Industrie pharmaceutique

Libération - Retard sur le vaccin anti-Covid : c’est pas de veine pour Sanofi

Décembre 2020, par Info santé sécu social

Par Jérôme Lefilliâtre et Olivier Monod — 11 décembre 2020

Alors que son concurrent Pfizer prend la tête de la course au remède, le laboratoire français a dû repousser son calendrier après des résultats d’essais non concluants.
Le moment était le plus mal choisi pour Sanofi. Vendredi matin, tandis que le laboratoire pharmaceutique français annonçait un « retard » dans l’élaboration de son principal vaccin contre le Covid-19, son concurrent Pfizer triomphait. La veille, un panel scientifique indépendant chargé de conseiller l’autorité sanitaire des Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA), avait recommandé, à une large majorité, l’autorisation en urgence du vaccin de la société américaine. La décision définitive de la FDA pourrait tomber ce week-end, ouvrant l’accès au marché américain, après ceux du Royaume-Uni, du Canada, du Bahreïn et de l’Arabie Saoudite.

Pour Pfizer et son allié BioNTech, la prouesse est d’abord technologique : ce vaccin se base sur la méthode novatrice de l’ARN messager, molécule qui dicte à nos cellules ce qu’il faut fabriquer pour lutter contre le coronavirus. Elle est aussi une réussite financière : les cours de Bourse des deux partenaires se sont envolés depuis l’annonce, le 9 novembre, de résultats de tests probants. Epluchés par le New England Journal of Medicine, ils ont été validés jeudi dans un éditorial dithyrambique de cette revue scientifique de référence.

Singes.
A l’inverse, le titre de Sanofi perdait plus de 3 % en début de journée à la Bourse de Paris. L’entreprise française, qui travaille sur ce projet avec son homologue britannique GSK, ne tiendra pas le calendrier prévu. Alors qu’elle promettait de fournir son vaccin « adjuvanté à protéine recombinante » - moins révolutionnaire que l’ARN messager, cette technique consiste à injecter une protéine du virus et un adjuvant dans le corps - au premier semestre 2021, elle a repoussé l’échéance à la fin de l’année prochaine. La faute à des mauvais résultats concernant les personnes de plus de 49 ans : les tests ont fait état d’une « faible réponse immunitaire » chez cette population prioritaire dans l’ordre d’accès au vaccin.

Sanofi et GSK espéraient lancer la phase 3 des tests (la dernière avant la demande d’homologation) ce mois-ci. En réalité, ils vont devoir recommencer la phase 2 au mois de février.

Officiellement, le laboratoire reste confiant. Des essais menés sur des singes lui donnent bon espoir d’avoir trouvé ce qui n’allait pas : le vaccin aurait une « concentration insuffisante d’antigènes ». Sanofi se réfugie derrière la nécessité de ne pas prendre de risque. « La santé publique est notre principale priorité », commente Thomas Triomphe, le vice-président exécutif qui se dit « déçu ».

Dans la course au remède contre le Covid-19, qui prend parfois des airs de guerre diplomatique et de jeu d’influence international, l’annonce fait mauvais genre. Pour le labo français, l’enjeu n’est pas vraiment économique. Il avait prévu de vendre ce vaccin à un tarif bas, lui qui réalise l’essentiel de son chiffre d’affaires sur des traitements innovants, longs et coûteux. A l’exemple de son nouveau médicament star, le Dupixent, pour soigner la dermatite atopique, une maladie de la peau : celui-ci a généré 918 millions d’euros de revenus entre juillet et septembre (+69 % sur un an).

Crédibilité.
Pour Sanofi, il s’agit plutôt d’une question de réputation. A tous les « Big Pharma », comme on appelle les grands acteurs mondiaux du secteur, le Covid-19 offre une magnifique occasion de redorer leur image. Eux qui sont souvent perçus comme des firmes avides, dégageant des marges considérables et offrant des salaires immenses à leurs cadres, ont la possibilité, avec cette pandémie, de justifier par la preuve la validité de leur argument traditionnel : les profits générés par l’industrie seraient le simple résultat du progrès qu’ils apportent au monde… Raté pour Sanofi, dont le nouveau patron anglais, Paul Hudson, nommé en septembre 2019, avait pourtant fait des vaccins l’une de ses priorités stratégiques.

Cette nouvelle est-elle à l’avenir susceptible d’entacher à l’avenir la crédibilité scientifique de Sanofi ? C’est toute la question. Avec son partenaire GSK, le laboratoire avait été sélectionné par le gouvernement américain pour faire partie de l’opération « Warp Speed », censée accélérer les recherches médicales contre le virus. A ce titre, le duo s’était vu promettre en juillet 2,1 milliards de dollars de subventions (1,7 milliard d’euros) pour la fourniture de 100 millions de doses. En septembre, il avait aussi signé un accord avec l’Union européenne pour 300 millions de doses.

Un contrat particulièrement poussé par le gouvernement français, ravi de mettre sur le devant de la scène son « champion » national, dont Emmanuel Macron avait visité un site de production en juin lors d’un déplacement consacré à la « relocalisation » de l’industrie. « Cette insistance a un peu agacé les autres pays européens lors des discussions, raconte une source haut placée au sein de l’exécutif. On l’a fait car Sanofi a une grosse capacité de production. » Une qualité très utile, à condition d’arriver à produire à temps un vaccin efficace.