Environnement et facteurs dégradant la santé

Médiapart - Notre-Dame : des taux de plomb chez les enfants supérieurs au seuil de vigilance

Août 2019, par Info santé sécu social

5 AOÛT 2019 PAR PASCALE PASCARIELLO

Sur 82 enfants contrôlés après l’incendie de Notre-Dame, dix ont des taux de plomb dans le sang supérieurs au seuil de vigilance, selon les chiffres communiqués en juillet par l’agence régionale de santé. Certains frôlent même le seuil déclenchant une déclaration de saturnisme. Les familles touchées sont laissées sans réponse.

L’information figurait dans le dossier de presse publié par l’agence régionale de santé (ARS) le 18 juillet. Mais elle n’a pas retenu l’attention jusqu’à présent. Sur les 82 enfants dépistés après l’incendie de Notre-Dame de Paris le 15 avril, dix présentent des taux de plomb dans le sang supérieurs au seuil de vigilance. Au-delà de ce seuil, la prise en charge des enfants doit « respecter les modalités de suivi fixées par le Haut Conseil de la santé publique [HCSP] », précise le rapport de l’ARS.

Aucun suivi médical n’a pourtant été mis en place par l’agence. C’est ce que demandaient notamment ce lundi 5 août, réunis sur le parvis de la cathédrale pour une conférence de presse, des membres de l’Association des familles victimes du saturnisme (AFVS) et des représentants syndicaux CGT du bâtiment, du nettoyage et de la préfecture de police de Paris, aux côtés de la scientifique spécialiste des questions de santé publique Annie Thébaud-Mony.

Durant l’incendie, près de 400 tonnes de plomb se sont répandues en poussière dans les environs.

Mediapart a pu recueillir le témoignage d’un couple dont l’enfant de 18 mois présente un taux de 48,8 μg/l (microgramme de plomb par litre de sang), à la limite du saturnisme, fixé à 50 μg/l, et bien au-dessus du seuil de vigilance de 25μg/l.

Contacté par Mediapart, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) explique que 50 μg/l représente un seuil d’intervention. « Des concentrations bien plus faibles peuvent être délétères chez les enfants. L’effet le plus préoccupant d’une intoxication au plomb est la diminution des performances cognitives et sensorimotrices. Une plombémie de 12μg/L est associée à la perte d’un point de QI », assure un professeur de l’Inserm. L’intoxication au plomb peut provoquer des lésions neurologiques irréversibles et d’autres troubles de la santé (atteintes digestives, cardiovasculaires, cancéreuses, troubles de la reproduction).

Depuis le 3 mai, l’agence régionale de santé, la préfecture de police de Paris, le ministère de la culture et la mairie de Paris ont connaissance des résultats des prélèvements de plomb dans et autour de la cathédrale Notre-Dame. Elles ont attendu plus de deux mois, le 18 juillet, pour les communiquer.

Malgré les déclarations de l’agence sanitaire comme de la mairie, qui se voulaient rassurantes, le préfet de région Michel Cadot a annoncé le 25 juillet la suspension du chantier jusqu’au 12 août, pour remettre aux normes les installations défectueuses censées protéger les ouvriers exposés au plomb.

Le même jour, la mairie de Paris ordonnait la fermeture de deux écoles qui reçoivent environ 180 enfants, dans le cadre des centres de loisirs pour les vacances d’été. La mairie assurait pourtant auparavant que les résultats des prélèvements dans les établissements scolaires ne justifiaient « aucune alerte ».

Malgré ces dangers, l’ARS n’a pas cru bon de lancer une campagne officielle de dépistage auprès des riverains les plus exposés et des salariés pour vérifier leur taux de plombémie.

Certes, elle a communiqué ; mais sans jamais, notamment, rendre obligatoire un dépistage pour les enfants. Les termes sont éloquents, il s’agit d’une « incitation au dépistage » préconisée par l’agence. Il faut attendre le 7 juin, lorsqu’un taux élevé de plomb est détecté dans le sang d’un enfant, pour qu’elle « invite » les familles à consulter leur médecin traitant ou à prendre rendez-vous au centre de diagnostic de l’Hôtel-Dieu.

