Les Ehpads et le grand âge

Infirmiers.com - "L’urgence est de soutenir les professionnels courageux qui consacrent leurs vies à nos aînés"

Avril 2019, par Info santé sécu social

A partir de 2030, on prévoit 40 000 personnes âgées dépendantes de plus par an ! Afin de pouvoir parer à ce "papy boom", un rapport sur le grand âge et l’autonomie a été dernièrement remis au gouvernement par le haut fonctionnaire Dominique Libault. Parmi les 175 propositions, on note une revalorisation des métiers associés, une hausse des effectifs, un renforcement de la prévention et du maintien à domicile…

Les plus de 65 ans risquent d’être plus nombreux que les moins de 20 ans en France en 2030. Les 85 ans et plus vont voir leur nombre augmenter de manière exponentielle passant de 1,8 million actuellement à 2,6 millions en 2030, selon les projections de l’Insee ! Face à cette évolution, les structures sont insuffisantes pour ne pas dire déjà à bout de souffle. Personnels en burn out, peu rémunérés, établissements parfois vétustes et souvent bondés… le rapport Libault sur le grand âge remis récemment au gouvernement fait le point et montre une triste réalité que l’on connait déjà. Il y a manifestement urgence à agir et le texte ambitieux liste pas moins de 175 mesures pour redresser la situation.

Moi j’envisage une résidence autonomie. J’aurais ma propre pièce, si je veux, je pourrais aller au restaurant. Je pourrais recevoir mes enfants et mes amis, c’est un milieu protégé, il y a une infirmière si besoin, peut-être que je m’y rendrais dans quelques années - femme de 82 ans

Premier paradoxe : les Français veulent rester chez eux, mais finissent en Ehpad
Le nombre de personnes âgées dépendantes pourraient presque doubler d’ici à 2050, la priorité doit donc être donnée à l’accompagnement à domicile, une solution plébiscitée par la population. En effet, les français souhaitent massivement rester chez eux, souligne Marie-Anne Montchamp, présidente la Caisse Nationale de Solidarités pour l’Autonomie (CNSA). Seulement le maintien à demeure requiert la participation de nombreux soignants formés à cet effet et le secteur est en crise.

En outre, si les personnes âgées préféreraient rester chez elles, on constate paradoxalement en France un taux élevé d’hébergement des seniors dans des établissements spécialisés puisque 21% des Français de plus de 85 ans vivaient en maison de retraite en 2011 selon les données d’Eurostat. Ainsi, au niveau européen, la France fait partie des Etats où le taux d’institutionnalisation est le plus important avec la Belgique (21% aussi), les Pays-Bas (20%) ou l’Allemagne (19%). Alors qu’à domicile, pour le moment, l’offre est atomisée et économiquement fragile, précise le rapport.

Ainsi, afin de réduire la proportion de seniors arrivant en maisons de retraite, le texte préconise de promouvoir la viabilité, l’attractivité et la qualité des soins à domicile. Dans ce but, il est nécessaire de revoir les modes de financement des prises en charges à demeure afin d’ajuster la nature des prestations aux besoins réels des personnes. Les SAAD doivent pouvoir financer des temps de prévention et de coordination. Les SSIAD doivent être fortement recentrés sur les actes techniques nécessitant une compétence infirmière. L’accueil familial doit être développé dans un cadre sécurisant pour les personnes, par exemple en renforçant les liens entre les accueillants et les autres acteurs professionnels présents sur le territoire, annonce le rapport.

Plus généralement le modèle des maisons de retraite doit être repensé, le système demeurant trop binaire. Il faudrait que la coupure entre le domicile et l’Ehpad soit moins forte, que les structures soient décloisonnées pour améliorer la qualité de service et réaliser des gains. Il est donc préconisé de multiplier les formules intermédiaires comme l’hébergement temporaire ou l’accueil de nuit d’une personne âgée pour soulager les aidants. D’ailleurs, les résidences autonomies existent déjà comme alternative aux Ehpad. Allant dans ce sens, on peut citer l’exemple en Nouvelle-Aquitaine d’une expérimentation à laquelle ont participé 70 établissements qui sont devenus des pôles ressources avec des tournées de nuit auprès de la population âgée et un accueil de jour itinérant.

D’après les chiffres, 9% des EHPAD ont un poste d’aide-soignant non pourvu depuis plus de 6 mois !

Une pénurie de personnel aggravée par des difficultés de recrutement
En 2015, près de la moitié des structures d’hébergement indiquent rencontrer des difficultés de recrutement pour les personnels en lien direct avec des personnes âgées en perte d’autonomie. D’après les statistiques, 63 % des établissements déclarant rencontrer cette problématique ont au moins un poste non pourvu depuis 6 mois ou plus. Les EHPAD du secteur privé à but lucratif seraient les plus concernés. Par exemple, 9 % des EHPAD ont un poste d’aide-soignant non pourvu depuis plus de 6 mois contre 16 % dans le secteur privé lucratif. Par ailleurs, ces difficultés touchent également l’ensemble des acteurs de l’aide à domicile qui, pour 89 %, travaillent à temps partiel. Effectivement, d’après l’UNA (Union Nationale de l’Aide, des Soins et des Services aux Domiciles) 19 % des postes créés en 2018 sont restés vacants. Pire encore, entre 2012 et 2017, une chute de 25% du nombre de candidats au concours d’entrée des IFAS a été observé !

Le manque de personnel, c’est la catastrophe. Théoriquement les aides-soignantes doivent passer 10/15 minutes mais elles n’ont pas le temps. On ne peut pas parler. Elles sont gentilles mais elles n’ont pas le temps - femme, 73 ans, en Ehpad à Paris.

