Psychiatrie, psychanalyse, santé mentale

Mediapart : Blog Dr BB Psychanalyse : Pourquoi tant de haine ?

Octobre 2021, par infosecusanté

Mediapart : Blog Dr BB Psychanalyse : Pourquoi tant de haine ?

22 OCT. 2021

PAR DR BB

La psychanalyse attise manifestement une vindicte toujours aussi passionnée. Mais quels peuvent être les enjeux d’une telle haine ? Au-delà des implications de la théorie analytique sur la représentation de notre humanité, ces diatribes sont manifestement instrumentalisées au niveau politique pour légitimer la mise à mal du soin relationnel et institutionnel.

Dans le domaine psychiatrique et pédopsychiatrique, toutes les approches qui, de près comme de loin, sont influencées par les apports de la psychanalyse et/ ou de la psychothérapie institutionnelle sont désormais vouées aux gémonies, calomniées, caricaturées, avec une haine assez systématique et décomplexée.
Au-delà des débats scientifiques, épistémologiques, éthiques, anthropologiques, cliniques, il parait assez évident que cette hostilité se voit également portée au-devant de la scène publique pour des raisons idéologiques et politiques. Des gestionnaires « éclairés » s’en sont effectivement saisis, sans aucun état d’âme, pour attaquer et mettre à mal les institutions publiques, au nom de « l’influence néfaste de la psychanalyse », alibi démagogique très opportuniste pour imposer la désinstitutionnalisation, la plateformisation, l’organisation de la non-rencontre, « l’innovation » et la rentabilité.

Cependant, cette instrumentalisation ne peut « fonctionner » qu’à partir du moment où le signifiant « Psychanalyse » se trouve a priori investi d’une charge d’affects négatifs suffisante au niveau collectif pour être mobilisée et vectorisée à d’autres fins. Dès lors, on peut se demander ce qui, dans les pratiques d’orientation psychanalytique, suscite un tel ressentiment, pour ne pas dire une telle destructivité, plutôt que d’alimenter un débat respectueux, argumenté et contradictoire, mais aussi des enrichissements transdisciplinaires. Après tout, en dépit des croisades exaltées et de la chasse aux sorcières, nous ne devrions pas perdre de vue que nos priorités devraient toujours être la clinique, l’efficience thérapeutique et le soin. En conséquence, la « pureté » de telle ou telle approche n’est qu’un enjeu de chapelle bien pitoyable et dérisoire et, dans l’intérêt des patients, les hybridations créatives devraient être l’usage, entre approches neuroscientifiques, cognitives, institutionnelles, psychodynamiques, phénoménologiques, existentielles, narratives, pharmacologiques, etc.

Or, ce qui semble tout à fait évident, c’est que, dans le cas de la psychanalyse, il ne s’agit pas de critiquer, au sens de discerner, de réfuter pour dépasser certaines apories, de dialectiser, de prendre en compte les retours concrets de l’expérience clinique…Non, nous observons davantage une expérience de sape qui cherche avant tout à falsifier, à caricaturer, à dénigrer, avec une véritable ferveur inquisitoriale.
De surcroit, en dépit de leur « neutralité » apparente, les différentes théorisations du processus thérapeutique dans le champ de la souffrance psychique véhiculent aussi certaines représentations de nature anthropologiques, une certaine conception de l’être humain, des déterminismes qui le traversent, des dynamiques qui orientent son développement et son devenir. Ainsi, au-delà des effets thérapeutiques concrets, c’est véritablement une bataille idéologique qui se joue, sous prétexte de rationalité, de preuves et de scientificité. Le caractère pathétique des débats en est d’ailleurs l’illustration : sur la scène de la « Science », se déplacent en réalité des enjeux d’un tout autre ordre, qui témoignent d’un rapport plus intime et passionné à notre conception de « l’intériorité psychique ».

