Environnement et facteurs dégradant la santé

Le Monde.fr : Pas de résultats et pas de transparence sur les pesticides : la politique publique de réduction vue par la Cour des comptes

Février 2020, par infosecusanté

Le Monde.fr : Pas de résultats et pas de transparence sur les pesticides : la politique publique de réduction vue par la Cour des comptes

En dépit de trois versions successives et des 400 millions d’euros engagés, les plans Ecophyto se sont soldés par une augmentation des quantités de produits chimiques.

Par Martine Valo •
Publié le 04/02/2020

Gros retards, imbroglio administratif, absence de résultats et manque de transparence : voilà en substance le bilan dressé par la Cour des comptes de dix années d’action gouvernementale, impuissante à sortir l’agriculture française de sa dépendance aux pesticides. Le premier ministre, à qui ce référé en forme de constat d’échec a été adressé le 27 novembre 2019, disposait d’un délai de deux mois pour y répondre avant que ce texte ne soit rendu public mardi 4 février. Matignon a rédigé une défense in extremis lundi. Son argumentaire recense des mesures censées encourager les agriculteurs à avoir la main moins lourde sur les produits chimiques, mais ne dit pas pourquoi les programmes de mobilisation et les millions d’euros dépensés depuis 2009 se sont jusqu’à présent soldés par une augmentation continue des quantités de produits vendues aux agriculteurs.

La Cour rappelle qu’en 2008, poussée par l’élan d’optimisme du Grenelle de l’environnement, la France ambitionnait de réduire de 50 % l’usage des pesticides en dix ans, d’atteindre 50 % d’exploitations engagées en certification environnementale vers 2012 et 20 % de surfaces agricoles en bio en 2020. Las, même reportés à 2025 et revus à la baisse, « les effets des plans Ecophyto demeurent très en deçà des objectifs fixés », observent les magistrats. En dépit des trois versions successives de ces plans (dont la dernière date d’avril 2019) et des 400 millions d’euros engagés jusqu’en 2018, l’utilisation des pesticides « a au contraire progressé de 12 % entre 2009 et 2016 », notent-ils. Encore ne disposaient-ils pas des derniers chiffres pour leur rapport.

Car en réalité, selon la note du suivi Ecophyto du 7 janvier établie par le ministère de l’agriculture, le recours aux pesticides s’est fortement intensifié entre 2009 et 2018 : il a augmenté de 25 % en nombre de doses unités (NODU), un indicateur qui exclut les produits de bio contrôle à risque faible et les traitements de semences. L’augmentation par rapport à 2017 est même spectaculaire (+ 24 % en un an). Quant aux lignes budgétaires, le gouvernement les évalue à 41 millions d’euros par an pour les actions nationales et 30 millions pour les régions. Une diversité de financement « si complexe, estime la Cour des comptes, qu’elle peut neutraliser les effets de l’impulsion nationale et (…) des initiatives régionales ». Le tout sous le contrôle de sept administrations différentes.

Quasi-retour au niveau de 2009

Matignon concède qu’il faut « en rendre mieux compte » et annonce la nomination d’un coordinateur interministériel chargé d’établir une cartographie des financements. Il promet aussi de livrer des statistiques plus à jour. Et il vante la mise en ligne en janvier d’un site, Dataviz, permettant de visualiser les évolutions des ventes des dix dernières années (où l’on voit qu’elles montent en flèche dans le Tarn-et-Garonne en particulier). Un effort de transparence inédit il est vrai.

Une « agriculture moins dépendante aux pesticides » constituant une de ses priorités, le gouvernement évoque dans son argumentaire de défense de six pages ses efforts auprès de l’Union européenne en faveur d’une politique agricole commune plus soucieuse d’environnement et de l’interdiction de certaines substances, comme les insecticides néonicotinoïdes entre autres. Il met en avant l’augmentation de la redevance pour pollutions diffuses, l’encadrement de la publicité et la fin des ristournes sur les pesticides. Cela n’a pas suffi : en quantité de substances actives, le volume des achats en France s’élevait encore à 85 900 tonnes en 2018. Or, la Cour note que l’obligation pour les vendeurs de proposer aux acheteurs des méthodes de substitution aux produits phytos « demeure de portée incertaine », en raison notamment « de la suppression du régime de sanction pécuniaire » pour les professionnels qui manquent à ce devoir.

Matignon rapporte des baisses de 15 % et de 9 % en moyennes triennales des molécules « les plus préoccupantes » : avec un caractère cancérigène, mutagène ou toxique soit avéré, soit suspecté. Pourtant, les courbes de la note Ecophyto dessinent un quasi-retour au niveau de 2009. En revanche, dans les zones non agricoles, la loi a fait chuter l’utilisation des pesticides de 70 %. Les ventes de produits de biocontrôle, destinés aux cultures bio, augmentent fortement car ce type de modèle gagne du terrain : 41 600 exploitations y sont converties, soit 9,5 % du total.

Selon la Cour, l’Etat devrait « améliorer les règles scientifiques et déontologiques d’évaluation des substances » et mettre en place un « dispositif de phyto-pharmacovigilance ». Elle rappelle que tout citoyen devrait pouvoir consulter l’importance des substances émises dans l’environnement, près de chez lui notamment. Fin novembre 2019, elle demandait au gouvernement de s’appuyer sur les résultats de la consultation publique menée au sujet des distances de sécurité à l’égard des riverains. Depuis, celui-ci a tranché pour des zones sans épandage de 3 à 20 mètres selon les cultures, bien inférieures aux 150 mètres demandés par nombre des 53 000 contributions reçues.
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Martine Valo