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Alternative économique - A propos de la rémunération des médecins libéraux

Décembre 2022, par Info santé sécu social

LE 09/12/2022

Nicolas Da Silva
Chercheur au Centre d’économie de l’Université Paris 13

Les médecins libéraux étaient en grève les 1er et 2 décembre derniers. Parmi leurs revendications, celle qui a le plus retenu l’attention concerne l’augmentation du prix de la consultation de médecine générale au tarif opposable.

Le tarif opposable est le prix que le médecin s’engage à respecter et que l’assurance maladie s’engage à rembourser à hauteur de 70 %. C’est ce que l’on appelle le prix de secteur 1, par opposition au secteur 2 dit à dépassements d’honoraires (non remboursés par l’assurance maladie).

La confédération des syndicats médicaux français demande le passage de 25 euros à 30 euros du prix de la consultation quand le collectif « médecins pour demain » réclame pas moins de 50 euros. Face à ces revendications, qualifiées de « corporatistes » par le syndicat de la médecine générale, non gréviste, le débat s’est focalisé sur le niveau de rémunération des médecins, occultant d’autres justifications ayant conduit à la grève. Alors, combien gagnent les médecins libéraux ?

Christophe Dixte et Noémie Vergier, de la direction de la recherche, des études et de l’évaluation des statistiques (Drees), ont publié récemment l’étude la plus pertinente permettant de connaître la rémunération des médecins libéraux. Les données sont exhaustives pour l’année 2017. Elles proviennent des bases de l’assurance maladie, de la direction générale des finances publiques et de la caisse autonome des retraites des médecins de France.

Les revenus de l’activité libérale sont calculés charges déduites. Sans entrer dans le détail correspondant aux différents types de structures juridiques, cela signifie que toutes les charges d’exercice sont prises en compte : charges de personnel, loyer, repas, amortissement des biens mobiliers et immobiliers, déplacement, entretien, formation professionnelle, etc.

Une rémunération qui dépasse les honoraires
Il faut noter également que les revenus d’exercice ne sont pas seulement les honoraires. D’une part, ces dernières années, la caisse nationale d’assurance maladie a multiplié le nombre de dispositifs incitatifs pour compléter le paiement à l’acte. C’est le cas par exemple de la rémunération sur objectif de santé publique qui donne un supplément de revenu en fonction de la réalisation d’indicateurs.

Les contrats et forfaits représentaient en 2021 en moyenne 17 % des dépenses de l’assurance maladie à destination des médecins (contre 63,6 % pour les consultations). D’autre part, les médecins libéraux peuvent tirer des dividendes ou des salaires de leur société d’exercice mais aussi un salaire complémentaire dans une autre organisation (centre de santé, hôpital, etc.). Les revenus présentés dans le graphique ci-dessous sont exhaustifs, charges comprises, avant impôt, avant déductions et abattements fiscaux.

D’après la Drees, les médecins libéraux gagnaient en 2017 en moyenne 119 800 euros par an toutes spécialités confondues, 91 670 euros pour les médecins omnipraticiens (principalement les médecins généralistes). En ne prenant en compte que leur revenu libéral, ils gagnaient en moyenne 110 680 euros par an, 87 890 euros pour les omnipraticiens. La médiane des revenus des médecins libéraux est de 97 860 euros, 83 100 euros pour les omnipraticiens.

Des écarts de rémunération très importants existent entre spécialistes et omnipraticiens tout comme entre secteur 1 et secteur 2. Ces différences s’expliquent par le plus grand prestige associé à la pratique de spécialité et à la possibilité pour les médecins en secteur 2 de pratiquer des dépassements d’honoraires. Alors que les 10 % des omnipraticiens les mieux rémunérés perçoivent 152 420 euros et plus, les 10 % des spécialistes les plus rémunérés perçoivent 276 290 euros et plus.

Les données exhaustives de rémunération sont également disponibles pour 2014 ce qui permet d’en étudier l’évolution. Elles ont augmenté de 1,9 % par an en moyenne entre 2014 et 2017 en euros constant (c’est-à-dire une fois déduit l’effet de l’inflation). Les rémunérations des médecins spécialistes ont connu des augmentations plus fortes que les omnipraticiens (2,2 % en moyenne contre 1,7 % en moyenne).

Dans les deux cas, ces augmentations sont supérieures à celles constatées pour les salariés du privé et du public (0,8 % par an en moyenne sur la période). Ces hausses s’expliquent par de nombreux dispositifs de revalorisation, comme le passage du tarif de la consultation de médecine générale de 23 euros à 25 euros en 2016.

Que représentent ces rémunérations par rapport au reste de la population ? Les auteurs de la recherche de la Drees rappellent que le revenu moyen d’activité des non-salariés s’élevait à 43 000 euros par an en 2017, 57 000 euros pour le secteur des services aux entreprises, et en particulier 100 000 euros pour les activités juridiques et comptables. La même année, le revenu médian en France métropolitaine était de 20 820 euros et 8,9 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté monétaire (12 492 euros par an pour une personne seule). De leur côté, les 10 % les plus riches percevaient 38 210 euros ou plus.

