Environnement et facteurs dégradant la santé

Alternative économique - CAPITALISME Les profits avant la santé

Décembre 2019, par Info santé sécu social

CÉLINE MOUZON
27/12/2019

De l’alimentation au médicament, les multinationales dictent les règles du jeu. Au détriment de notre santé.

Dans le monde merveilleux du capitalisme, la santé est un marché comme les autres. Il est même souvent plus captif : difficile de changer l’air que l’on respire ou de se passer des prescriptions médicales lorsqu’on est malade. Au cours du XXe siècle, les maladies infectieuses ont reculé dans les pays industrialisés. Ce n’est pas le cas des maladies chroniques (Alzheimer, Parkinson, diabète, pathologies cardiovasculaires…), qui touchent toujours plus de personnes, et pas uniquement en raison du vieillissement de la population. L’environnement joue un rôle essentiel. En cause : les industries chimiques et agroalimentaires qui façonnent de plus en plus nos modes de vie. A l’autre bout du spectre, le secteur pharmaceutique a un poids toujours croissant. Son chiffre d’affaires a dépassé les 1 000 milliards de dollars en 2017 1.

Effet cocktail. Du côté de la chimie (Bayer, Dupont…), on n’en finit plus d’inventer des molécules : plus de 100 000 depuis 1945, qu’on retrouve dans les cosmétiques, le plastique ou… nos assiettes, par le biais des pesticides. Selon l’Inra, une pomme qui n’est pas issue de l’agriculture bio subit en moyenne 36 traitements chimiques. Problème : même ingurgitées à petite dose, les molécules se combinent. Cet « effet cocktail » affaiblit le système immunitaire, contribuant à certaines pathologies chroniques et à l’infertilité, car beaucoup sont des perturbateurs endocriniens 2.

L’Union européenne s’est bien dotée en 2007 du règlement Reach, qui a permis de restreindre l’utilisation de 200 molécules jugées dangereuses pour la santé humaine, aussi bien dans des produits de nettoyage que des peintures, mais cela reste insuffisant. Même s’il est plus efficace que la procédure d’interdiction administrative étasunienne, qui n’a concerné depuis 1976 que quatre substances, Reach repose sur un principe d’autorisation dérogatoire qui limite de fait les interdictions 3. Le secteur ne lésine en outre pas sur le lobbying en fabriquant de la controverse scientifique, et fait ainsi reculer l’application du principe de précaution, comme l’a démontré la journaliste Stéphane Horel à propos des perturbateurs endocriniens 4. L’exemple du glyphosate l’illustre aussi : alors que le Centre international de recherche sur le cancer a estimé en 2015 que cette substance était un « cancérogène probable », la plupart des agences de réglementation ne lui ont pas emboîté le pas. En 2017, l’Union européenne l’a de nouveau autorisé pour cinq ans. Seule l’Autriche a décidé cet été de le bannir.

Diabète et obésité. De son côté, l’industrie agroalimentaire vend des produits transformés bourrés de sucre, de sel et de gras. Une façon de produire à moindre coût tout en nous rendant accros 5. Bien dosés, le sucre et le gras activent les circuits cérébraux de la récompense et peuvent créer une accoutumance. Les conséquences sur notre santé sont dévastatrices. L’obésité touche aujourd’hui un adulte sur huit dans le monde. En Chine, près de 10 % de la population souffre d’un diabète de type 2, qui était quasi inexistant en 1980.

Face à cela, les pouvoirs publics multiplient les recommandations. Mais « entre le slogan “manger cinq fruits et légumes par jour” et l’efficacité des campagnes publicitaires pour les produits les moins diététiques (...), le match apparaît d’autant plus inégal que le prix des produits est souvent inversement proportionnel à leur intérêt nutritionnel », rappelle le spécialiste Didier Tabuteau 6.

Santé business. L’industrie pharmaceutique, enfin, est passée maître dans l’art de faire de la santé un business. Son modèle économique de blockbuster, un médicament protégé par un brevet et vendu en masse, est certes en train de s’essouffler avec l’arrivée des biotechnologies, qui ont complexifié et allongé la phase de recherche. C’est pourquoi, de plus en plus, les grandes firmes travaillent en joint-venture ou rachètent des start-up qui ont réalisé les premières phases de R&D.

Elles développent désormais des médicaments ciblés sur une catégorie précise de patients souffrant de maladies chroniques, qu’elles vendent à un coût exorbitant pour la Sécurité sociale. Ainsi du Sovaldi, que le laboratoire Gilead a proposé en France au prix de 41 000 euros les douze semaines de cure. Le prix démesuré ne rémunère pourtant pas une recherche autonome puisque des laboratoires de recherche publique sont souvent à l’origine des nouvelles molécules. L’ONG néerlandaise Somo souligne que les patients paient souvent trois fois pour un nouveau médicament : pour financer la recherche publique, pour subventionner les start-up, et pour l’achat final. De fait, entre le milieu des années 1990 et aujourd’hui, le taux de dividende, soit la part des bénéfices versés aux actionnaires sous cette forme, s’échelonne entre 40 % et plus de 100 % dans les plus grosses entreprises du secteur, selon le think tank belge Mirador. Autrement dit, près de la moitié des bénéfices au moins part sous forme de dividendes. Capitalisme et santé ne font bon ménage qu’au profit de certains.


1. Voir Economie du médicament, par Philippe Abecassis et Nathalie Coutinet, coll. Repères, La Découverte, 2018.
2. Voir Ça chauffe dans nos assiettes. Des recettes pour sauver le climat, par Yves Leers et Jean-Luc Fessard, Buchet-Chastel, 2017.
3. Voir Toxiques légaux. Comment les firmes chimiques ont mis la main sur le contrôle de leurs produits, par Henri Boullier, La Découverte, 2019.
4. Voir Intoxication. Perturbateurs endocriniens, lobbyistes et eurocrates : une bataille d’influence contre la santé, par Stéphane Horel, coll. Cahiers libres, La Découverte, 2015.
5. Voir Sucre, sel et matières grasses. Comment les industriels nous rendent accros, par Michael Moss, Calmann-Lévy, 2014.
6. Voir « La santé dans l’assiette », Les tribunes de la santé n° 49, 2015.