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Le Monde.fr : En Afrique du Sud, être adolescent et séropositif

Juillet 2016, par infosecusanté

En Afrique du Sud, être adolescent et séropositif

LE MONDE

22.07.2016

Par Paul Benkimoun (Hibberdene (Afrique du Sud), envoyé spécial)

La petite route sablonneuse se termine en cul-de-sac à l’entrée du Natal Mercury Hibberdene Holiday Home. C’est un centre de vacances aux vertes pelouses, doté d’une grande piscine avec un toboggan et, en contrebas, une superbe plage sur laquelle l’océan Indien jette ses rouleaux. Hibberdene est une petite station balnéaire à une centaine de kilomètres au sud de Durban, la grande métropole où se tient, jusqu’au 22 juillet, la conférence internationale sur le sida.

Une cinquantaine d’adolescents et d’accompagnateurs, portant tous des t-shirts bleu ciel siglés « Umndeni Care Program » (Umndeni signifie « famille » en zoulou), jaillissent du car avec des cris d’excitation. Les moniteurs et les enfants forment alors un cercle pour chanter, danser et se présenter. Les visages sont radieux. Une banale entrée en matière pour une colonie de vacances, certes, sauf que celle-ci rassemble des adolescents qui vivent avec le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).

L’Afrique du Sud compte 240 000 jeunes de moins de 15 ans séropositifs et 2,1 millions d’orphelins du sida âgés de 17 ans ou moins – au moins un de leurs parents est mort des conséquences du virus –, selon le programme des Nations unies Onusida. A l’échelle du continent africain, le sida est la première cause de mortalité parmi les 10-19 ans.

« Surmonter les craintes »

Depuis 2004, quelque 7 500 jeunes sont passés par le camp de Hibberdene ou par celui de la province de Gauteng (où se trouve Johannesburg). L’équipe des animateurs travaille en partenariat avec la clinique pour adolescents de l’hôpital Don McKenzie, situé à Botha’s Hill. C’est dans cet établissement, situé à 45 kilomètres de Durban, dans la zone semi-rurale de la vallée des Mille Collines, que ces adolescents sont suivis. « A Hibberdene, nous leur proposons des ateliers variés : théâtre, activités artistiques, nutrition, sports, natation, explique Kim, l’une des monitrices. Ce sont plus que des distractions. Elles les aident à surmonter leurs craintes, à prendre confiance en eux en s’astreignant à finir une activité. »

Issus pour la plupart de communautés des environs, les moniteurs se désignent par un mot inventé il y a plusieurs années dans le camp : « Vocelli » (prononcé comme à l’italienne), jugé plus neutre que « conseiller ». Deux adolescents qui venaient régulièrement au camp sont à leur tour devenus vocellis.

Kabelo, qui a mené les chants et les danses lors de l’arrivée, raconte l’étonnement des jeunes participants au camp lorsqu’un homme évoque des sujets comme l’utilisation d’un tampon hygiénique et les règles. « Beaucoup demandent : comment connaît-il autant de choses ? Nous les aidons à apprendre à parler de leur séropositivité, à savoir utiliser un préservatif… et ces jeunes vont diffuser cette information autour d’eux. »

Cheveux tressés, visage rond et yeux pétillants, Lisa, 18 ans, vient pour la troisième fois au camp et elle est enthousiaste : « J’ai appris que j’étais séropositive à l’âge de 13 ans, au moment où l’on m’a fait un test car j’avais une tuberculose et j’étais très malade. Ma mère a découvert en même temps que moi qu’elle était séropositive. » Pour Lisa, pas question pour l’instant d’avoir une relation avec un garçon. « Je n’ai pas de petit ami, affirme-t-elle catégoriquement. J’attends d’avoir 21 ans, comme le recommande ma grand-mère. »

Elle prend son traitement anti-VIH tous les jours à la même heure, sans exception. Comme les autres jeunes que nous avons rencontrés, elle craint avant tout d’être stigmatisée comme séropositive et avoue se cacher de ses amis pour la prise quotidienne de ses médicaments : « Je ne veux pas dévoiler mon statut sérologique, même à ma meilleure amie. On ne peut pas faire confiance aux gens, surtout aux enfants. » Et quand elle aura un petit ami ? « Mon statut sérologique sera un problème… mais je verrai. » Lisa prend soin d’elle-même, mange sainement et espère devenir esthéticienne ou soignante.

