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Mediapart : Sécu : le budget met hôpitaux et formation au régime sec

Octobre 2016, par infosecusanté

Sécu : le budget met hôpitaux et formation au régime sec

27 octobre 2016

Par Caroline Coq-Chodorge

L’Assemblée nationale débat du dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale du quinquennat. Au niveau comptable, la Sécu est « sauvée », mais les hôpitaux ploient sous les mesures d’économies et le budget de la formation a été siphonné. La médecine libérale, qui déserte les territoires, est au contraire choyée.

En 2012, François Hollande a aussi été élu sur une promesse de redressement des finances publiques. Qui s’en souvient ? Début septembre, la ministre de la santé fanfaronnait en présentant le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2017 : « L’histoire de ce quinquennat, c’est la fin des déficits sociaux », déclarait-elle aux Échos 3. Le plan de communication n’ayant pas pris, Marisol Touraine a donc fait plus sobre à l’ouverture des débats sur le projet de loi, mardi 25 octobre, devant un hémicycle atone, même pas hostile : « Notre Sécurité sociale était grevée par les déficits. Nous l’avons redressée, année après année. Elle avait été affaiblie par des années de renoncements, de reculs sur les droits sociaux, nous l’avons modernisée. »

Le bilan comptable est bon, en effet : malgré la crise économique, le régime général – qui comprend les branches maladie, retraite, famille et accidents du travail – doit presque revenir à l’équilibre en 2017, à – 400 millions d’euros. Il faut cependant y ajouter le déficit de moins 3,8 milliards d’euros du Fonds de solidarité vieillesse (FSV), qui finance le minimum vieillesse. Et surtout ne pas perdre de vue les 160 milliards d’euros de dette sociale accumulée, pris en charge chaque année par la Caisse d’amortissement de la dette sociale. Mais c’est un fait, les comptes sociaux n’ont jamais été aussi équilibrés en France depuis très longtemps, ainsi que le montre le graphique ci-dessous.

.Hélas, ce récit comptable d’une Sécurité sociale « sauvée » est en profond décalage avec le vécu des Français et des professionnels de santé. Car les sources du « redressement », selon le mot de Marisol Touraine, sont surtout des mesures d’économies : la réforme des retraites, la modulation des allocations familiales selon les ressources… Pour l’assurance maladie, le gouvernement a resserré comme jamais l’enveloppe financière dédiée à la santé : l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) n’a progressé que de 1,8 % en 2016. L’étreinte se desserre un peu en 2017, à + 2,1 %. Mais c’est un trompe-l’œil, car la croissance « tendancielle » des dépenses sera très forte l’année prochaine, selon le Comité d’alerte sur l’évolution des dépenses d’assurance maladie : + 4,3 %, en raison du vieillissement de la population, des progrès techniques, de l’arrivée de médicaments très coûteux, des augmentations de tarif accordées aux médecins libéraux et de la hausse du point d’indice dans la fonction publique hospitalière.

Les agents hospitaliers ont bénéficié, comme tous les fonctionnaires, d’une hausse du point d’indice de 1,2 %, après un gel de six ans. Ces mesures salariales ont un coût pour l’hôpital de 700 millions d’euros. Et ce qui a été donné d’une main se reprend de l’autre : l’hôpital se retrouve en 2017 face à une montagne d’1,5 milliard d’euros d’économies à faire. Officiellement, il doit « optimiser ses dépenses et ses achats », procéder à des « mutualisations » au sein des groupements hospitaliers de territoire, en cours de constitution. Mais personne n’est dupe, lorsque la masse salariale représente 60 à 85 % des dépenses de l’hôpital : un nouvel effort de productivité sera réclamé aux agents hospitaliers, dégradant encore leurs conditions de travail.

Leur augmentation de salaire est décidément cher payée, car ils vont aussi perdre en possibilités de formation continue. C’est la dernière trouvaille budgétaire d’un PLFSS toujours très créatif : les réserves de l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) sont siphonnées à hauteur de 300 millions d’euros, notamment pour abonder le fonds de modernisation des établissements de santé, préalablement gelé pour équilibrer l’Ondam 2016… L’ANFH est pourtant financé par une contribution de tous les établissements publics. « La quasi-totalité de nos réserves est ponctionnée. Le ministère considère que cela n’aura pas de répercussions, mais c’est faux », prévient son président au titre de la Fédération hospitalière de France, Alain Michel. « Nous ne pourrons pas financer les études promotionnelles de nombreux agents, qui permettent à des aides-soignantes de devenir infirmières, à des infirmières de devenir infirmières anesthésistes », explique Luc Delrue, vice-président au titre du syndicat FO.