De fait, l’hypothèse que nous formulons est celle-ci : ce n’est pas tant la psychanalyse, en tant que théorie, champ disciplinaire et pratique du soin, qui est vilipendée, mais l’existence même de la réalité psychique, d’un « espace à cheval » sur le corporel et le social, ne se réduisant ni à l’un, ni à l’autre, et animé par des déterminations propres. Car, de la prise en compte de cette « scène » particulière, découlent un certain nombre de faits :
Nous sommes constitués par les sédiments de notre histoire, pénétrés d’identifications multiples, habités par des relations, de l’intersubjectif, des groupes, du collectif
Nous sommes tissés de failles, de fêlure, d’ambivalence, de contradictions, de conflictualité, d’opacité
L’altérité nous traverse, littéralement, de même que l’aliénation, la dépendance, la vulnérabilité. La possibilité de la « folie » se niche en chacun de nous, et le fou n’est pas vraiment dissemblable…
Nous sommes des conglomérats d’affects, de courants et de décrus, de désirs et d’entraves
En nous se logent de la négativité, de la violence, du pulsionnel, du masochisme
Nous élaborons sans cesse des fictions, des histoires, des fantasmes, et notre rapport au réel n’est qu’une reconstruction permanente
Nous sommes agis par nos expériences, par nos répétitions, par nos compulsions
Notre rapport à la temporalité et à la mémoire n’est qu’une création perpétuelle, non-linéaire, récursive et sous-tendue par l’après-coup
Notre souveraineté est une illusion
Nous déployons tout un spectre de digues et de défenses pour nos protéger des affres de notre condition et de nos angoisses existentielles
Les sédiments archaïques de nos premières expériences sensorielles, affectives, relationnelles, continuent à nous hanter et à imposer leurs empreintes sur nos éprouvés et nos conduites
Nous oscillons entre quête de satisfaction, recherche de plaisir et appropriation destructrice. Nous devons transformer, sans cesse, lier, nos impulsions prédatrices. Du négatif et de l’obscurité nous travaillent, inlassablement
Notre « humanité » n’est qu’un vernis fragile, précaire, instable
Nous « transférons » à tout va, nous faisons jouer des rôles, nous attribuons des places fantasmatiques, notre vie relationnelle est une mise en scène perpétuelle, un grand jeu au sein duquel nous déposons des fragments de personnages
La complexité est absolument irréductible dès que l’on veut tenter d’appréhender notre vie psychique. D’ailleurs, « plus les neurosciences psychiatriques avancent, plus l’intelligibilité des phénomènes recule. Nous savons juste que c’est encore plus compliqué que ce que nous avions pu imaginer ! » (Pierre Henri Castel)
Il est vrai que la notion même d’inconscient est absolument incompatible avec l’idéologie néolibéral de l’individu souverain, transparent, et entrepreneur de lui-même…

Indépendamment de telle ou telle théorisation, des propos de tel ou tel auteur, de telles ou telles pratiques, le scandale et la subversion sont d’emblée inhérents à la « découverte freudienne ». Et, là se loge toujours l’inacceptable, à même d’attiser une haine farouche.
Il est d’ailleurs étonnant de constater à quel point les attaques adressées à la psychanalyse tournent en boucle depuis des décennies, en reprenant toujours les mêmes arguments, les mêmes antiennes, en citant toujours les mêmes sources, de façon incantatoire, comme si l’histoire était figée. Ainsi, sans crainte des anachronismes, on s’autorise à dénigrer la théorie comme la pratique analytique au nom d’écrits ou de propos datant de plus de 50 ans, sans aucune contextualisation…Et puis, on tend à considérer que la Psychanalyse est un corpus unique, homogène, dogmatique, sans diversité ni divergence. Or, la psychanalyse doit être critiquée, impitoyablement, remise sur le chantier, subvertie, ébranlée, dialectisée, sans coup férir. La psychanalyse doit, évidemment, se déprendre de tout dogmatisme, de toute certitude, de tout formalisme, de toute orthodoxie, de tout fétichisme. La psychanalyse doit rester une source incarnée de propositions, d’émergences, de désordre, de transgression, en lien avec la clinique, avec l’expérience, avec les rencontres….

