L’hôpital

Mediapart : Après la mort de Lucas aux urgences, des députés réclament une commission d’enquête

il y a 1 mois, par infosecusanté

Mediapart : Après la mort de Lucas aux urgences, des députés réclament une commission d’enquête

Une demande d’ouverture de commission d’enquête pour faire toute la lumière sur la situation des urgences en France a été envoyée aujourd’hui à Yaël Braun-Pivet. Un état critique qui atteint son sommet dans les services de l’hôpital d’Hyères.

Simon Fontvieille

21 février 2024 à 13h26

« Depuis« Depuis plusieurs mois, la situation des services d’urgence dans le pays est extrêmement préoccupante. Il ne se passe plus une semaine sans que la presse ne relaie des histoires de patients décédés aux urgences, parfois sur un brancard, dans le couloir, faute de capacité de prise en charge adéquate. »

Dans leur courrier envoyé aujourd’hui à Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, des député·es des groupes de gauche et LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) alertent sur une situation tragique. Accompagnés par quarante-sept organisations syndicales et associatives, notamment les fédérations de la CGT et de la CFDT de la santé ou encore Médecins du monde, les parlementaires demandent la création d’une commission d’enquête « pour faire la lumière sur les pertes de chances aux urgences et proposer des solutions pour les soignants et les patients ».

« La création d’une telle commission avait déjà été demandée en septembre 2023, à la suite de nombreux témoignages que les députés de La France insoumise (LFI) avaient recueillis sur le terrain, mais la résolution n’a jamais été mise à l’ordre du jour », raconte Damien Maudet , député (LFI) de la Haute-Vienne à l’origine de l’initiative. « Fin 2023, le fait de simplement parler des “morts inattendues” en reprenant le chiffre avancé par le syndicat Samu-Urgences de France, qui a établi à cent cinquante le nombre de personnes décédées en décembre 2022 faute d’une prise en charge adaptée aux urgences, était considéré par certains comme étant honteux », se souvient l’élu, qui rappelle qu’à l’automne dernier l’ensemble des fédérations hospitalières avaient pourtant déjà alerté sur le fait qu’il manquait 5 milliards d’euros pour le fonctionnement serein des hôpitaux dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.

« Ce qui a changé, c’est qu’avec la révélation des conditions de la mort du jeune Lucas aux urgences d’Hyères, il y a eu une libération de la parole sur le manque de prise en charge et sur les drames qui surviennent dans les hôpitaux », précise Damien Maudet, qui doit rencontrer ce mercredi la mère de Lucas et des syndicats de soignant·es de l’hôpital de Toulon. Des soignants de Versailles se sont confiés sur leurs terribles conditions de travail, d’autres histoires sont remontées dans toutes les régions de France car tout le monde est concerné. Le fait que la quasi-totalité du monde des soignants signe notre demande de création de commission d’enquête est assez inédit ! Le but de cette commission est d’analyser quelles politiques nous ont conduits là et quelles solutions nous pouvons trouver pour nous sortir de cette situation. Il faut à tout prix que la constitution de cette commission d’enquête soit inscrite à l’ordre du jour et que des députés macronistes votent sa mise en place, car le problème est systémique et est le reflet à la fois d’une profonde injustice et de la crainte des citoyens de ne pas pouvoir être soignés. »

Des heures sur un brancard
Le 16 décembre 2023, Mediapart révélait la mort de Lucas Mannina, jeune technicien hydraulique de 25 ans, aux urgences de l’hôpital d’Hyères, dans le Var. Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 2023, le jeune homme a succombé à une septicémie après avoir attendu plus de sept heures sur un brancard. Son dossier médical et les témoignages que nous avons recueillis révèlent une série de dysfonctionnements dans la prise en charge du jeune homme, le médecin de garde le soir du drame allant jusqu’à alerter la direction de l’hôpital de la « mise en danger des patients ».

Le 12 décembre 2023, cinq membres de la famille de Lucas déposaient plainte auprès du tribunal judiciaire de Toulon pour « homicide involontaire » contre l’hôpital d’Hyères, son directeur Yann Le Bras et toute personne ayant « par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité », causé involontairement la mort du jeune Lucas. Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Toulon, et des personnes ont commencé à être auditionnées par la police.

Interrogée en décembre, la direction du centre hospitalier d’Hyères nous indiquait s’associer « à l’émotion qu’a suscitée ce décès auprès de la famille » et lui avoir présenté ses condoléances. Elle nous assurait également qu’elle collaborerait « pleinement à l’enquête menée par l’autorité compétente », en refusant toutefois de « divulguer les détails du dossier du patient » au nom du secret médical.

Au cours des dernières semaines, ces révélations ont trouvé un large écho dans les médias locaux et nationaux (« Quotidien », Le Parisien, le JT de TF1…), Corinne Godefroy, la mère de Lucas, martelant sa volonté de voir toute la lumière faite sur la disparition tragique de son fils et les responsabilités établies. Le 31 janvier dernier, interpellée par Corinne Godefroy sur la situation des urgences d’Hyères, Catherine Vautrin, ministre du travail, de la santé et des solidarités, assurait en direct, face à la journaliste de RMC Apolline de Malherbe : « Il est évident qu’une enquête est déjà lancée auprès de l’Inspection générale de l’action sociale (Igas) », ajoutant que c’était « le minimum ».