Document produit par le Laboratoire central de la préfecture de police de Paris (LCPP) à la suite des résultats des prélèvements, datés du 3 mai 2019.
Document produit par le Laboratoire central de la préfecture de police de Paris (LCPP) à la suite des résultats des prélèvements, datés du 3 mai 2019.
Lors de sa conférence de presse du 18 juillet, l’ARS ne mentionne qu’un cas de saturnisme, chez un enfant de deux ans. Mais enterre rapidement le sujet, en signalant que l’origine provient non pas de l’incendie mais de la peinture au plomb retrouvée sur le balcon de la famille.

Le suivi des familles par l’agence sanitaire est, à l’image de sa communication, quasi anémique. L’histoire de Jeanne et Mathieu (les prénoms ont été modifiés, lire la Boîte noire), parents d’un enfant de 18 mois, que Mediapart a pu recueillir, l’atteste.

« L’agence n’a eu de cesse de tenter de minimiser les faits, sans répondre vraiment à nos questions », précise Mathieu, encore atterré par la situation. Ce couple de trentenaires habite depuis deux ans à côté de la cathédrale. Lors de leur emménagement, le diagnostic réglementaire le précise, aucune trace de plomb n’a été détectée dans leur logement qui a par ailleurs été refait à neuf.

Le soir de l’incendie, ils préfèrent quitter les lieux, leurs fenêtres donnant directement sur l’édifice. « Je rentrais du square avec mon fils, se souvient Jeanne, lorsque l’incendie venait de se déclarer. Je suis rentrée chez moi. Et nous sommes partis quelques heures, ayant peur d’être atteints par l’incendie. D’ailleurs, certains logements ont été évacués par les policiers. »

Ils reviennent trois jours plus tard, le 18 avril, en prenant soin de nettoyer leur logement du fait des éventuels dépôts de suie dus à l’incendie. Ils y demeurent alors six jours, entre le 18 avril et le 2 mai, « allant parfois dormir chez un ami ou chez [leurs] parents ».

« Vous ne pouvez pas mettre un mouchoir sur les victimes »
Ils sont alertés des dangers potentiels du plomb, non pas par les autorités mais par les associations qui commencent, à partir du 19 avril, à soulever la question. « L’un de nos amis ingénieurs nous a appelés pour nous mettre en garde sur les dangers que pouvaient représenter les 400 tonnes de plomb de la toiture de la cathédrale parties en fumée », explique Mathieu.

Avec son épouse, il regrette que ni la mairie, ni l’ARS, ni la préfecture n’aient pris la peine d’alerter immédiatement les riverains. Dans un communiqué diffusé le 27 avril, la préfecture a simplement conseillé aux riverains de procéder au « ménage de leur habitation […] à l’aide de lingettes humides pour éliminer tout empoussièrement ».

« On a alors commencé un long combat pour connaître la vérité. C’est kafkaïen, déplore Mathieu. L’ARS ou la mairie, soit ne nous répondent pas soit nous disent que tout va bien, et refusent de nous communiquer les résultats des prélèvements faits autour de la cathédrale [finalement publiés le 18 juillet – ndlr]. »

Dès le 2 mai, lors d’un conseil de quartier, le couple interroge le maire du IVe arrondissement sur les risques d’exposition au plomb depuis l’incendie. Le maire rappelle qu’il faut nettoyer les logements et qu’il demandera à l’ARS d’aider les riverains… « Chacun se renvoie la balle », estime Mathieu, qui regrette qu’aucune réponse concrète ne lui ait été donnée. Contacté par Mediapart, le maire n’avait pas donné suite, lundi 5 août au soir, à nos demandes.

Face à cette absence de soutien, le couple décide de faire dépister le jour même son enfant. « Nous n’avions aucune information venant de la mairie ou de l’ARS sur des dépistages ou des mesures à faire. L’ARS dit avoir communiqué, mais c’est resté confidentiel. Seul notre ami ingénieur et les associations soulevaient clairement le problème », précise Mathieu.