Peut-on dénigrer un champ disciplinaire vivant, créatif, pluriel, en évolution permanente, à l’aune des fausses routes, des erreurs, des errements du passé, ou de certains de ses représentants ? A ce titre, toutes les sciences sont suspectes, puisqu’elles s’intègrent inévitablement dans une histoire, avec des ruptures épistémologiques, des changements de paradigme, des remises en cause…puisqu’elles sont aussi captives des idéologies du moment, de l’air du temps, des préjugés de l’époque, coupables d’accointance avec tel ou tel contexte politique ou social, etc.
Sans vouloir être systématique, survolons quelques leitmotivs ressassés jusqu’à la nausée pour décrédibiliser l’approche psychanalytique, en nous basant tout d’abord sur cette incroyable « demande d’intégration du « freudo-lacanisme » à la prochaine édition du manuel de diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-VI) ».
L’ironie est toujours bonne à prendre, et c’est un exercice salutaire que de pouvoir se chambrer, et accepter de l’être – même s’il est également indéniable que la « pathologisation » est un processus implacable pour éviter le débat contradictoire et « purger » au nom d’une idéologie totalitaire…

Bref, indépendamment de la méthode, examinons le réquisitoire, tellement réchauffé, remâché, régurgité qu’il en devient presque inaudible sur le fond – alors qu’il y aurait lieu de questionner et de débattre….
 « présence de délires systématisés et partant de la sexualité infantile » : voilà, on y est d’emblée, la question du sexuel et ses relents de scandale…Pour les adversaires acharnés de la psychanalyse, il y a là quelque chose qui ne passe toujours pas et qui mobilise indéfectiblement un rejet primaire, sans même chercher à comprendre de quoi l’on parle. Oser accoler « sexualité » et « infantile » cela suffit pour déclencher, encore, sur un mode réflexe, des cris d’orfraie. Pourtant, Sigmund Freud, en tant que représentant d’une certaine bourgeoisie patriarcale, ne venait finalement qu’énoncer ce que toutes les mères, nourrices, éducatrices, savaient depuis la nuit des temps…A savoir que les enfants ont une sexualité, plastique, polymorphe, qui renvoie à leur interface avec le monde, avec les autres, au fonctionnement de leur sensorialité, à leur appétence pour rechercher du plaisir, à travers certains fonctionnements d’organe, etc. Cependant, ce que les inquisiteurs n’ont toujours pas compris, ou feignent de ne pas comprendre, c’est que cette sexualité infantile est prégénitale, non superposable ni comparable avec la sexualité adulte. D’ailleurs, Freud théorise un développement diphasique de la sexualité, à travers notamment le phénomène d’après-coup pubertaire. En arrière-plan, la sexualité génitale, quoique d’une nature différenciée, est toujours infiltrée de la source vive de la sexualité infantile, de son polymorphisme, de son histoire, de ses réorganisations successives et de ses déplacements ou substitutions….

Ainsi, la psychanalyse « disjoint sexuel et sexualité, elle reconnaît une part de sexuel en dehors des manifestations de la sexualité, mais elle peut aussi souligner la présence d’enjeux non sexuels dans la sexualité elle-même. En introduisant la notion d’une sexualité prégénitale, elle disjoint aussi la sexualité du sexe lui-même, reconnaît un caractère sexuel « normal » à d’autres zones corporelles que les zones proprement « génitales ». Elle nous apprend à lire le sexuel dans des fantasmes et des processus dans lesquels il n’apparaît pas de manière manifeste » (René Roussillon). Dès lors, le sexuel concerne la dimension intrapsychique, et c’est en tant qu’elle est foncièrement conflictuelle que la sexualité s’inscrit au cœur de la vie psychique, à travers notamment la marque du manque, du mystère, et du non-savoir…. Bien loin, très loin des représentations pornographiques qu’imaginent sans doute nos moralisateurs outrés et dont ils s’inquiètent qu’on puisse affubler nos tendres bambins….

