Le social et médico social

Alternatives économiques - Rapport. Toujours plus de travailleuses pauvres

Décembre 2018, par Info santé sécu social

19 décembre 2018

Écarts de salaires, emplois précaires, instabilité des temps de travail, pénibilité des tâches, ségrégation professionnelle, permanence des stéréotypes qui nourrissent les discriminations… Le dernier rapport d’Oxfam, « Travailler et être pauvre : les femmes en première ligne », pointe une aggravation de la situation des travailleuses pauvres en France, et l’insuffisance des mesures pour y remédier. Non seulement leur nombre est en nette augmentation puisque, selon Eurostat, la part de femmes en activité professionnelle et pauvres est passée de 5,6 % en 2006 à 7,3 % en 2017, mais les « discriminations tenaces » dont elles sont l’objet les enferment dans un « cercle vicieux de précarité ».

Globalement, les femmes représentaient, en 2017, 55 % des bas salaires et occupaient 63 % des emplois non qualifiés, ainsi que 78 % des emplois à temps partiel et 70 % des contrats à durée déterminée (CDD) et des emplois intérimaires. Les mères de famille monoparentale sont particulièrement touchées par la pauvreté et la précarité : parmi celles qui travaillent, plus d’une sur quatre est pauvre, soit un million de femmes.

Ségrégation professionnelle
Si les inégalités de salaire entre les sexes tendent à diminuer, les hommes gagnent toujours 22,2 % de plus que les femmes. Certaines de ces inégalités salariales s‘expliquent par un phénomène de ségrégation professionnelle dite « horizontale » : les femmes ont tendance à être concentrées dans les métiers et secteurs où la rémunération est basse. Elles sont également touchées par la « ségrégation verticale » : elles sont moins représentées dans les emplois les mieux rémunérés ou les plus qualifiés (et ce alors même que les femmes ont en général un niveau d’éducation relativement plus élevé). Mais pas seulement.

Pour l’Organisation non gouvernementale (ONG), les causes de ces inégalités sont donc plus profondes. Les femmes subissent de multiples discriminations, liées à des facteurs sociaux et culturels qui viennent augmenter le risque de tomber dans la pauvreté au travail : « Les femmes sont victimes de normes sociales, de comportements et de croyances qui dévaluent leurs statut et compétences, servant de justification aux violences et à la discrimination à leur encontre et influencent fortement les emplois qu’elles peuvent et ne peuvent pas occuper. »

Parmi les différents facteurs mis en lumière dans le rapport, figure notamment l’inégal partage du travail domestique non rémunéré entre les femmes et les hommes, cause indirecte de la pauvreté de nombre d’entre elles. Les interruptions de carrière renforcent également les inégalités. Ainsi, les femmes de 39 à 49 ans qui n’en ont pas connu gagnent en moyenne 23 % de plus que celles qui ont cessé temporairement leur travail pour raisons familiales.

Le travail précaire affecte profondément les conditions de vie. Les horaires atypiques accroissent les difficultés d’articuler vie professionnelle et vie de famille, avec souvent de multiples employeurs (85 % des employés ayant plus d’un employeur sont des femmes).

Cercle vicieux
L’ensemble de ces inégalités dans la sphère professionnelle ont tendance à se renforcer avec les années, créant un cercle vicieux de précarité. Les femmes le paient de leur santé : « Entre 2000 et 2015, les maladies professionnelles reconnues ont connu une hausse de 155 % chez les femmes, contre 80 % chez les hommes », soit près du double pour les femmes. Et les discriminations durant la carrière sont encore plus nettes lorsque sonne l’âge de la retraite, la maternité et les enfants ayant un effet clairement pénalisant (l’écart entre hommes et femmes augmente fortement avec le nombre d’enfants). « Les femmes prennent leur retraite en moyenne un an plus tard que les hommes, avec des pensions (de droit) inférieur de 42 % », même si « les droits conjugaux et familiaux réduisent cet écart à 26 % en moyenne ».

Pour Oxfam, le plan pauvreté présenté il y a deux mois par Emmanuel Macron « ne s’attaque pas aux racines » de ces inégalités de genre. L’ONG préconise une série de mesures : encadrer les temps partiels et compenser leurs impacts négatifs ; fixer une obligation de transparence aux entreprises en matière d’égalité salariale et publier les écarts de salaires par quartile dans l’entreprise en les désagrégeant selon le genre – ce que la loi pacte n’a finalement pas mis en place ; instaurer un congé paternité non transférable et plus long et en partie obligatoire ; développer le « budget sensible au genre », qui vise à mesurer la répartition de l’argent public entre les sexes ; mettre en application le guide du Conseil supérieur à l’égalité professionnelle (CSEP) ; sanctionner les entreprises qui discriminent les femmes, via la Direction générale du travail – ce que le gouvernement a commencé à faire, avec la mise en place d’un système de notation des entreprises.

Enfin, Oxfam estime que les chiffres fournis par Eurostat – unique indicateur mesurant la répartition de la pauvreté au travail par genre – sous-estiment la réalité de la pauvreté des femmes qui travaillent, par rapport aux hommes. Car cet indicateur adopte notamment une approche de la pauvreté par ménage, supposant ainsi à la fois une distribution égale des ressources et leur égale répartition. Pour l’ONG, il est urgent de disposer d’indicateurs complémentaires.
Catherine André