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Mediapart : Plan pour l’hôpital : « L’exécutif ne nous a toujours pas entendus »

Novembre 2019, par infosecusanté

Mediapart : Plan pour l’hôpital : « L’exécutif ne nous a toujours pas entendus »

20 novembre 2019

Par Caroline Coq-Chodorge
Le gouvernement présente son nouveau plan pour l’hôpital : 1,5 milliard d’euros supplémentaire, sur trois ans. Collectifs et syndicats dénoncent des mesures ciblées, et catégorielles, visant à diviser le mouvement social. Ils assurent que la mobilisation va se poursuivre. Une partie des hospitaliers a prévu de rejoindre le cortège du 5 décembre contre la réforme des retraites.

Le gouvernement a une nouvelle fois revu sa copie sur l’hôpital : après la prime pour les paramédicaux des urgences en juillet, après le pacte de refondation pour les urgences en septembre, voici le plan d’urgence pour l’hôpital, présenté ce mercredi 20 novembre. Le gouvernement a voulu ainsi réagir, vite, à la manifestation du 14 novembre, qui a réuni des milliers d’hospitaliers, dans toute la France.
L’après-midi même, le président de la République prononçait un « discours fantastique », admet Sophie Crozier, neurologue à la Pitié Salpêtrière, et membre du Collectif inter-hôpitaux. « Nous devons investir, assumer d’investir, plus fortement que ce que nous avions imaginé de faire, car la situation est encore plus grave que celle que nous avions analysée », venait de promettre Emmanuel Macron.

Les espoirs sont vite tombés : « Ils ne nous ont toujours pas entendus ! » s’émeut Sophie Crozier, « très énervée ». « Nous sommes face à une crise sanitaire. Les épidémies de l’hiver arrivent, alors que de nombreux lits de pédiatrie sont fermés. Les responsables politiques seront comptables de la catastrophe à venir. » « Rien que pour 2020, on demandait 4 milliards, on a 300 millions. Le gouvernement fait du saupoudrage pour éteindre l’incendie », résume Christophe Prudhomme, porte-parole de la CGT Santé.

Le Collectif inter-hôpitaux (CIH), qui s’est constitué en septembre, le Collectif inter-urgences, qui aiguillonne le mouvement social depuis le printemps, le Printemps de la psychiatrie, les syndicats CGT, FO, Solidaires, rejoints même par la CFDT, la CFTC ou la CFE-CGC, tous sont d’accord : « Le premier ministre ne répond pas à la gravité de la situation », déclarent-ils dans un communiqué commun. Ils rappellent leurs revendications : une augmentation des salaires des paramédicaux de 300 euros, des effectifs suffisants pour maintenir et rouvrir des lits quand c’est nécessaire, donc une augmentation substantielle du budget de l’hôpital, pour financer tout cela. Au lieu de ça, « on a le droit à des mesures discriminatoires, au profit des uns, mais pas des autres. Ils cherchent à nous diviser », analyse Christophe Le Tallec, aide-soignant membre du Collectif inter-urgences.

Le plan dévoilé par le premier ministre Édouard Philippe et la ministre de la santé Agnès Buzyn représente 1,5 milliard d’euros d’investissements supplémentaires, sur trois ans. L’essentiel de cet investissement est consacré à des primes ciblées vers les paramédicaux. Une prime de 800 euros par an va être accordée à 40 000 infirmiers et aides-soignants qui travaillent à Paris et dans la petite couronne (Hauts-de-Seine, Val-de-Marne, Seine-Saint-Denis) et gagnent moins de 1 950 euros net par mois. Pour ces paramédicaux, cela représente une augmentation de salaire de 66 euros par mois. La neurologue Sophie Crozier rapporte le commentaire d’une infirmière membre du Collectif inter-hôpitaux : « 66 euros, c’est le coût du pass Navigo » mensuel pour prendre le métro.

D’autres primes existantes, jusqu’ici réservées aux jeunes médecins qui acceptent de rejoindre les hôpitaux qui ont des difficultés de recrutement, seront élargies à quelques métiers en très forte tension, comme les manipulateurs radio, happés par le secteur privé. Une prime de 300 euros annuels sera également à la main des hôpitaux pour « valoriser l’engagement et l’investissement des personnels ». Cette prime au mérite « pourrait concerner à terme 600 000 personnels », assure le plan.
La promesse budgétaire la plus importante – 120 millions d’euros dès 2020 – concerne les aides-soignants en Ehpad : une prime de 100 euros mensuels sera conditionnée à une formation en gériatrie. C’est en réalité un recyclage d’une promesse faite aux Ehpad… en janvier dernier. La ministre s’est également engagée sur une « amélioration des fins de carrière de l’ensemble des aides-soignants », afin de leur « permettre de partir à la retraite dans de meilleures conditions ». Cette promesse encore très floue dit, en creux, la crainte d’une mobilisation de l’hôpital public contre la réforme des retraites, le 5 décembre.