 « considérant que toute mère et toute famille sont dysfonctionnelles » : Attention, un très très grand classique, pour ne pas dire une véritable tarte à la crême ; la psychanalyse serait une entreprise systématique de dénigrement de la maternité, et de la famille…Ces assertions se basent effectivement sur certaines théorisations datées d’au moins 50 ans, en lien avec des conditions socio-historiques particulières. Le fait est que, compte-tenu de l’hyperinvestissement de certaines mères dans un contexte patriarcal, il pouvait paraitre évident, en première intention, de décrire certaines distorsions relationnelles à travers un lien maternel quasi exclusif et non tiercéisé – en négligeant complètement le fait que ce lien était lui-même dépendant de tout un arrière-plan social et politique…. Bref, du fait de certains propos décontextualisés de Bruno Bettelheim, de Maud Mannoni, ou d’autres, on attente toujours le même procès aux psychanalystes, quant bien même leurs théories et leurs pratiques seraient totalement en contradiction avec ces accusations. D’ailleurs, rappelons tout de même que l’expression « mère réfrigérateur » revient à Léo Kanner, médecin non psychanalyste ayant pour la première fois décrit le syndrome autistique…Nonobstant, pour nos défenseurs de la cause maternelle, les psychanalystes considéreraient que « l’amour maternel est un danger pour l’enfant et qu’il risque de le rendre psychotique ». C’est de tout même un tour de force que de confondre à ce point emprise et amour…Et de reprocher à la psychanalyse de décrier l’affection, alors même que toutes les théories psychanalytiques souligne que le petit d’homme ne peut émerger qu’à travers un investissement libidinal, qu’il prend sa source dans un bain d’affects, que les liens primaires sont nécessairement traversés d’attachement et de pulsionnalité….même si cet « amour originaire », cette homosensualité primaire en double, à besoin, secondairement, de pouvoir être triangulé, de pouvoir intégrer l’altérité, la différence, la Loi du groupe d’appartenance, etc.

Quant à la famille….
« Familles, je vous hais ! Foyers clos, portes refermées, possessions jalouses du bonheur », André Gide
« La plupart des pièces que nous considérons comme les chefs-d’œuvre tragiques ne sont que des débats et des querelles de famille », Jean Giraudoux
« Toutes les familles possèdent, dit-on, d’épaisses strates de silence tendu, des souffrances engluées dans des secrets cachés bien au fond de belles armoires à linge », Philippe Claudel
« Il n’y a guère moins de tourment au gouvernement d’une famille que d’un état entier », Michel de Montaigne.
Combien faut-il être naïf pour considérer que la famille est un havre de paix et d’harmonie…Effectivement, ce que la psychanalyse « nous montre des fonds de cuve de l’âme humaine n’est pas joli-joli, en tout cas peut susceptible de soutenir une anthropologie à fleurs » (Frederic Lordon), contrairement aux représentations iréniques et cuculisées de nos ardents défenseurs du Bien. Cependant, loin de toute dimension axiologique, c’est en effet ce creuset groupal, cette matrice, traversée de fantasmes, d’investissements, d’affects, de narrations, de télescopages, de bousculements, qui détermine l’histoire et le devenir de chacun. Dès lors, se pencher sur la famille ne suppose pas de vouloir la considérer absolument et abusivement comme « dysfonctionnelle » - même si je souhaiterais qu’on puisse m’expliquer ce que serait une famille « fonctionnelle » -, mais de considérer sa place décisive dans notre assomption subjective, au-delà de tout préjugé moral.
Rappelons cependant que la majorité des agressions sexuelles sur mineurs ont lieu dans le milieu familial…sans que les agresseurs aient besoin de se référer à Freud pour justifier leurs pratiques incestueuses…
Même si, pour certains, à travers l’extrapolation de propos décontextualisés et mésinterprétés, la psychanalyse est tout simplement responsable du patriarcat, des violences sexistes, de la pédophilie, voire de tous les malheurs du monde : « À l’heure de l’affaire Matzneff et deux mois après l’intervention si percutante d’Adèle Haenel sur le harcèlement dont elle avait été victime enfant, doit-on encore rappeler ce que la psychanalyste Françoise Dolto pensait du viol, de la pédophilie et de l’inceste ».