« J’avais honte »

Sanele Chonco, lui, ne se cache plus. Ce jeune homme de 22 ans, issu de la banlieue de Durban, est l’un de ces anciens campeurs devenu vocelli. Sa mère est morte en 2004 d’une maladie liée au sida. Il a découvert sa propre séropositivité à l’âge de 14 ans alors qu’il présentait des symptômes qui ont entraîné un test VIH. « Personne ne voulait jouer avec moi, être avec moi. Je ne pouvais plus aller à l’école. Je toussais, j’étais faible, j’avais des douleurs. Surtout j’avais honte et il fallait vivre avec ça. Ce n’était pas possible d’en parler autour de moi, mais à présent, j’en parle sans problème. »

Heureusement, sa tante maternelle s’occupe de lui. « L’équipe médicale n’a pas fait que me donner des médicaments, affirme Sanele Chonco. Elle m’a donné des conseils d’hygiène de vie. J’ai arrêté le tabac, l’alcool, le cannabis. Elle m’a rendu l’espoir et la force. J’ai commencé une nouvelle vie, me suis fait de nouveaux amis. Si on sait ce que l’on veut dans la vie, c’est facile de faire de bons choix. » Sanele Chonco a une petite amie depuis peu et il reconnaît que ce n’est pas facile d’en parler avec sa partenaire. Mais il assure prendre les précautions nécessaires pour la protéger.

Son premier séjour au camp de vacances remonte à 2013 ; il y est devenu vocelli en 2015. « Les vocellis m’ont donné envie de faire comme eux et ils m’ont expliqué que ce n’était pas aussi difficile que je l’imaginais de le devenir à mon tour. » L’ambition de Sanele Chonco ne s’arrête pas là. Il souhaite monter son propre commerce – un élevage de poulets – et étudier le développement social. « Il ne faut pas penser qu’être testé séropositif c’est la fin du monde », assure-t-il.

Durban – où la moitié de la population a moins de 35 ans – et sa région demeurent l’épicentre de l’épidémie de VIH en Afrique du Sud : 19 % de la population sud-africaine vit avec le virus, mais, dans la province du Kwazoulu-Natal, la prévalence atteint 40 % selon les données officielles.

Sur les 380 000 nouvelles infections enregistrées en 2015 dans le pays, 58 800 concernaient des adolescents (10 à 19 ans). La vulnérabilité extrême des filles comparée à celle des garçons est flagrante : 49 000 adolescentes pour 9 800 adolescents. En cause : l’effet de nombreux facteurs sociaux comme le statut des femmes, le manque de connaissance sur la sexualité mais aussi les viols. La mort est plus « équitable » puisque 3 300 adolescentes et 3 000 adolescents sont morts des suites du sida en 2015 en Afrique du Sud.

Après des années de retard pris sous la présidence de Thabo Mbeki (de 1999 à 2008), le pays a déployé avec efficacité l’utilisation des antirétroviraux, à commencer par la prévention de la transmission au cours de la grossesse. A présent, plus de 95 % des femmes enceintes séropositives reçoivent un traitement, ce qui a permis d’éviter environ 70 000 infections d’enfants en 2015, selon l’Onusida.

Mais il faut compter avec la génération née avant que cette politique de prévention ne soit décidée à l’échelle nationale. Le camp d’Hibberdene verra encore d’autres jeunes campeurs séropositifs dans les années qui viennent.

Paul Benkimoun (Hibberdene (Afrique du Sud), envoyé spécial)
Journaliste au Monde