Environnement et facteurs dégradant la santé

JIM - Toute honte bue, 72 députés proposent de permettre la consommation d’alcool dans les stades !

Août 2019, par Info santé sécu social

Paris, le jeudi 8 août 2019

C’est une illustration presque parfaite de l’hypocrisie et de la mauvaise foi. Au sein d’un projet de loi dont les motifs exposent avant toute chose qu’il « ne s’écoule pas un jour sans qu’une publication témoigne des bienfaits de la pratique physique et sportive pour la cohésion sociale, le bien être, la santé, (…), pour lutter contre la sédentarité, participer au traitement de certaines maladies », un des articles préconise l’autorisation de vendre de l’alcool dans les stades. Et ceci bien qu’il ne s’écoule guère plus de jours sans qu’une publication témoigne des méfaits de la consommation d’alcool pour la cohésion sociale, le bien être, et la santé, souvent avec des niveaux de preuve bien plus élevés encore que les travaux portant sur l’activité physique…

Une nation sportive et alcoolisée
Ce texte a été signé par soixante-douze députés de La République en Marche et déposé le 24 juillet. Son titre révèle une ambition importante : « faire de la France une nation sportive ». Une nation sportive, donc, mais alcoolisée. Parmi les signataires, six élus participent aux travaux du groupe parlementaire dédié à la lutte contre les addictions, comme l’ont rappelé certains sur Twitter. Une confusion des genres qui ne semble pas les avoir fait sourciller.

Si les tentatives législatives de revenir sur les dispositions de la loi Evin en général et sur celles prohibant la vente d’alcool dans les stades en particulier ont été nombreuses ces dernières années, y compris depuis l’élection d’Emmanuel Macron, le nombre de défenseurs du texte (qui s’explique en partie parce qu’il ne concerne pas uniquement ce point) est assez important pour susciter une circonspection plus marquée encore qu’habituellement.

Réparer une injustice !
Les arguments de François Cormier Bouligeon, Cédric Roussel et Belkhir Belhadad, premiers rédacteurs du texte, sont similaires à ceux développés depuis de nombreuses années. Ils feignent tout d’abord de vouloir corriger une inégalité : l’alcool est en effet disponible dans les loges VIP des stades, qui parce qu’elles distribuent des repas, disposent d’une licence similaire à celle d’un restaurant et peuvent donc à ce titre proposer des boissons alcoolisées. « Il faut arrêter l’hypocrisie », a ainsi dénoncé sur France Bleu, Belkhir Belhadad. De la même manière, le fait que les clubs amateurs puissent proposer de la bière à leurs spectateurs lors des matchs non professionnels est remarqué comme une inégalité. Les défenseurs de la vente d’alcool dans les stades signalent encore les nombreux contournements de la loi : associations sportives proposant également des repas pour obtenir une licence leur permettant de vendre de l’alcool et multiplication des associations ayant pour mission de tenir la buvette afin de pouvoir bénéficier d’un nombre accru de dérogations sont des tactiques fréquentes suivies par les clubs pour atteindre leur but.

Contrôler la sécurité
Au-delà des entorses à la loi qui sont mises en avant comme des arguments justifiant l’annulation des mesures anti-alcool dans les stades (une logique potentiellement dangereuse si elle devait unanimement s’appliquer), les supporteurs de l’alcool dans les stades affirment que cette mesure permettrait de mieux contrôler la sécurité, en évitant par exemple que des spectateurs ne s’alcoolisent très rapidement avant les matchs et se présentent alors ivres dans les gradins. Enfin, en se basant sur les exemples étrangers, ils relèvent que cette vente pourrait engendrer des bénéfices financiers importants pour les clubs.

L’inégalité concerne les VIP, pas les supporteurs moins aisés !
L’ensemble de ces arguments relève pour les spécialistes de la lutte contre les addictions de la même hypocrisie funeste. D’abord, plutôt que de prôner l’abolition de la loi en constatant ses limites, beaucoup remarquent qu’il pourrait être plus pertinent en termes de santé publique de renforcer les contrôles et les interdictions. Pourquoi ainsi pour lutter contre les "inégalités" que constitue la vente d’alcool dans les loges VIP, ne pas préconiser la fin de la bière pour les supporters les plus aisés et leur offrir la même protection ? Pourquoi ne pas mieux encadrer le système de dérogation ? « Ce n’est pas parce qu’il fait froid à l’extérieur qu’il faut refroidir l’air d’une maison. C’est absolument ridicule comme argument » remarque le professeur Amine Benyamina, président de la Fédération française d’addictologie (FFA), interrogé par France TV.
De la même manière, le prétendu meilleur contrôle de la sécurité n’apparaît guère convaincant quand on peut rétorquer que ce renforcement des contrôles pourrait déjà être mis en œuvre, en interdisant plus fréquemment l’accès aux stades aux personnes manifestement ivres. Enfin, l’idée d’une augmentation des ressources des clubs avait été qualifiée de « pitoyable » par Eric Adamkiewicz, ancien directeur des sports de la ville de Grenoble interrogé ce printemps sur le même sujet par Ecofoot. « Une telle réforme n’aura qu’une incidence très minime sur l’économie du football français » avait-il assuré. L’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (ANPAA) a pour sa part déjà mis en garde contre un « engrenage » délétère.

Ferveur sportive et alcool : un cocktail parfois détonnant

En outre, défendre une telle mesure occulte totalement le fait que « la promotion de l’alcool auprès des jeunes via les compétitions sportives, vise à banaliser la consommation générale et en premier lieu celles des jeunes qui constituent la majorité du public » observe l’ANPAA dans un communiqué diffusé cette semaine. Cette dernière a également régulièrement rappelé comment de nombreuses enquêtes ont confirmé le lien entre baisse de la violence et restriction de la disponibilité de l’alcool. Concernant plus particulièrement les stades, elle indiquait dans un décryptage publié en 2016 : « La ferveur sportive et l’alcool forment parfois un mélange détonnant et tragique. Dans des circonstances où les enjeux enflamment les esprits, la consommation d’alcool est un facteur de nature à exalter les passions, et surtout les passions violentes. Le hooliganisme n’a pas besoin de l’alcool pour exister, mais la consommation d’alcool n’est pas de nature à l’apaiser ».

Agnès Buzyn attendue
Bien sûr la réponse d’Agnès Buzyn face à ce nouvel assaut est attendue ; Agnès Buzyn qui, comme l’a remarqué le médecin et blogueur Jean-Yves Nau, aura vu sa tentative de communication à propos de son engagement contre les addictions totalement neutralisée par cette initiative regrettable de ses alliés LREM.

Décryptage de l’ANPAA : Sport et alcool https://www.anpaa.asso.fr/images/media/2016-03-telechargements/d-15-07-06-2016-sport-alcool.pdf

Aurélie Haroche