 « La femme et la féminité, considérées que comme des « manques », des « béances » et des « trous » (manque du « phallus ») » : Là encore, nos courageux justiciers ne reculent devant aucun anachronisme pour mener fièrement leur campagne de discrédit. Effectivement, certaines théories psychanalytiques, plus que centenaires, se trouvent marquées des préjugés de leur époque, très phallocentriques et bourgeois. Quelle surprise ! la psychanalyse est aussi empreinte des idéologies de son temps, et vient inscrire dans son élaboration des modèles sociaux de genre témoignant des représentations collectives de leurs auteurs, de leur situation sociale…En 1949, Beauvoir avait déjà réglé le compte de ces conceptions arriérées de la féminité, auxquelles la psychanalyse contribuait sans coup férir, et qui relèvent davantage d’un témoignage anthropologique que d’une théorisation scientifique ; de fait, c’est ainsi que les féminités devaient se construire, selon des normes dominantes très hétérogenrées. Cependant, la psychanalyse a évolué, certaines théorisations ont été remisées…Mais n’oublions pas que, à côté d’a priori très conservateurs, Freud a aussi contribué à faire émerger la notion de bisexualité psychique, venant complètement mettre à mal les conceptions essentialistes du genre, en les réintégrant dans une histoire affective et relationnelle.
 « Ruminations obsessionnelles centrées sur un pénis en érection » : à ce niveau, on est bien obligé de constater une forme d’ « équation symbolique », qui confond la représentation métaphorique et la chose. Alors que, pour les psychanalystes qui se réfèrent à ce concept, le phallus est un signifiant qui vient agréger et symboliser un certain rapport à l’avoir et à la puissance sur le plan fantasmatique, pour nos détracteurs, il s’agit, ni plus ni moins, que d’un organe, une bite qui bande. Cette incapacité à investir un symbole au détriment d’un rabattage sur le physiologique dit sans doute quelque chose de notre culture contemporaine, dans ses dimensions opératoires, dans sa volonté de « réalisme », mais aussi dans sa dimension proprement organiciste et pornographique.
 « Phobie de la science, des neurosciences et des progrès scientifiques ; phobie spécifique des médicaments commercialisés à partir des années 80 ; cette phobie est caractérisée par des comportements d’évitement et des déclarations complotistes vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques » : que dire…Ainsi, le fait de ne pas adhérer totalement, de plain-pied, à la pleine et indéniable positivité du « Progrès Scientifique », de maintenir un regard critique, de se méfier des tendances idéologiques, des solutions magiques -pharmacologiques ou autres -, de prendre en compte les réalités au-delà des discours, les enjeux latents au-delà du manifeste, de vouloir préserver l’éthique de la rencontre, le caractère décent et subjectivant des pratiques, de chercher à préserver la reconnaissance singulière des patients, d’appréhender les modes de fabrication des « Preuves », de la « Vérité », de l’ « Efficacité », de considérer et d’analyser les conflits d’intérêts, les manipulations, les enjeux politiques et financiers, etc. devrait être considéré comme une « phobie », voire une tendance complotiste…. Pour information, aucune véritable « innovation » n’a eu lieu dans le domaine psychopharmacologique depuis plusieurs décennies, hormis dans le markéting, l’ajustement des formes galéniques, l’extension des indications, ou dans la mise sur le marché de molécules légèrement différenciées sur le plan pharmacocinétique ou plus spécifiques sur certaines cibles moléculaires. Ainsi, aucune nouvelle classe de psychotrope n’a été inventée depuis les années 80….De surcroit, dans le soin psychiatrique, l’existence de progrès reste très contestable, et on constate plutôt un délitement des pratiques cliniques, une aggravation du mal-être psychique au niveau collectif, et un abandon des patients les plus en souffrance…A ce titre, il est important de rappeler que, au-delà de l’intérêt indéniable des travaux et des recherches neuroscientifiques, les applications concrètes sur le plan thérapeutique restent pour l’instant dérisoires au vue des financements investis…Les révolutions annoncées se font toujours attendre…Néanmoins, depuis presque un siècle, toutes les pratiques émancipatrices dans le soin institutionnel ont été inspirées par la psychanalyse, même dans des déclinaisons très éloignées…A bon entendeur.