Vers une revalorisation et des perspectives de carrière pour les métiers du grand âge
Pour améliorer les conditions de vie des personnes âgées, il faut accroitre la présence humaine à proximité à domicile comme en résidence. Pour cela, le rapport préconise d’augmenter progressivement les effectifs d’encadrement dans les Ehpad de 25%, ce qui représente pas moins de 80 000 postes supplémentaires et 1,2 milliard d’euros d’investissement d’ici 2024 ! En revanche, comment obtenir davantage de personnels alors que les établissements ont déjà des problèmes de recrutement ? Il va falloir revaloriser les carrières, mettre de l’argent, il y a urgence, on est à la limite de la saturation, constate Albert Lautman, directeur général de la Mutualité française.

En effet, le rapport va dans ce sens : il est nécessaire d’avancer vers des hausses de rémunération ciblées pour les métiers du grand âge, en particulier à domicile, de réformer la taxe sur les salaires afin de réduire le recours au temps partiel ou encore d’ouvrir des perspectives de carrière pour les métiers du grand âge, faciliter les reconversions professionnelles et mobiliser des compétences variées auprès des personnes âgées.

Il est également prévu de donner, en principe, davantage de temps aux soignants pour chaque prise en charge et de prévenir de manière plus efficiente les risques professionnels, et ce, à domicile comme en établissement. Une des mesures évoque, entre autres, une méthodologie permettant de fixer des références indicatives du temps nécessaire pour chaque intervention humaine. En ce qui concerne la prise en charge à domicile, une durée minimale pour les interventions devraient être fixée et les modèles de financement des services d’aides devraient être rééquilibrés pour permettre des temps suffisants auprès de la personne. En parallèle, d’autres préconisations présentent l’innovation organisationnelle comme une piste pour améliorer les conditions de travail. Sensibiliser les établissements aux bonnes pratiques d’accueils des professionnels débutants et développer des formations adaptées est aussi recommandé.

Autre point mis en avant : le fait de développer certaines professions afin de les rendre plus attractives. Pour les infirmiers, la pratique avancée en gériatrie devrait être promue. Ces IPA seront mobilisés pour assurer le suivi médical des personnes âgées en perte d’autonomie (à domicile ou en Ehpad) sous la supervision d’un médecin traitant ou coordonnateur. Des fonds seront octroyés à des revalorisations ciblées dont la création de fonction de responsables d’unité de vie avec une prime associée de 200 €/mois. Environ 25 000 personnes seraient concernées, soit environ 3 par établissement (EHPAD et ESLD). De plus, 7 500 infirmiers (1 par établissement) accèderaient aux fonctions de cadre qualité. De manière plus générale, les actes des soignants non techniques comme l’évaluation gériatrique standardisée des fonctions, la réflexion, les échanges avec la personne avancée en âge devraient être reconnus. En ce qui concerne plus spécifiquement les aides-soignants, les référentiels et les périmètres de soins devraient être revisités en allant vers le haut et en créant une spécialité d’AS gériatrique, précise le rapport.

3 Milliards d’euros seront débloqués pour pallier les 23% d’EHPAD non rénovés depuis plus de 25 ans.

La prévention et la réduction du reste à charge des familles
Plusieurs mesures mettent aussi l’accent sur la prévention, c’est-à-dire agir pour augmenter l’espérance de vie sans incapacité. Dans ce cadre, le texte s’appuie sur une approche de l’OMS baptisée ICOPE qui repose sur l’évaluation des 5 capacités intrinsèques dès 75 ans et le signalement de pertes fonctionnelles potentielles. Former l’ensemble des infirmiers dans ce but est envisagé. En outre, l’accès à la téléconsultation devrait être permis pour toute situation de fragilité repérée à domicile. En l’absence de médecin traitant, l’infirmier devrait être autorisé à y avoir recours avec un établissement ayant une expertise en gériatrie. D’ailleurs, la hausse des effectifs en EHPAD devrait aussi permettre de libérer du temps aux aides-soignants pour organiser des consultations en télémédecine.

Parmi toutes les autres solutions proposées, on peut noter une aide aux aidants en indemnisant mieux leurs congés ou via un guichet unique permettant de mieux les orienter. Le reste à charge des familles lors de la mise en institution a été abordé et une nouvelle prestation dégressive en fonction des ressources est envisagée pour aider les personnes aux revenus modestes.

La ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn a réagi suite à la publication du rapport. Nous ressentons tous, je ressens personnellement l’urgence qu’il y a à répondre à la détresse de ceux qui perdent leur autonomie et aux inquiétudes de leurs proches, a-t-elle déclaré. La ministre a donc exclu de réduire le degré d’ambition par rapport à ce qui est proposé. Car vous le dites très bien, cher Dominique Libault : les effectifs doivent augmenter pour accroître le temps de présence auprès des personnes ; la prévention de la pénibilité et des accidents du travail doit être renforcée ; les formations et les compétences doivent évoluer pour mieux préparer les professionnels aux attentes nouvelles. Cette montée en compétence et cette évolution des métiers doivent s’accompagner de revalorisations salariales, et c’est tout le sens de la prime aux aides-soignants, mesure qui avait été annoncée, qui sera mise en œuvre et qui n’éteint pas à elle-seule le besoin, argumente-t-elle.

Du son côté, la Fédération des Associations de l’Aide Familiale Populaire (FNAAFP/CSF) salue la volonté d’Agnès Buzyn de se saisir des questions de l’avancée en âge et affirme que de nombreuses mesures vont dans le bon sens mais regrette également que le choix de vieillir à domicile ne soit toujours pas au cœur du projet. Quoiqu’il en soit, le gouvernement présentera à l’automne une loi pour financer la prise en charge de la dépendance. Si la ministre a annoncé que plusieurs options étaient ouvertes (…) il n’y aura pas d’impôts supplémentaires.