Industrie pharmaceutique

Libération - Vaccin : entre les labos et l’UE, des contrats nébuleux

Janvier 2021, par Info santé sécu social

Par Pauline Moullot — 21 janvier 2021 à 20:41

L’Union et les fabricants de vaccins gardent jalousement sous silence les modalités de leurs accords, alimentant les interrogations des ONG et eurodéputés.

Le débat était déjà sur la place publique avant même les autorisations de mise sur le marché : alors que la Commission européenne a pris les rênes des négociations sur les vaccins, ONG et élus ont pointé, dès le début, le manque de transparence sur ces contrats avec les labos. Des semaines plus tard, on en est toujours au même point. Responsabilités, prix, livraisons, calendriers, les zones d’ombre restent aussi nombreuses sur ces accords confidentiels. Et le nouveau tour de passe-passe concernant la sixième dose ne fait qu’en rajouter une couche.

Ce dernier épisode, qui voit le tandem Pfizer-BioNTech flouer les Etats membres en leur livrant moins de flacons que prévu, a au moins le mérite de mettre tous les partis politiques d’accord. Mercredi à Bruxelles, les eurodéputés étaient unanimes pour dénoncer le manque de transparence des labos. « Une insulte à la démocratie », a notamment tancé le Belge Philippe Lamberts (Verts). Et pour cause : les rares éléments concernant ces contrats qui ont été rendus publics l’ont été… par erreur, piratés, communiqués de manière très parcellaire ou effacés.

Bourde
Premier exemple éloquent avec les prix. Officiellement, aucune information sur le coût des vaccins et la marge que se font - ou non - les firmes pharmaceutiques n’a filtré. Ni de la part de la Commission ni des laboratoires. Mais mi-décembre, dans un rare exercice de transparence, la secrétaire d’Etat belge au Budget publie les tableaux provisionnels pour l’achat des vaccins de son pays… sur Twitter. « 33,5 millions de vaccins seront achetés cette année, [soit] 279 millions d’euros [sur le budget dédié au coronavirus] en 2020. En outre, dans le cadre du programme [dédié au coronavirus] en 2021, 500 millions sont encore disponibles, notamment pour les vaccins. » Le message, rapidement supprimé, s’accompagne d’un tableau présentant le prix par dose des différents traitements en cours de développement, la quantité supposément commandée, et leur coût total. Alors que les labos exigent toute confidentialité sur les prix pour pouvoir au mieux négocier leurs marges, cette bourde aura ainsi permis de savoir que les prix affichés sont légèrement inférieurs à ce qui était évoqué jusqu’ici. Et selon le Washington Post, l’UE aurait bénéficié de tarifs environ 24 % moins chers que les Etats-Unis.

Plus grave et loin d’être à l’avantage de la Commission : début décembre, des données de l’Agence européenne des médicaments (AEM) sont piratées et publiées sur le Dark Web, cette zone cachée d’Internet qui n’est accessible qu’avec des logiciels particuliers. Ces documents, analysés par un consortium de journalistes européens, dont le Monde en France, révèlent les coups de pression de la Commission sur l’AEM pour faire approuver au plus vite les vaccins. Dans le bras de fer avec la Commission et les labos, les eurodéputés ont obtenu une petite victoire : le privilège de consulter de visu les contrats. Seul CureVac a d’abord donné son accord, avant que la Commission annonce mardi que Pfizer lui emboîterait bientôt le pas.

« Totalement illisibles »
Las, cette première opération transparence n’a pas convaincu. Obligés de laisser leurs téléphones au placard, les eurodéputés qui ont tenté l’expérience ont raconté comment leurs espoirs ont été douchés en voyant que de nombreux éléments de ces contrats avaient été masqués. Disposant de quarante-cinq minutes pour feuilleter une soixantaine de pages, ils n’ont eu accès qu’à très peu d’informations. « Beaucoup de passages clés sont biffés, surlignés en noir de manière à être rendus totalement illisibles », a fustigé l’eurodéputé écologiste Pascal Canfin auprès de la Croix. L’élu n’a rien pu savoir sur « le prix, les lieux de production du vaccin ou le régime de responsabilité juridique auquel est soumis le laboratoire ». Une « transparence limitée, qui pose autant de questions qu’elle apporte de réponses ».

Le 7 janvier, la commissaire à la Santé, Stella Kyriakides, se justifiait : « La divulgation d’informations confidentielles compromettrait nos négociations encore en cours. » Avant de promettre de « partager les informations après la conclusion de toutes les négociations ». Et la ligne ne risque pas de changer. Se disant mercredi « à 100 % en faveur de la transparence », elle expliquait ne pas pouvoir divulguer d’informations confidentielles sans l’accord des entreprises concernées.

Pauline Moullot