Et, sur le plan nosologique et du diagnostic, l’affirmation univoque de « progrès scientifique » est également très discutable. Voici par exemple ce que Steeves Demazeux, philosophe des sciences, pouvait souligner par rapport la publication du DSM-V : celle-ci « illustre la prédominance nette du principe de conservatisme sur le principe d’innovation. Tandis que le projet de révision laissait envisager, au début des années 2000, un ensemble très important de modifications et d’innovations, et même laisser augurer d’un véritable « changement de paradigme » nosologique, la montagne aura finalement accouché d’une souris ». En outre,
« aucun biomarqueur n’a été découvert pour n’importe quel syndrome du DSM ;
la comorbidité est extrêmement haute entre les troubles mentaux ;
les diagnostics sont instables dans le temps ; ils ne répondent pas spécifiquement aux traitements disponibles, etc. »
De surcroit, « le développement du DSM-5 ne repose sur aucune méthodologie prédéfinie. Surtout, il est rendu en grande partie secret, les membres du groupe de travail étant tenus à une « clause de confidentialité » destinée à éviter de rendre publique toute forme de conclusion trop hâtive », avec une transgression manifeste du principe fondamental de publicité du travail scientifique….
Phobique du progrès ?...Voilà ce que l’on constate dans la réalité des pratiques de soin dans le champ psychiatrique : perte de la pensée clinique et de tout recul épistémologique, dilution des troubles psychiatriques dans la santé mentale, mainmise du Handicap sur la souffrance psychique, extension épidémiologique délirante de certaines catégories nosographiques, utilisation de plus en plus identitaire et stratégique du diagnostic avec effets d’assignation, prescription de plus en plus élargie de psychotropes sans aucune prudence épidémiologique – dans certains États américains, jusqu’à 20% des enfants reçoivent au moins un traitement médicamenteux- , fantasme de l’innovation technologique et numérique comme solution au mal-être existentiel, biologisation de problématiques sociales, bureaucratisation de l’activité thérapeutique avec financement par compartiments à l’activité, gestion managériale des institutions visant à les plateformiser, incurie des services, mise à mal des communs du Soin ….
« Les retorses inventions de l’État manageur auront fini par emmener l’institution psychiatrique, tout comme d’autres institutions de soin et assistantielles, au bord de l’implosion » (Josep Rafanell i Orra).

Ainsi, on pourrait juste en rire, et ne pas chercher à répondre sérieusement à ces attaques. D’ailleurs, il est essentiel de pouvoir maintenir une certaine dérision à l’égard de la « Psychanalyse », d’exercer une ironie impitoyable vis-à-vis des postures et des archaïsmes de certains courants institutionnels. De fait, rien de plus ridicule que la caricature du Psychanalyste, drapé dans sa superbe, son savoir réifié, son jargon occulte, et ses effets d’autorité, convaincu de survoler le réel en le transgressant depuis son bastion…. D’ailleurs, il suffit parfois de flatter un psychanalyste face à une caméra pour qu’il se mette à déblatérer de façon très efficace pour nourrir son propre discrédit….Ainsi, les critiques de Robert Castel, dénonçant le psychanalysme, reste toujours d’actualité, même si l’hégémonie des pratiques psychanalytiques dans le champ institutionnel et universitaire n’est plus qu’un lointain souvenir historique, très circonstancié, n’en déplaise à nos dénonciateurs contemporains, s’insurgeant avec plusieurs décennies de retard…