Une faible rémunération des internes compensée sur la carrière
Un argument courant du débat public justifiant le niveau élevé des rémunérations des médecins concerne la faiblesse de leur rémunération pendant les études, spécifiquement pendant l’internat. Sans toutefois remettre en cause l’intérêt ou même l’urgence de réformer les études de médecine, une recherche parue en 2011 compare la rentabilité d’une carrière de médecin généraliste à celle de cadre supérieur.

Les durées d’études plus courtes permettent aux cadres supérieurs de rapidement gagner plus que les médecins mais une fois leurs études finies, les médecins généralistes perçoivent des rémunérations supérieures qui compensent au fil de la carrière la pénalité de départ. Si les autrices montrent qu’il est aussi rentable d’être médecin généraliste que cadre supérieur, la recherche suggère que la rentabilité des études de médecine pour les spécialistes est meilleure que celle des cadres supérieurs.

Les médecins en grève comparent parfois le prix de la consultation en France à celui d’autres pays européens pour convaincre de leur faible reconnaissance dans l’Hexagone. Cependant, cette comparaison est très contestable. Comme on l’a dit, la rémunération des médecins libéraux en France n’est pas uniquement fondée sur le prix de l’acte. Par ailleurs, le mode de rémunération est très différent entre les pays. Alors que les médecins français sont principalement payés à l’acte, au Royaume-Uni, ils sont rémunérés en fonction de la taille et de la composition de leur patientèle (capitation).

Ces différences institutionnelles limitent fortement la possibilité de conduire des comparaisons internationales aussi frustres que celles qui se fondent uniquement sur le prix de la consultation. En termes de rémunération, les données de l’organisation de coopération et de développement économique (OCDE) pour 2019 montrent que les médecins français sont plutôt bien lotis.

Les médecins généralistes français gagnent en moyenne trois fois le revenu médian français, ce qui est supérieur ou égal à tous les autres pays étudiés sauf l’Allemagne (4,4) et le Royaume-Uni (3,3). Les médecins spécialistes français gagnent en moyenne 5,1 fois le revenu médian français, ce qui est supérieur à tous les autres pays étudiés sauf l’Allemagne (5,3) et la Belgique (5,6).

D’autres causes de souffrance
Il existe de nombreuses causes à la souffrance des médecins libéraux, généralistes en particulier. La rémunération paraît être une cause mineure face à la dégradation des conditions de travail. La désertification médicale (lié au numerus clausus, lui-même né à l’initiative de la frange la plus conservatrice des médecins), l’incitation à la productivité encouragée par le paiement à l’acte, l’absence d’organisation collective des soins primaires, le poids croissant des normes imposées par l’assurance maladie, etc. semblent être des racines bien plus profondes du malaise actuel que le niveau des rémunérations.

Beaucoup de médecins se plaignent de la rémunération sur objectif de santé publique qui est un complément de revenu fondé sur l’atteinte d’objectifs chiffrés de productivité (par exemple le taux de patient diabétique ayant eu au moins deux dosages de HbA1c, le taux de patientes ayant participé au dépistage du cancer du sein, etc.). Cela implique un surcroit de travail administratif et une modification des pratiques qui n’est pas du goût de tous, surtout quand les objectifs peuvent être contestables du point de vue du patient.

Bien entendu, les inégalités de revenus entre spécialistes et généralistes sont de plus en plus inacceptables, tant la place de ces derniers doit être revalorisée dans le système de soin. Mais cette revalorisation doit-elle conduire à une fuite en avant dans les rémunérations ?

Ne serait-il pas préférable que les médecins acceptent un mécanisme macroéconomique de limitation de leurs revenus pour qu’ils soient ensuite libres de les répartir entre eux ? Depuis au moins les premières loi d’assurances sociales de 1928, il est question régulièrement, sur le modèle allemand, d’instituer un mécanisme d’enveloppe globale qui permettrait aux médecins de répartir librement leurs ressources et à l’assurance maladie de pouvoir planifier une partie de ses dépenses. Que l’on aille vers l’enveloppe globale ou vers le salariat médical, n’est-il pas temps que l’inflation des dépenses en médecine de ville ne soit plus la cause de l’austérité à l’hôpital ?

En effet, puisqu’il n’existe pas de mécanisme permettant de contenir l’évolution des dépenses de médecine ville, la politique publique a tendance à imposer une austérité plus sévère à l’hôpital où ces mécanismes existent. Si la volonté de réduire la place de l’hôpital dans le système de santé peut tout à fait se défendre, le faire sans enclencher par ailleurs une réorganisation des soins de ville débouche sur la situation actuelle : un hôpital pauvre et sous-dimensionné, avec une médecine de ville riche et mal organisée.

Quitte à investir massivement dans la médecine de ville (le passage de 25 euros à 50 euros couterait 7 milliards d’euros par an à l’assurance maladie), ne faut-il pas que cela permette aux médecins qui le veulent de réformer certains fondamentaux de la médecine libérale ? En remettant en cause le paiement à l’acte, en créant des postes salariés en centre de santé pour faire face aux aspirations des nouvelles générations, en remettant en cause la liberté d’installation, etc. N’est-il pas justifié d’attendre des contreparties à ces niveaux de rémunération ?