Les retraites

Le Monde.fr : « La réforme des retraites est un véritable champ de mines »

Août 2019, par infosecusanté

« La réforme des retraites est un véritable champ de mines »
Le Monde.fr
30 Aout 2019

Age, durée de cotisation, système à points… Notre journaliste politique Raphaëlle Besse Desmoulières, spécialiste de la protection sociale, a répondu aux questions des internautes.

En annonçant de manière inattendue, lundi 26 août, qu’il préférait « un accord sur la durée de cotisation plutôt que sur l’âge » pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein, Emmanuel Macron a rebattu les cartes d’une partie qui pouvait apparaître relativement fermée depuis la présentation, le 18 juillet, du rapport sur le sujet de Jean-Paul Delevoye, haut-commissaire qui pilote le dossier.

Notre journaliste politique Raphaëlle Besse Desmoulières, spécialiste de la protection sociale, a répondu à vos questions sur la réforme des retraites, qui doit notamment permettre de créer un système universel à points, de supprimer les régimes spéciaux et de faire travailler les Français « plus longtemps ».

Claude Ferrier : Le système à points envisagé n’est-il pas déjà en vigueur pour les retraites complémentaires ?

Raphaëlle Besse Desmoulières : C’est effectivement le cas : à l’Agirc-Arrco, la retraite complémentaire des salariés du privé, le système fonctionne en points. En revanche, la retraite de base repose sur un système en annuités qui combine plusieurs paramètres dont l’âge légal et le nombre de trimestres cotisés.

Velo : On parle beaucoup du régime de base, mais pas des retraites complémentaires. Sont-elles concernées par la réforme ? Il y a notamment une grosse différence entre cadre et non-cadre par rapport aux cotisations et aux pensions.

Dans le système universel voulu par le gouvernement, les retraites complémentaires du privé, comme d’ailleurs les régimes spéciaux, doivent disparaître et avec elles la gestion paritaire de l’Argic-Arrco.

Fouad : La révolution voulue par l’exécutif concernant les retraites n’était-elle pas une tactique pour accélérer le passage à 43 annuités voté depuis le précédent quinquennat ?

C’est le débat qui avait eu lieu au printemps lorsqu’avait surgi la polémique sur l’âge. Lors de son interview sur France 2 lundi, Emmanuel Macron a dit qu’il souhaitait que le système soit à l’équilibre lors de son entrée en vigueur en 2025.

Cela signifie que le gouvernement n’a pas renoncé à prendre des mesures paramétriques pour modifier le système actuel. L’accélération du calendrier fixé par la loi Touraine de 2014 – qui prévoit d’augmenter progressivement la durée de cotisations à 172 trimestres, soit 43 ans pour les générations nées en 1973 et après, d’ici à 2035 – est effectivement une des pistes envisagées.

Mais elle a un inconvénient majeur pour l’exécutif : pour faire des économies substantielles rapidement, il faut accélérer « brutalement » ce calendrier, ce qui pourrait provoquer des remous sociaux. Nous expliquions cela dans l’article ci-dessous :

Chris : Quelle retraite pour les enseignants qui n’ont que de faibles primes et qui commencent à travailler à 23-24 ans pour une retraite à 67 ans ?

C’est l’un des sujets problématiques de la réforme. Dans la fonction publique, la référence aux six derniers mois pour le calcul de la pension disparaît (comme celle des 25 meilleures années dans le privé). Le calcul se fera sur l’ensemble de la carrière. Il est donc prévu désormais de prendre en compte les primes que reçoivent les fonctionnaires – ce qui était très peu le cas jusqu’à présent.

Si c’est une bonne nouvelle pour ceux qui en touchent, ça l’est moins pour les autres, notamment les enseignants qui n’ont par ailleurs pas des rémunérations très élevées. Emmanuel Macron a d’ailleurs reconnu le problème lundi sur France 2 en déclarant : « Il y a certaines professions qui – si on fait les choses mécaniquement – seraient lésées : infirmières, aides-soignants, enseignants. (…) Il n’y aura pas de réforme des retraites tant qu’on n’aura pas bâti une vraie transformation de ces professions. »

Philippe : A partir de quelle date cette nouvelle loi entre en vigueur ?

Le futur système est prévu pour entrer en vigueur en 2025. Il s’appliquera « au plus tôt aux assurés nés à compter de 1963 qui seront à plus de cinq ans de leur départ en retraite au moment du vote de la loi », précisait le rapport Delevoye.

Ray : Quels sont, selon vous, les scénarios possibles concernant l’allongement de la durée de cotisations ? Quelles seraient les générations concernées ?

Pour l’heure, aucune précision n’a été donnée sur ce point après les déclarations de M. Macron de lundi 26 août. Le premier ministre, Edouard Philippe, reçoit les partenaires sociaux lundi 3 septembre. Ce sujet fera naturellement partie de la discussion. La durée de cotisation doit déjà évoluer dans les prochaines années : la loi Touraine de 2014, qui entre en vigueur en 2020, l’a déjà progressivement augmentée pour la porter à 172 trimestres en 2035, soit 43 ans.

L’une des pistes étudiées au printemps consistait à avancer ce calendrier de dix ans (2025 au lieu de 2035) mais avec un risque social important. La CFDT a déjà dit qu’elle s’opposerait à une accélération de ce calendrier comme à un allongement de la durée de cotisation.

Fausto Coppi : Comment peut-on agir sur la durée de cotisation dans un système de retraite par points ? Un euro de cotisation au cours d’une année vaudra-t-il une année complète ?

C’est en effet une bonne question. Si tout est toujours possible, techniquement introduire une durée de cotisation dans un système à points est compliqué. Cette notion de durée de cotisation est la principale spécificité d’un régime en annuités. Dans un système en points, elle disparaît car toutes les périodes travaillées génèrent des points. Réintroduire cette donnée risque donc d’aboutir à un mécanisme compliqué, voire une usine à gaz, qui éloignerait la promesse de simplification brandie depuis la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron sur ce sujet.
Lire aussi | Retraites : Macron « préfère » un accord sur la durée de cotisation plutôt que sur l’âge de départ

Seb : Les carrières longues seront-elles remises en cause ?

Le rapport Delevoye préconise de maintenir le dispositif des carrières longues qui permet à ceux qui ont commencé très tôt à travailler de liquider leurs droits à partir de 60 ans.

Chris : Pourquoi Emmanuel Macron repousse-t-il la réforme des retraites à l’après-municipales ?

C’est en effet ce qui semble se dessiner. Ce matin, le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a annoncé sur RTL que la seconde phase de la concertation voulue par le président de la République durerait « un peu moins d’un an ». Le calendrier semble donc fortement détendu car, en juillet, il était encore question que le projet de loi soit présenté à la fin de l’année pour un examen au Parlement début 2020.

Déjà à l’époque, il était incertain que ce dernier soit débattu avant les municipales, qui auront lieu en mars. Désormais, cela semble encore plus lointain. Cette réforme des retraites est un véritable champ de mines. Tous les sujets ont un potentiel explosif et les aborder tous de front est très risqué socialement. D’autant que, pour beaucoup d’observateurs, la crise des « gilets jaunes » couve encore. Emmanuel Macron semble donc bien décidé à prendre son temps. Son problème désormais sera de trouver le bon timing pour cette réforme alors que la présidentielle de 2022 arrive à grands pas.