« c’est ainsi que la psychanalyse, ayant colonisée naguère l’institution psychiatrique, a pu fabriquer des générations de psy angoissés, inhibés, ou pire, contents d’eux-mêmes, sous l’œil toujours vigilant, parfois persécutant, des maîtres fantômes supposés sachants, figures tutélaires et désuètes auxquelles ils vouent un culte éprouvant » (Josep Rafanell i Orra).
Dès lors, il serait essentiel de pouvoir maintenir une critique constructive de la psychanalyse, de pouvoir réinsuffler un élan, de déconstruire certains concepts trop empreints des préjugés collectifs d’une époque, de retrouver un souffle subversif et créatif, au lieu de défendre une orthodoxie inamovible et poussiéreuse.
Cependant, en dépit de leur ineptie, ces attaques, auxquelles nous avons donner un certain crédit, circulent ad nauseam, comme une évidence déconnectée des faits, mais s’imposant par sa récurrence imposée.
Le problème réside alors dans les réappropriations politiques de ces médisances, qui ne sont pas sans conséquences concrètes…
Derrière ces badineries bon enfant, et parfois légitimes, se dresse également une véritable volonté d’excommunication, cherchant à stigmatiser, à mystifier, et à produire un procès idéologique aux forts relents d’inquisition.
Par exemple, voilà les affirmations qui peuvent être diffusées dans la presse, en toute impunité : « les psychanalystes diffusent à l’université une lecture fondamentaliste de Freud et Lacan, au détriment des usagers de la psychiatrie, des personnes handicapées et des victimes de violences sexuelles, une population fragile en situation de faiblesse ». Ou encore, « la théorie freudo-lacanienne de la sexualité [est] utilisée par des pédo-criminels pour se déresponsabiliser de leurs crimes sexuels… Voire pour les commettre en toute impunité ».

