demande n’a cessé d’augmenter, ou qu’elle s’épuise, faute d’interlocuteur, de réponse dans des délais raisonnables et face à des listes d’attente trop importantes. La baisse ainsi artificiellement créée de l’activité sert d’argument aux choix gestionnaires programmés de réduction d’effectifs. La fermeture d’un CMP de proximité en 2016 a entraîné une augmentation de la demande sur des CMP urbains et péri-urbains débordés, avec des enfants laissés dans l’errance. Début 2018, à l’autre bout du département du Tarn, dans une zone d’éducation prioritaire, un autre CMP Enfants a subi en cinq mois une hécatombe de départs de professionnels – un par mois – aux effets dévastateurs sur l’offre de soin, sur la motivation des personnels restants, confrontés à une perte de sens de leur travail et maintenus dans l’incertitude sur leur avenir, celui des enfants et des familles laissées sans réponse. Ces départs successifs n’ont été ni anticipés, ni pour le moment remplacés, hormis le poste médical réduit de moitié - mais sans assurance de sa pérennité. Cette mise en péril de l’accès au soin, renforcée par la pénurie médicale et réglée sur des logiques économiques inquiète l’ensemble des professionnels partenaires (établissements scolaires, tribunaux pour enfants, aide sociale à l’enfance…) qui ne savent plus vers qui se tourner.

Rendez-vous en terre inconnue : pédopsychiatrie
Sous couvert de regroupement – mot clef des réformes hospitalières –, le personnel des petites unités excentrées est peu à peu déplacé en arguant d’une taille critique nécessaire au bon fonctionnement des structures. Il en résulte des redistributions imposées des temps de travail, une perte de lien dans nos pratiques, une impossibilité à faire vivre la pluridisciplinarité. Les professionnels toujours plus flexibles, réduits à une fonction désincarnée ou à une somme de missions dédiées « extra-territorialisées » sont privés de l’appui d’un véritable travail d’équipe et s’épuisent.

Le recul de ces structures de soin de proximité participe à ce que les populations les plus fragiles, issues de ces zones rurales, soient délaissées. A l’échelle d’un Groupement Hospitalier de Territoire centré sur une logique de mutualisation et des projets partagés, cela reste invisible. Mais en Midi-Pyrénées, cela impacte le maillage fragile des territoires les plus distants de Toulouse déjà désertés par les professionnels. La densité des praticiens libéraux est très faible (orthophonistes, psychomotriciens…) de même que celle des médecins (et les rares pédopsychiatres libéraux dans le Tarn sont en réalité des retraités) : le bassin castrais est quatre fois et demi moins doté que la Haute-Garonne. Le soin en pédopsychiatrie restera-t-il toujours un service public rendu à l’ensemble de la population ? La question est d’importance, à l’heure où l’on étudie et relie la perte de densité des services publics à une augmentation du vote en faveur des extrêmes, dont les discours s’adressent à cette « France des oubliés ». Peut-on prendre le risque d’oublier aussi ces enfants ? Viendront-ils grossir les rangs des 35% de patients ayant dû renoncer aux soins, comme le révèle l’enquête de la CPAM du Tarn menée en 2016 (La Dépêche, 29 juin 2017) ?