Mais la solidarité nationale n’a pas reculé, comme l’a rappelé Marisol Touraine aux députés : il n’y a pas eu « un seul déremboursement économique, aucune nouvelle franchise, aucun nouveau forfait. Au contraire, nous avons inversé la vapeur ». La part des dépenses prise en charge par la Sécurité sociale a en effet augmenté entre 2011 et 2015, passant de 77,1 à 78,2 %. La part des dépenses prise en charge par les complémentaires a au contraire baissé, passant de 13,6 % à 13,3 %, comme celles payées directement de leur poche par les Français (8,4 %). Mais là encore, ce bilan bien réel est en contradiction avec l’expérience quotidienne des Français, car la Sécurité sociale concentre de plus en plus ses dépenses sur les Français les plus malades, ceux qui sont en affection longue durée (ALD), pris en charge à 100 % par l’assurance maladie.
Gestes en faveur des médecins généralistes

Une majorité de Français voient encore reculer, chaque jour, l’offre de soins. Le nombre de médecins généralistes, qui sont le premier niveau d’accès aux soins, est en forte baisse : moins 8,7 % en 2016 par rapport à 2007, selon l’ordre des médecins, qui anticipe une baisse de 25 % d’ici à 2025. Mais leur nombre continue à croître sur la façade atlantique et en Rhône-Alpes, donc à se dégrader à grande vitesse partout ailleurs. Devant les députés, Marisol Touraine a rappelé l’arsenal des mesures incitatives à l’installation des jeunes médecins en zones sous-dotées : la création de 1 200 maisons de santé d’ici à 2017, les nombreuses aides financières à l’installation, les bourses accordées contre un engagement d’installation, etc. Mais l’ordre des médecins, qui scrute l’état de la démographie, ne voit aucune amélioration. Malgré la dégradation de leurs conditions de travail, les médecins libéraux restent résolument opposés à des mesures d’encadrement de leur installation, sur le modèle des infirmières ou des kinésithérapeutes. Et la ministre les suit : elle a d’ores et déjà annoncé qu’elle s’opposerait à un amendement dans ce sens, car il viendrait « rompre la dynamique incitative, qui porte ses fruits », a-t-elle assuré, contre toute réalité.

Étrangement, car il n’y a aucun bénéfice électoral à en tirer, le gouvernement a été généreux cette année avec des médecins libéraux qui honnissent sa politique. L’assurance maladie a signé une convention médicale qui prévoit 1,3 milliard d’euros de dépenses supplémentaires : la consultation du médecin généraliste passe de 23 à 25 euros, de nouvelles consultations complexes à 46 et 60 euros sont créées, une aide forfaitaire de 50 000 euros sera versée aux jeunes médecins qui s’installent en zone sous-dotée, etc. Et les femmes médecins vont voir leur congé maternité pris en charge par l’assurance maladie à hauteur de « 3 000 euros par mois pendant 3 mois », s’est engagée la ministre.

Sur les bancs de la majorité, les rangs sont clairsemés, la défense du bilan social du gouvernement mobilise peu, même face aux attaques de la droite. Le toujours subtil Bernard Accoyer a pourtant donné un avant-goût des réformes qu’elle mènerait si elle revenait au pouvoir. Elles profiteraient aux médecins libéraux, dont le prix de la consultation « est comparable à celui d’une coupe de cheveux pour homme », selon le député LR, qui fait ici l’impasse sur de confortables rémunérations forfaitaires, et sur la prise en charge de nombreuses cotisations sociales par l’assurance maladie. La droite veillerait aussi aux intérêts de l’industrie pharmaceutique qui est, comme l’hospitalisation privée, une « victime expiatoire de la ministre ». Sans oublier le « besoin de liberté et d’émulation » de l’assurance maladie complémentaire.

Les débats à l’Assemblée se poursuivent jusqu’au 2 novembre.