Industrie pharmaceutique

Liberation.fr : Mediator : « Les victimes ont toujours la crainte que Servier passe à travers »

Juin 2020, par infosecusanté

Liberation.fr : Mediator : « Les victimes ont toujours la crainte que Servier passe à travers »

Par Eric Favereau —

2 juin 2020

Après deux mois de suspension, le procès hors normes du Mediator doit reprendre ce mardi matin au Palais de justice de Paris.

« Comme un jour sans fin », lâche François De Castro, avocat des laboratoires Servier, avant la reprise ce mardi du procès Mediator, à l’arrêt depuis deux mois pour cause de confinement. Ouvert le 23 septembre, ce procès hors-norme, espéré depuis dix ans par les victimes, avait été suspendu le 16 mars, à moins de sept semaines de son terme. Onze personnes morales et douze personnes physiques – toutes âgées de plus de 65 ans – comparaissaient devant le tribunal. Quelque 2 600 victimes, avec ou sans séquelles corporelles, s’étaient aussi constituées parties civiles avant l’ouverture des débats. Et ce mardi matin, l’audience doit reprendre à 10 heures avec l’examen d’au moins une demande de renvoi en lien avec le contexte épidémique.

« Il faut que ce procès aille à son terme, insiste Charles Joseph-Oudin, avocat de nombreuses parties civiles. Les victimes ne veulent pas de report. Elles ont toujours cette crainte que le laboratoire Servier passe à travers, et ne soit pas jugé. Nous sommes prêts à plaider avec masques et gel s’il le faut, mais on ne doit rien repousser. »

« Je suis effrayé à l’idée que nous puissions être réunis »
De fait, tout est prêt. La salle a été réaménagée avec un siège sur deux inutilisable pour faire respecter les règles de distanciation sociale et limiter le nombre de personnes présentes. Le port du masque sera recommandé. « Des mesures insuffisantes », pour l’association d’aide aux victimes des accidents de médicaments (AAAVAM), partie civile, qui sollicite un nouveau report de ce procès « à risque ». « Je suis effrayé à l’idée que nous puissions être réunis. Nous serons une centaine dans la salle. Je n’ai pas l’impression que l’audience puisse se tenir dans une ambiance normale pour une justice sereine », soutient l’avocat de l’AAAVAM. « Je ne suis pas sûr que les conditions sanitaires soient réunies, ce serait plutôt le contraire », nous dit pour sa part François De Castro, « mais nous ne demandons pas le renvoi. Même si la plupart des parties civiles mais aussi des prévenus, sont des personnes à risques, diabétiques ou très âgées ». Et cet avocat de noter : « Nous défenseurs, nous allons porter des masques. Tout cela va être bien bizarre, d’autant qu’il n’y avait pas urgence, mais si le tribunal le souhaite comme cela semble le cas, nous suivrons. »

Jusqu’au bout ce procès aura été atypique, éternellement long, dans une salle remplie essentiellement par les avocats, avec la présence vigilante d’Irène Frachon qui s’est fait un devoir d’assister à toutes les audiences. Pour mémoire, les laboratoires Servier sont accusés d’avoir dissimulé volontairement les propriétés anorexigènes et les dangereux effets secondaires du Mediator. A la barre du tribunal, l’ex-numéro 2 de la firme, Jean-Philippe Seta, avait présenté ses « excuses » aux victimes. Le prévenu avait invoqué des « erreurs d’évaluation », mais rejeté toute faute intentionnelle. « Tout le monde était au courant des caractéristiques de ce document, nous n’avons rien caché », a répété pour sa part François de Castro. Les autorités de santé, en particulier l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament), sont également parmi les prévenus, jugées pour avoir négligé les alertes sur la dangerosité du Mediator et au minimum tardé à le suspendre. L’ANSM a dit « assumer sa part de responsabilité », et ne plaidera donc pas la relaxe.

Volet corruption
Vingt journées d’audience sont encore prévues. Et avant de passer aux plaidoiries, le tribunal va disséquer l’un des épisodes les plus cocasses, mais aussi l’un des plus révélateurs des pratiques de Servier : le volet corruption. En l’occurrence, celui-ci met en cause l’ancienne sénatrice, Marie-Thérèse Hermange, accusée d’avoir modifié un rapport sur le Mediator après une « visite clandestine » au Sénat où elle est allée discuter avec un conseiller du groupe Servier et ex-directeur général de l’Inserm, le professeur Claude Griscelli. Avant la finalisation du texte, une série de coups de téléphone ont eu lieu également entre les deux personnes, mais aussi avec le numéro 2 de Servier. Le plus incroyable de l’histoire a été d’apprendre au cours de l’instruction que le professeur Claude Griscelli, personnalité alors incontestée de la pédiatrie française, a reçu pendant près de 10 ans, 90 000 euros par an, à titre de consultant. Ce qu’il faisait ? « On n’en sait rien », résumait l’acte d’accusation.

Pour la reprise du procès, le professeur Claude Griscelli ne sera pas là, se trouvant au repos au Maroc. Et comme si l’histoire n’avait guère de morale, Marie-Thérèse Hermange, bien que mise examen pour corruption, a été, elle, nommée au Comité d’éthique de l’Académie de médecine en 2017.

Eric Favereau