L’hôpital

JIM - Donner de l’argent aux urgences pour refuser des patients : une idée du nouveau monde qui décoiffe !

Octobre 2018, par Info santé sécu social

Paris, le mardi 16 octobre 2018 –

C’était simple mais il fallait y penser : pour désengorger les urgences, il suffit de renvoyer les patients !

La saturation des services d’urgences est régulièrement signalée comme le symptôme le plus marquant des difficultés organisationnelles et structurelles des établissements de santé. L’équation est souvent résumée simplement : il n’y a pas eu d’augmentation de moyens suffisante pour faire face à un afflux de patients toujours plus important.

Ainsi, le nombre de passages aux urgences est passé de sept millions en 1990 à 23 millions aujourd’hui.

Différents facteurs expliquent cette évolution et notamment un recours de plus en plus fréquent aux urgences pour des situations ne nécessitant pas la sollicitation d’un plateau technique, ni même de soins immédiats. Le médecin et député LREM Olivier Véran considère ainsi qu’un quart des patients se présentant dans les services d’urgence relèvent en réalité de la médecine de proximité.

Ne faites rien et touchez tout de même une prime

Agir sur ces patients pour "désengorger" les urgences est un défi délicat. Si beaucoup se sont interrogés sur la façon de "responsabiliser" les malades (mais sans les culpabiliser et le leur faire payer au sens littéral du terme), les limites de la médecine de ville constituent une impasse difficilement contournable à court terme. Pourtant, rapporteur du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) qui sera examiné en commission des Affaires sociales à partir d’aujourd’hui, Olivier Véran a décidé d’en faire fi. Il a en effet déposé un amendement qui propose d’octroyer une prime aux services d’urgences qui plutôt que de prendre en charge les patients relevant de la médecine générale les réorienteront vers les soins de ville ! Grâce à ce système, le député entend mettre fin à la logique pernicieuse qui empêche les urgences de renvoyer certains patients puisqu’elles sont rémunérées à l’acte. Par ailleurs, afin de financer cette prime, Olivier Véran propose que les hôpitaux qui choisiront tout de même de soigner les patients (ne relevant pas des urgences) établissent une facturation différente (non plus pour hospitalisation d’urgence mais pour consultation technique).

Tout n’avait donc pas été réglé par la grande réforme du Président de la République ?

L’idée séduit le ministre de la Santé (toujours Agnès Buzyn, qui n’a pas été touchée par le remaniement) qui a indiqué son intention de la soutenir. Mais les médecins l’observent avec bien moins de bonhomie. Ainsi, par une simple prime, Olivier Véran paraît considérer qu’il est possible de décréter la fin des difficultés d’accès aux médecins de ville. Il semble que l’engorgement des services d’urgences lui ait masqué l’existence de l’engorgement des cabinets de médecins généralistes. Au-delà, d’un point de vue déontologique, beaucoup de praticiens urgentistes considéreront sans doute comme inopportuns de renvoyer chez soi un patient. « Je n’accepte pas que des politiques, voire un certain nombre de mes collègues médecins culpabilisent les patients » a ainsi déjà prévenu le médecin urgentiste Christophe Prudhomme (AMUF) sur France TV. L’ancien président du syndicat d’internes (ISNI), Jean-Christophe Bonnet juge pour sa part dans les Echos « troublant » un tel système consistant à être payer pour ne pas soigner et considère qu’il serait sans doute plus judicieux d’allouer davantage de moyens à la régulation. Enfin, la faisabilité d’une telle mesure soulève des questions. « Quels seront les critères pour vous renvoyer chez vous ? La pathologie ? La capacité financière (…). Chez moi dans la Sarthe, les gens qui se rendent aux urgences le font car ils n’ont pas d’autre solution » observe le député LR, Jean-Carles Grelier. Sans oublier les problèmes médicolégaux inévitables et la difficulté insurmontable de confier la décision de renvoi à une infirmière ou à un médecin n’ayant pas complétement examiné le patient ! En tout état de cause, on pourra s’étonner qu’après le plan "Ma santé 2022" présenté par Emmanuel Macron, certains dans ses rangs semblent considérer que les mesures présentées ne suffiront pas à corriger les difficultés et que de nouveaux dispositifs sont nécessaires !

Léa Crébat