Les résultats de plombémie du fils de Jeanne et Mathieu tombent le 8 mai. « Ça a été un choc terrible d’apprendre que notre enfant avait un taux de plomb de 48,8 μg/l, si proche du saturnisme et qui nécessite à ce stade une surveillance accrue », explique Mathieu, encore accablé par cette nouvelle. Le chantier n’ayant pas été confiné – il continue de générer des poussières de plomb –, le couple décide alors, début mai, de déménager temporairement afin de préserver leur fils.

« Nous avons accusé le coup. Dans un premier temps et dans l’urgence, nous avons dû nous organiser pour protéger notre enfant et quitter notre logement. Nous en avons parlé avec le maire de l’arrondissement mais vu son inaction, nous avons commencé à adresser des courriers à l’ARS et à la préfecture », explique Jeanne.

Le 20 mai, ils interpellent l’ARS, la préfecture et la mairie. Pas de réponse.

Le 24 mai, ils font venir un laboratoire agréé, Eurofins, pour mesurer les concentrations en plomb de leur appartement. Les résultats sont sans appel : des taux bien au-dessus du seuil d’intervention sont retrouvés dans leur cuisine et sur leur balcon.

Selon une instruction de 2016 de la Direction générale de la santé, visant à lutter contre le saturnisme infantile, si des poussières sont retrouvées dans les logements ou établissements scolaires « au-dessus du seuil de 70 μg/m2, cela signifie qu’il y a un risque d’intoxication au plomb pour les enfants exposés ».

Chez Jeanne et Mathieu, les taux de concentration en plomb sont près de sept fois supérieurs dans la cuisine, atteignant 521,5 μg/m2, tandis que sur le balcon ils s’élèvent à 689 μg/m2 et à 70 μg/m2 dans la chambre de leur enfant. « Nous avons de nouveau envoyé des courriels, les 24 et 27 mai, à l’agence régionale de santé pour demander quels étaient les niveaux de plomb relevés dans les environs et notamment dans les squares ainsi que les mesures prises », explique Jeanne.

Dans leur courriel, que Mediapart a lu, Jeanne et Mathieu alertent ainsi les autorités : « Laisser penser aux habitants que les particules restent cantonnées derrière les barrières non hermétiques du chantier est criminel. Il y a déjà des petites victimes, vous ne pouvez de fait pas mettre un mouchoir dessus. » L’ARS leur répond finalement le 28 mai par une formule concise et polie : « Nous accusons réception de votre courriel. »

Mais le parcours « kafkaïen » du couple ne s’arrête pas là. L’agence régionale de santé mandate finalement le laboratoire Expertam pour refaire des mesures dans le logement du couple, le 25 mai. Les résultats sont également au-dessus du seuil d’intervention de 70 μg/m2, notamment dans le séjour (307 μg/m2). Mais le laboratoire conclut à l’absence de risque parce qu’il fixe, par erreur ou par fraude, le seuil d’intervention non plus à 70, mais à 1 000 μg/m2.
N’étant pas retourné à leur domicile ni dans le quartier depuis le 2 mai, le dernier dépistage de leur enfant, fait début août, relève un taux de plomb dans le sang de 36 μg/l.

« C’est sur la bonne voie. Cette situation est compliquée financièrement pour nous parce que nous avons un crédit à payer pour notre appartement. Mais la santé de notre enfant est prioritaire et nous avons déjà de la chance de pouvoir l’éloigner », précise Mathieu.

Contactée par Mediapart, l’ARS assure que lorsque le seuil d’intervention de 70 μg/l était atteint dans les logements, elle préconisait aux familles des nettoyages importants. Mais elle s’est refusée à tout commentaire sur les conclusions erronées du laboratoire qu’elle avait mandaté.

Quant aux dépistages, l’ARS affirme que « les enfants diagnostiqués entre 25 et 50 µg/l de sang font l’objet d’une analyse individuelle par des médecins spécialistes du Centre antipoison et de toxicovigilance », mais n’apporte aucune réponse concernant une campagne officielle de dépistage qu’elle n’a toujours pas estimé nécessaire de lancer.