Sollicitée à travers son service de presse, cette administration nous a pourtant écrit qu’« en réalité, l’Igas n’a pas été à proprement parler mandatée pour effectuer une mission d’inspection dans cet hôpital », avant d’ajouter : « À ce stade, dans le contexte du tragique décès du jeune Lucas à l’hôpital de Hyères, il s’agit d’une mission de l’agence régionale de santé (ARS) seule. » De son côté, l’ARS Paca a indiqué à Mediapart que les résultats de ses investigations sont « susceptibles d’être communiqués à l’autorité judiciaire » dans le cadre de la procédure pénale en cours.

« On voit clairement qu’il y a un problème généralisé des services d’urgence en France, et tout ne sera pas réglé avec de l’argent », confie à Mediapart Corinne Godefroy, la mère de Lucas, pour qui il faut surtout « une réorganisation profonde du système de santé » : « qu’il ne soit plus géré de façon simplement comptable et administrative, mais au contraire réintroduire de l’empathie. Cette empathie qui fait cruellement défaut à tous ces gens qui attendent des heures sur des brancards aux urgences ».

Au-delà du cas de Lucas, Mediapart a recueilli les témoignages de plusieurs patient·es et de leurs proches passé·es par les urgences de l’hôpital d’Hyères au cours des dernières années. La plupart des personnes interrogées ont accepté de nous parler anonymement. À chaque fois, des défaillances dans la prise en charge, parfois anciennes, sont dénoncées.

« En 2012, mon père, centenaire, est emmené à l’hôpital de Hyères pour une urgence respiratoire, raconte Elsa*. Deux semaines avant, il avait été traité pour une broncho-pneumonie dans cet hôpital et je pensais que les services avaient déjà ses données. Mais là, on nous fait attendre quarante-cinq minutes dans un brancard situé dans un couloir sale et encombré, avant de nous dire qu’il fallait lui faire passer une batterie d’examens car “l’ordinateur était mort”. »

Elle poursuit : « Cela dure très longtemps alors que dans ces situations il faut agir vite. On place ensuite mon père dans une chambre dans une autre partie de l’hôpital. Il est branché, sous oxygène, il y a du bruit partout. Il est affolé, en train de lutter, et là je vois une infirmière sortir une seringue sans dire un mot et l’injecter dans la jambe de mon père. Ce dernier s’est calmé et est mort peu après. » Aujourd’hui encore, Elsa s’interroge sur le contenu de cette injection, et compte désormais demander à l’hôpital le dossier médical de son père.

« En 2018, je me suis entaillé profondément le doigt avec un couteau de cuisine, raconte Maria*. J’arrive aux urgences de Hyères, où j’attends près d’une heure et demie alors que je présente des risques hémorragiques. Et là, quand le médecin s’occupe de moi, il me recoud sans anesthésie ! Je n’ai jamais eu aussi mal de ma vie. J’ai serré les dents et quand je suis sortie de l’hôpital, je me suis mise à hurler. Même mon vétérinaire était estomaqué quand j’ai raconté cette histoire. »

Du Doliprane pour des calculs
Johanna*, quant à elle, nous raconte comment sa mère, une femme de ménage âgée de 58 ans, a été accueillie par les urgences d’Hyères en octobre 2023, quelque temps après la mort de Lucas. Arrivée à 6 h 30 pour de violents maux de ventre, elle sera placée dans un brancard pendant près de six heures. « À midi, on lui a fait une analyse d’urine, raconte Johanna, qui était bloquée devant l’entrée de l’hôpital et en contact téléphonique avec sa mère. À 14 h 30, on lui a dit qu’elle avait des calculs rénaux et qu’elle pouvait rentrer chez elle en lui prescrivant du Doliprane. Pendant tout ce temps, elle n’a vu aucun médecin et se tordait de douleur, pliée en deux devant des infirmières qui se racontaient leur week-end au Puy-du-Fou et qui se sont contentées de lui administrer trois doses de morphine en une heure. »

Marjorie Le Bot, seule personne à avoir accepté de témoigner à visage découvert, nous décrit, photos et vidéos à l’appui, les négligences qu’elle a subies au service des urgences d’Hyères en mai 2023. « J’avais une plaie en train de se nécroser avec une mèche de 20 centimètres à l’intérieur dont il fallait refaire le pansement, et un énorme abcès en train de percer, raconte la jeune femme. Au bout de quatre heures d’attente, une interne arrive et me dit qu’elle veut bien refaire mon pansement, mais pas s’occuper de mon deuxième abcès. J’ai demandé à voir un vrai médecin, je voulais simplement être soignée, mais le ton est monté. Résultat, ils m’ont fait évacuer de l’hôpital sans pansement, une plaie ouverte et une infection, j’ai été insultée par le vigile assurant la sécurité et j’ai dû gagner l’hôpital de Sainte-Musse, à Toulon, par mes propres moyens, où j’ai été enfin soignée ! »

Contactée, la direction de l’hôpital d’Hyères explique ne pas être « autorisée à commenter ce dossier médical [celui de Lucas Mannina − ndlr], ou la prise en charge de ce patient », et tient à « exprimer [son] soutien au personnel qui s’engage quotidiennement auprès des patients, et à réaffirmer [sa] mobilisation en faveur de la qualité des soins ». Elle assure aussi prendre « avec autant de sérieux les autres témoignages recueillis (qu’ils soient anonymes ou non) » dans cet article et incite « ces patients à saisir la commission des usagers pour nous permettre d’identifier ces évènements et les axes d’amélioration éventuels permettant le développement continu de la qualité des soins dispensés dans [son] établissement ».

Simon Fontvieille