Industrie pharmaceutique

Médiapart - L’ancien directeur de la Haute Autorité de santé rejoint l’industrie pharmaceutique

Février 2019, par Info santé sécu social

Le professeur Jean-Luc Harousseau vient de prendre la tête de la Fondation des entreprises du médicament, créée par le LEEM, syndicat des industries pharmaceutiques. Ce spécialiste en hématologie dirigeait, il y a tout juste trois ans, la Haute Autorité de santé (HAS), agence sanitaire en charge de l’évaluation et du remboursement des médicaments.

Jean-Luc Harousseau a quitté la HAS, en septembre 2015, écourtant pour des raisons personnelles son mandat. Dans ses nouvelles fonctions, il ne sera pas rémunéré mais deviendra de fait un agent de communication de l’industrie pharmaceutique.
Cette nomination pose donc question car cette proximité décomplexée interroge sur les relations que peuvent entretenir les autorités publiques avec l’industrie pharmaceutique, qu’elles sont censées contrôler.

Jean-Luc Harousseau n’arrive pas les mains vides. Il apporte non seulement un carnet d’adresses bien garni, mais également toutes ses connaissances sur la composition et l’organisation des commissions chargées d’évaluer et de rembourser les médicaments.

Sur le site de la Fondation, le communiqué prend soin de préciser que Jean-Luc Harousseau est élu pour « son expertise en matière d’onco-hématologie », les entreprises du médicament ayant décidé de « placer l’oncopédiatrie comme axe prioritaire en 2019 (…) ». Et de rappeler qu’« en France, le cancer est la première cause de décès par maladie chez l’enfant. Chaque année, 2 500 enfants et adolescents sont diagnostiqués et 500 en meurent ».

L’ancien président de la Haute Autorité de santé (HAS) est loin d’être un inconnu pour les laboratoires pharmaceutiques. Ces derniers lui ont, entre 2008 et 2010, versé près de 205 482 euros pour avoir participé à des conférences, des colloques, voire des « conseils scientifiques », à savoir des réunions consistant à aider l’industrie dans sa stratégie de marketing d’un médicament.

Lors de sa prise de fonctions à la tête de l’agence publique sanitaire, en janvier 2011, Jean-Luc Harousseau a tenté d’occulter ces liens, en prétendant n’avoir rien à déclarer. À la demande des présidents de la commission des affaires sociales du Sénat et de l’Assemblée nationale, l’hématologue a bien été obligé de revenir sur ce mensonge, en prétextant que le « recueil des données a été plus long que prévu ». Au regard du nombre de laboratoires et des montants perçus, la tâche n’était sans doute pas évidente…

Jean-Luc Harousseau se retrouve donc au LEEM en pays de connaissance. Il lui apporte son expertise médicale, des informations sur les méthodes de fonctionnement de l’une des principales agences de santé française, et en prime des relations politiques puisque, sous l’étiquette UMP, ce professeur a été également vice-président puis président du conseil régional des Pays de la Loire, en remplacement de François Fillon.

Jean-Luc Harousseau n’est pas le premier à rejoindre les laboratoires pharmaceutiques après avoir occupé un poste clé dans le système de santé publique. Philippe Lamoureux dirigeait quant à lui, depuis 2002, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, avant d’être, en novembre 2008, nommé directeur général du LEEM. À l’époque, Christian Lajoux, président du LEEM, n’avait pas caché que Philippe Lamoureux avait été choisi pour « son engagement professionnel dans les politiques sanitaires à un moment où les entreprises du médicament s’impliquent de plus en plus dans les enjeux de santé globaux allant de la recherche (…) à la promotion du bon usage du médicament ».

Pierre Chirac, directeur de publication de Prescrire, revue médicale indépendante, estime qu’il s’agit « d’un acte grave qui mine la confiance que l’on peut avoir dans les agences publiques qui sont censées contrôler le marché du médicament au service de l’intérêt général. Voir des personnes passer aussi rapidement d’une agence de régulation à un organe de lobbying des firmes pharmaceutiques, donne à penser que l’on choisit pour diriger les agences de régulation des personnes qui sont trop proches des firmes et de leurs intérêts. Cette confusion des genres est un facteur de risque sanitaire pour les patients : le risque que l’intérêt des patients passe après l’intérêt des firmes ».

Mediapart a tenté de joindre le professeur Harousseau. C’est le LEEM, le syndicat des industries pharmaceutiques, qui nous répond en son nom. « Le professeur ne reçoit pas d’argent pour présider cette fondation. Cette nomination est totalement légale et ne pose pas de problème. La mission de cette fondation est de travailler en concertation avec les associations des familles », tient à préciser Thomas Borel, directeur des affaires scientifiques du LEEM et délégué général de la Fondation. Il assure que « les médicaments ne sont pas des sujets qui seront abordés »…

Les petits arrangements de la nouvelle présidente de la Haute autorité de santé

La vice-présidente du Formindep, association pour une formation et une information médicales indépendantes, Anne Chailleu, est consternée : « La Fondation des entreprises du médicament est un exemple classique de fondation d’entreprise dont le but est, dans le cadre d’une stratégie de communication, d’améliorer l’image d’un secteur. Cette fondation n’est pas destinée à financer la recherche clinique mais à pousser des idées et des acteurs, notamment des associations de patients dont elle va pouvoir utiliser l’aura. C’est davantage un think tank au service des laboratoires pharmaceutiques qu’un organisme charitable. »

Anne Chailleu s’inquiète de cette nomination qui représente une menace pour l’indépendance de la Haute Autorité de santé. « La présidence de Jean-Luc Harousseau va donner à la fondation (et au LEEM) accès à un riche carnet d’adresses, notamment auprès de la HAS qui est vue par les industriels du médicament comme un obstacle à neutraliser. En effet, cette agence sanitaire persiste encore à alerter sur le manque des données concernant l’efficacité et la sécurité des nouveaux anticancéreux. Actuellement, les problématiques d’accès aux traitements du cancer pour les enfants sont de deux ordres : peu de données pédiatriques (peu d’essais), et des tarifs exorbitants pour les anticancéreux. Aucun de ces deux aspects n’est visé par la Fondation. »