Ce plan est aussi l’occasion pour le gouvernement de dévoiler des mesures techniques à destination des médecins, en particulier une refonte du statut du personnel hospitalier, qui est « en discussion depuis longtemps », explique Renaud Péquignot, président du syndicat Action praticiens hôpital. De même, est répété l’engagement, déjà formulé en septembre, de lutter contre l’intérim médical, en contrôlant le montant des rémunérations, et des revenus des médecins qui s’y livrent. En contrepartie, le gouvernement promet « une rémunération attractive pour des gardes assurées » dans un autre hôpital par un praticien hospitalier, en plus de ses obligations. Pas sûr que cela suffise à résoudre le problème de très nombreux services d’urgences, par exemple, dont les plannings médicaux sont vides pour les fêtes de fin d’année.

Ce nouveau plan répète aussi l’engagement du gouvernement, déjà inscrit dans le plan « Ma santé 2022 », de rééquilibrer la gouvernance hospitalière, en redonnant un peu plus de pouvoir aux médecins face à l’administration. Là encore, le Collectif inter-hôpitaux estime ne pas avoir été entendu : « Que les grands chefs de service aient plus de pouvoir, c’est bien, mais ce n’est pas ce qu’on demande, indique la neurologue Sophie Crozier. On veut que les praticiens, les paramédicaux de terrain, les usagers soient aussi entendus. »

Au bout du compte, c’est la reprise d’une partie de la dette des établissements publics – 10 milliards, sur 30 milliards, seront transférés au budget de l’État – qui fait le plus consensus.. « L’assistance publique-hôpitaux de Paris a une dette de 2,2 milliards d’euros, qui lui coûte 100 millions d’euros pas an en remboursement. Si une partie est annulée, elle pourra mieux faire face à l’investissement de 600 millions d’euros dans la construction du nouvel hôpital nord. Ce n’était absolument pas notre attente, mais les établissements vont pouvoir de nouveau se ré-endetter », ironise Olivier Youinou, co-secrétaire général de Sud-Santé.

Il y a quelques expressions de satisfaction, cependant. Pour Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France, le gouvernement apporte « une réponse très concrète, presque sonnante et trébuchante ». Dans un courrier interne à l’AP-HP, le directeur général Martin Hirsch s’est lui aussi félicité de ces mesures qui « permettent de changer la donne », en particulier en apportant « une reconnaissance spécifique du coût de la vie en Île-de-France » avec la prime annuelle de 800 euros.

Mais « la mobilisation va se poursuivre », assure Renaud Péquignot, du syndicat APH. « Ceux qui étaient au fond du trou relèvent la tête. Des jeunes font l’expérience de la lutte, ils voient qu’ils peuvent gagner, et qu’ils peuvent gagner encore plus », s’enthousiasme Christophe Prudhomme, de la CGT Santé. L’ensemble des organisations appelle à des initiatives locales le 30 novembre, et à une journée nationale de grève et de manifestations le 17 décembre.

Une partie des hospitaliers vont aussi, au moins en partie, rejoindre le cortège du 5 décembre contre la réforme des retraites. L’idée d’une « convergence des luttes » a fait débat lors de la dernière assemblée générale du Collectif inter-hôpitaux, organisée le soir de la manifestation du 14 novembre. Certains médecins sont hostiles à mélanger leurs revendications avec celles de la SNCF et de la RATP. Finalement, le CIH reste « sur la défense de l’hôpital, explique Renaud Péquignot. Mais de nombreuses organisations syndicales hospitalières vont manifester le 5 décembre ». Ce sera le cas de son syndicat, l’APH, mais aussi, bien sûr, de la CGT Santé ou de Sud Santé. Le Collectif inter-urgences doit faire voter ses membres avant de se décider.

Car un nouveau combat s’engage : celui de la défense de la catégorie active des paramédicaux (aides-soignants, agents de service hospitalier, brancardiers, etc.), qui leur permet de partir à la retraite de manière anticipée. Les médecins veulent faire reconnaître la « pénibilité de certains exercices », selon Renaud Péquignot. Et même les professeurs d’université-praticien hospitalier (PU-PH) ont des revendications sur leur retraite, puisqu’ils ne la perçoivent que sur la partie universitaire de leur salaire. L’hôpital public, dans toute sa diversité sociale, se découvre de nombreux combats communs.