Au-delà de ces fantasmagories, cette opiniâtreté se déploie également sous la forme d’une véritable volonté d’épuration : “Nous refusons que soient utilisés les diplômes de médecine et de psychologie pour diffuser à l’université un enseignement en violation avec la médecine et l’état des connaissances en santé mentale, au profit de dogmes idéologiques, fondés sur des postulats obscurantistes et discriminants sans aucune validation scientifique ».
Les délires mobilisés pour justifier cette purification font froid dans le dos, mais paraissent sans doute très parlant pour comprendre la vindicte de ces courageux inquisiteurs : « Dans certaines universités les étudiants apprennent à contester le principe même de la démarche scientifique au motif que la science serait une croyance. Ils sont ensuite attirés à l’extérieur pour y recevoir une formation obscurantiste où les pathologies sont réduites au complexe d’Œdipe ou la mère pathogène, l’ensemble étant masqué sous une rhétorique absconse qui déstabilise ses auditeurs ». « Ces étudiants sont placés en danger d’emprise sectaire ».
« La chosification et la maltraitance des patients et leur famille au nom de dogmes psychosexuels freudo-lacaniens obsolètes sont monnaie courante », avec une « culpabilisation des victimes de violences sexuelles et des personnes qui les protègent au nom de l’idéologie psychanalytique selon laquelle la vérité se situe toujours à l’envers de la réalité tangible”.
« Nous refusons que soient instrumentalisées la psychiatrie et la psychologie pour légitimer des dogmes aussi néfastes que prêter des intentions sexuelles aux bébés, prétendre qu’un enfant puisse être consentant à un inceste ou un rapport sexuel avec un adulte, affirmer que tout rapport sexuel serait du registre de la perversion et du rapport de force, prétendre qu’un crime sexuel n’aurait pas de conséquence grave sur sa victime, et déresponsabiliser les auteurs de violences sexuelles ». Au passage, on perçoit à quel point cette hargne vis-à-vis du sexuel est sous-tendue par des confusions de registre, de place, de niveau sémantique…Pour nos moralistes exaltés, le sexuel est exclusivement, obsessionnellement, saturé de génitalité. Ainsi, derrière ces offuscations iréniques, se déploient de singuliers télescopages qui les amènent à confondre attachement pulsionnel, investissement libidinalisé et perversion sexuelle. Manifestement, la psychanalyse mobilise toujours des projections massives, qui révèlent certaines productions fantasmatiques très vivaces…Enfin, nous ne nous amuserons pas à proposer une interprétation psychopathologique de telles contre-attitudes….
« Des psychiatres et des psychologues sont quotidiennement harcelés dans les établissements où ils travaillent (ainsi qu’en libéral) par des croisés du freudo-lacanisme » - venant de personnes qui publient ce genre de tribunes, censurent, produisent des listes noires, mobilisent les pouvoirs publics pour interdire, s’en prennent personnellement à certains cliniciens, c’est un peu fort !
Allez, une petite dernière citation pour la route, : « nous sommes opposés à ce que la psychiatrie et la psychologie soient instrumentalisées pour servir les intérêts d’une corporation engagée dans une démarche antisociale : pathologisant l’amour maternel, enseignant le mépris des règles et des lois, en opposition idéologique avec toute demande extérieure, fût-elle médicale, familiale, scolaire, ou judiciaire ».
On pourrait en rire…sauf que ce genre de tribune parait dans la presse grand public, sans aucune réserve ; sauf que les hérauts de l’anti-psychanalyse primaire sont célébrés par les pouvoirs publics, à l’instar de Mme Sophie Robert faite chevalier de la Légiond’honneur en 2019 sur proposition du premier ministre Édouard Philippe ou de Mme Danièle Langloys, nommée experte auprès de la HAS et également faite chevalier de la Légion d’honneur ; sauf que des expertises biaisées sur le plan méthodologique, émanant d’instances « scientifiques » officielles (INSERM, HAS) viennent désavouer certaines pratiques, sans aucun recul par rapport au lobbying idéologique auxquelles elles sont exposées ; sauf que par « Cahier des charges », Décret, Recommandations, publication de listes noires, etc. , certaines pratiques cliniques d’orientation analytique se voient tout simplement interdites, sans autre forme de procès ; sauf que la secrétaire d’État en charge du handicap s’est engagée à « changer la donne », tout en énonçant le plus tranquillement du monde que, avec le plan gouvernemental, « il s’agit de ne plus placer des enfants autistes devant des psychiatres (...) Face à un spectre de l’autisme très large, il faut que l’on arrête de parler de psychiatrie » ; sauf que, dans le compte-rendu des Assises de la Santé Mentale, il n’est plus du tout fait allusion à du soin relationnel, mais au « développement des outils numériques en santé mentale, (…) domaine porteur de nouveaux espoirs » et « secteur d’avenir pour notre industrie. La recherche et les innovations en santé mentale nécessitent ainsi d’être soutenus pour permettre à la France d’occuper une place de premier plan » ; sauf que Mme Martine Wonner, députée LREM et psychiatre, peut, en tout impunité, signer des tribunes calomnieuses à l’égard des pratiques soignantes d’orientation psychanalytique, en accusant les cliniciens se référant à ces approches d’être responsables de « l’inégalité des territoires des prises en charge en santé mentale, des retards des prises en charge ( soignantes), des refus des diagnostics et des évaluations » , voire d’une « difficulté de ces champs de la médecine à entrer dans le XXIème siècle »….
Arrêtons là cette énumération, qui pourrait se multiplier à l’envi. Néanmoins, au-delà de l’acharnement, on perçoit bien les enjeux politiques, économiques, idéologiques qui pointent, avec une certaine conception de l’humanité qu’il faudrait affirmer, en phase avec les postulats néolibéraux. La conflictualité, l’inconscient, l’ambivalence, le désir, le transfert, l’infantile, le fantasme, le négatif, le pulsionnel, le sexuel, etc. tout cela doit donc être désavoué une bonne fois pour toute, afin de laisser la place à l’homo œconomicus, à l’innovation, à l’entreprenariat, à la rentabilité…Dès lors, cette contre-révolution en marche ne peut que détruire tout ce qui lui oppose une quelconque résistance. Haro sur la bête !

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