Le social et médico social

Alternatives Economiques : Médico-social : la longue bataille de la revalorisation

Juillet 2022, par infosecusanté

Alternatives Economiques : Médico-social : la longue bataille de la revalorisation

LE 13 JUILLET 2022


Les professionnels du social et du médico-social attendent toujours des revalorisations salariales qui leur ont été promises. Pire, des salariés du secteur en sont exclus.

Par Justine Canonne

C’est une série à rebondissements qui se joue dans le secteur social et médico-social. Depuis des mois, ces professionnels revendiquent l’application au secteur des hausses de rémunérations issues du Ségur de la santé, soit 183 euros net par mois. Des revalorisations peu à peu étendues à certains professionnels, au fil des négociations, avec comme apogée la Conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social, organisée en février dernier. Cette dernière devait faire en sorte de prendre en compte le vaste champ du secteur, composé d’une myriade d’établissements et de services intervenant auprès des publics dits vulnérables (personnes âgées, en situation de handicap, suivies en protection de l’enfance, etc.).

Problème, cette extension progressive a aussi pour effet d’exclure certaines catégories de professionnels de ce secteur. Accordé aux salariés ayant des fonctions socio-éducatives, elle est pour l’instant refusée aux personnels administratifs, techniques et de direction. Ce que déplore le président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss), Patrick Doutreligne :

« Les professions dernièrement listées parmi les destinataires des hausses sont celles en contact direct avec les publics, ce qui exclut de fait des salariés travaillant pourtant au quotidien pour ces structures. »

Incertains engagements
La Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) tire également la sonnette d’alarme concernant les personnels exerçant au sein des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO), chargés notamment de l’orientation de publics en difficulté sociale vers des structures d’hébergement. Eux aussi sont pour l’heure exclus des augmentations salariales. Et ce, alors qu’ils exercent des fonctions d’accueil – certes téléphoniques – incontournables auprès de ménages en rupture d’hébergement, soulève la fédération.

Mais, même une fois intégré au champ des revalorisations, le chemin reste long, car le versement effectif des sommes se fait parfois attendre. En cause : la multiplicité des financeurs du secteur social et médico-social.

« C’est le gouvernement qui a acté de nouvelles revalorisations. Mais les structures concernées ne dépendent pas uniquement des financements de l’Etat. Et les départements, chefs de file en matière de politiques sociales, en particulier de la protection de l’enfance, ne se sentent parfois pas liés par les engagements pris », explique Patrick Doutreligne.

Dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, présenté la semaine passée en conseil des ministres, le gouvernement semble d’ailleurs engager un bras de fer avec les collectivités, en voulant rendre impératif le versement des revalorisations promises aux professionnels concernés dans la fonction publique territoriale, sous la forme d’un complément de traitement indiciaire.

Pénuries de professionnels
« Les incertitudes quant au financement des revalorisations promises engendrent une perte de confiance », observe plus généralement Alain Raoul, président de Nexem, importante organisation employeuse du secteur médico-social privé non lucratif. De telles complications ajoutent en effet à l’exaspération de professionnels de terrain qui, depuis des années déjà, se sentent insuffisamment reconnus.

« Ces hausses de rémunération ne constituent en réalité qu’un "rattrapage" pour des professionnels faiblement rémunérés au regard des missions et responsabilités qui sont les leurs », soulève Patrick Doutreligne.

Derrière la question salariale se profile assez vite, d’ailleurs, celle des difficultés de recrutement. La crise sanitaire a accéléré une crise d’attractivité qui lui préexistait. Désormais, « la baisse du nombre des candidatures et le décrochage de professionnels mènent à des limitations d’horaires d’ouverture, voire à des fermetures de services dans les structures », reprend le président de l’Uniopss.

Ces pénuries croissantes de personnels ont d’ailleurs conduit le gouvernement à prendre des mesures d’urgence pour la période estivale : accélération du calendrier pour diplômer les infirmiers et aides-soignants appelés à rejoindre les rangs du médico-social, procédure de délivrance d’autorisations provisoires d’exercice pour les étudiants de ces filières, etc.

Un « choc » d’attractivité espéré
Car la perte de sens chez les professionnels en exercice est bien là.

« Nous qui sommes "le nez dans le guidon" n’avons pas toujours été attentifs aux évolutions de la commande publique, qui ont mis en concurrence les associations du secteur par des logiques d’appels à projets, mettant du même coup à mal nos métiers, tout cela au détriment des publics. Les évaluations quantitatives nous font perdre le sens de notre travail. L’accompagnement social ne se mesure pourtant pas en volume d’activité ou de personnes suivies », témoigne Vince, éducateur spécialisé depuis la fin des années 1990, également dessinateur et chroniqueur social1.

Ainsi, de plus en plus de travailleurs sociaux ne se retrouvent plus dans les pratiques actuelles, poursuit-il : « La souffrance professionnelle des équipes se traduit par une érosion des effectifs... On voit même désormais des étudiants en travail social douter de leur orientation avant d’être diplômés. » Dans ces conditions, créer un « choc » d’attractivité pour ces métiers de l’humain reste une gageure.

« La rémunération est indéniablement un enjeu majeur – la revendication d’un "Ségur pour tous" est en ce sens légitime – mais cela va bien au-delà, avance l’éducateur spécialisé. Les travailleurs sociaux sont actuellement davantage formés à faire de la coordination qu’aux pratiques du lien, de l’accompagnement socio-éducatif, formant pourtant le cœur de nos métiers. Pourquoi ne pas remettre l’accent sur celles-ci ? »

« Il faut un changement de regard sur ces professionnels, qui sont des "artisans de la cohésion sociale", insiste Alain Raoul. Au lieu de les percevoir comme une dépense, il faut plutôt les voir comme un investissement pour l’avenir de notre société. » D’où l’appel de son organisation à un « plan Marshall » pour le secteur.

En dépit des difficultés, certains s’accrochent. « J’ai malgré tout envie de croire à des possibles pour ce secteur, souligne Vince. C’est pourquoi j’y reste. » Mais combien seront-ils à garder ainsi la foi contre vents et marées ?

Justine Canonne