Les professionnels de santé

JIM - La marginalisation de l’exercice isolé fortement regrettée par les professionnels de santé

Février 2019, par Info santé sécu social

“Paris”, le vendredi 15 février 2019 –

Si les discours de l’Assurance maladie concernant l’organisation des soins de ville n’évite pas toujours une certaine tartufferie, concernant la préférence accordée aujourd’hui à l’exercice collectif, le message a le mérite de la clarté.

Des aides qui pourraient être allouées pour l’embauche d’un assistant médical aux forfaits associés aux communautés professionnelles territoriales de santé, la CNAM n’a jamais caché qu’ils seraient conditionnés à l’exercice en groupe et est fortement soutenue dans ce sens par le gouvernement (Édouard Philippe a répété cette semaine que l’objectif était que l’exercice collectif devienne la norme). Rien pour l’exercice isolé, qui sans être clairement sanctionné apparaît néanmoins fortement marginalisé.

Un fort effet générationnel
L’exercice collectif a connu ces dernières années une nette progression. Ainsi la part de médecins généralistes libéraux exerçant en groupe est passée d’un peu plus de 42 % à 51 % entre 2011 et 2015, tandis que la progression était plus nette encore chez les spécialistes, qui étaient en 2015 plus de 56 % à exercer en groupe soit 13 points de plus que quatorze ans auparavant. Cette tendance ne devrait que se confirmer, tant l’exercice en groupe est privilégié par les jeunes générations. Le portrait des professionnels de santé dressé par la DREES dans son édition de 2016 signalait ainsi « L’exercice en groupe est très prisé des jeunes générations de professionnels de santé. Ce phénomène est particulièrement visible chez les jeunes médecins : les deux tiers des généralistes de moins de 40 ans exercent sous cette forme, contre moins de la moitié de leurs confrères de 60 ans ou plus. Cet effet générationnel est encore plus marqué chez les spécialistes ».

Une éviction logique ou contre-productive ?
Ainsi, en voulant privilégier l’exercice en groupe, la CNAM semble s’inscrire dans une évolution naturelle. Par ailleurs, si son objectif est d’améliorer l’accès aux soins, on ne peut que constater que le nombre de consultations est plus élevé par médecin dans les cabinets de groupe. De la même manière, comme l’a par exemple mis en évidence une étude réalisée en 2016 par l’Université de Bordeaux, la continué des soins est plus souvent assuré par les praticiens en cabinet de groupe que par ceux dont l’exercice est isolé (79,98 % des premiers avaient répondu oui à la question « assurez-vous la continuité des soins », contre 70 % des seconds). Il est en outre probable que les opérations de contrôle soient plus faciles à réaliser vis-à-vis des cabinets de groupe.

Cependant, bien que devenu minoritaire, l’exercice isolé est loin aujourd’hui d’être marginal. Or, si l’objectif des aides aujourd’hui déployées est le recul de la désertification médicale, l’éviction des cabinets isolés pourrait apparaître contre-productive. En effet, dans de nombreuses régions, les cabinets de groupe sont légèrement surreprésentés dans les grandes zones urbaines. Surtout, par définition, ce sont les cabinets isolés qui pourraient le plus bénéficier des dispositifs que souhaitent installer les pouvoirs publics, notamment les assistants médicaux. Ce sont en effet eux qui sont le plus souvent dépourvus d’accueil (48,90 % des médecins isolés d’Aquitaine sont dans ce cas par exemple), de secrétariat téléphonique (seuls 28 % en disposent en Aquitaine) et de secrétariat physique (présents dans 23 % des cabinets isolés d’Aquitaine). Conséquence, le dossier papier est encore fréquemment la règle chez les médecins isolés (33 % des médecins isolés concernés contre moins de 21 % en groupe monoprofessionnel). Enfin, quand on interroge les praticiens sur leurs attentes, les médecins isolés sont les plus nombreux à souhaiter un accompagnement sur les systèmes d’information (33 % contre 24 % pour ceux qui sont en groupe).

Illogique et regrettable
Compte tenu de ce paysage, la marginalisation de l’exercice isolé mise en œuvre par la CNAM ne peut que déplaire aux professionnels de santé et aux médecins et être considérée comme illogique.

Sondage réalisé sur JIM du 14 janvier au 10 février 2019.
L’absence d’aides aux cabinets unipersonnels dans le cadre de la mise en place des assistants médicaux et des CTPS est jugée "illogique et regrettable" par 74 % des professionnels de santé. Cette appréciation est la conséquence directe des différentes constations que nous avons présentées plus haut. Ainsi, seuls 11 % des professionnels partagent la vision de la CNAM (et du gouvernement) et estiment logique et souhaitable de conditionner les aides à un exercice en groupe. D’autres, fatalistes (9 %), observent que cette évolution est logique, consacrant la tendance observée ces dernières années et s’inscrivant dans une optique défendue depuis longtemps par la CNAM mais reste néanmoins regrettable, signifiant notamment un émoussement de la liberté des praticiens installés. Enfin, 6 % des professionnels de santé éloignés de ces considérations (peut-être parce que trop contents d’être isolés ou en groupe pour se soucier de nouvelles aides ou ne voulant pas croire aux programmes de la CNAM !) ne se sont pas prononcés.

A l’heure où les négociations concernant les assistants médicaux sont dans une impasse après le coup d’éclat des syndicats refusant les critères suggérés par la CNAM, ces résultats, qui font écho aux attentes des organisations représentatives, pourraient être lus avec intérêt par les représentants de l’Assurance maladie.

Aurélie Haroche