L’hôpital

JIM - Maltraitance à l’hôpital, du côté des soignants

Novembre 2019, par Info santé sécu social

Publié le 10/11/2019

Alors que Medscape publiait, il y a quelques jours, une enquête sur le harcèlement sexuel dans le milieu professionnel médical, un article New England Journal of Medicine vient « enfoncer le clou », en élargissant toutefois le champ de réflexion.

Il s’agit d’une enquête réalisée aux États-Unis auprès de 7 409 résidents (équivalents des internes) en chirurgie. Le questionnaire, anonyme, porte sur les diverses formes de « maltraitance », le burn out et les idées suicidaires au cours de l’année précédente. Les auteurs justifient cette enquête par le fait que la maltraitance est apparue comme fréquente dans le milieu professionnel médical, particulièrement envers les femmes et les étudiants, la chirurgie étant considérée comme une spécialité à haut risque. Ils souhaitaient rechercher l’existence d’un lien entre la maltraitance et le burn out.

Un interne sur 2 se dit victime de maltraitance
Force est de constater que leur postulat de départ se vérifie, puisque plus de la moitié des participants disent avoir été victimes d’une forme ou d’une autre de maltraitance, 19 % plusieurs fois par mois et 30 % plusieurs fois par an. Il peut s’agir d’une discrimination de genre, subie par 65,1 % des femmes et 10 % des hommes. Les patients ou leur famille sont responsables dans la moitié des cas de discrimination de genre envers les femmes, les infirmières pour un quart des cas et les assistants en chirurgie pour 18 %. Pour la discrimination de genre subie par les hommes, la source la plus fréquente est constituée par les assistants chirurgiens (28,5 %).

Il peut s’agir aussi d’une discrimination raciale, rapportée par 18,5 % des femmes et 15,1 % des hommes, venant là aussi majoritairement de patients ou de leur famille, moins souvent des assistants (17,4 %), des infirmières et de l’équipe (10,7 %) ou des autres résidents (8,2 %). Un autre type de discrimination est évoquée, celle en rapport avec les grossesses ou les enfants, rapportée par 13,1 % des femmes et 3,2 % des hommes, et créée par les autres chirurgiens, assistants ou autres résidents.

Des agressions verbales ou « émotionnelles » ont été subies par 33 % des femmes et 28,3 % des hommes, et sont plutôt le fait des assistants chirurgiens ou des autres résidents. En revanche, les agressions physiques sont rares (2,2 %), et sont signalées autant par les hommes que par les femmes.

Quant au harcèlement sexuel, 10,3 % des participants à l’étude affirment en avoir été victimes (19,9 % des femmes et 3,9 % des hommes). Pour les femmes, les auteurs en sont le plus souvent les patients ou des membres de leur famille (31,2 %) ou les assistants (30,9 %). Les hommes se disent plus souvent victimes de harcèlement sexuel de la part des infirmières ou d’autres membres de l’équipe (22,7 %).

De la maltraitance au burn out, il n’y a qu’un pas

Au-delà des maltraitances, les auteurs ont enquêté sur la fréquence du burn out chez les résidents. Parmi les personnes ayant répondu au questionnaire (99,3 % de la totalité des résidents éligibles), 38,5 % présentent des symptômes de burnout au moins une fois par semaine, avec épuisement émotionnel pour 34,3 % des participants, voire des symptômes de dépersonnalisation pour 17,1 %. Enfin, 4,5 % des participants disent avoir eu des idées suicidaires au cours de l’année précédente.

Les auteurs avaient aussi comme objectif de rechercher l’existence d’un lien entre l’exposition aux maltraitances (discriminations, harcèlement, agressions) et le burn out. Le lien se confirme en effet, l’association entre la maltraitance augmentant le risque de burn out, doublant ce risque en cas de maltraitances subies quelques fois par an, le triplant lors de maltraitances perpétrées plusieurs fois par mois ou plus. L’ajustement pour les maltraitances élimine la différence de risque de burn out entre hommes et femmes qui était constatée avant ajustement (OR 1,33 hors ajustement, OR 0,90 après ajustement). La survenue d’idées suicidaires est elle aussi influencée par la fréquence de l’exposition à des maltraitances, mais aussi par celle des dépassements des horaires de travail.

Ces résultats sont à mettre en parallèle avec ceux de la récente enquête Medscape, réalisée auprès de 1 000 médecins français tous âge et sexes confondus, au cours de laquelle 16 % des femmes et 2 % des hommes disent avoir été victimes de harcèlement sexuel. Les publications sur les mauvais traitements dont sont victimes les professionnels à l’hôpital sont nombreuses en France ces dernières années, depuis les enquêtes de l’ISNI (Inter Syndicale Nationale des Internes) sur la santé mentale des jeunes médecins en 2017, le livre du Dr Auslender en 2017 « Omerta à l’hôpital », la thèse en 2018 du Dr L. Zou Al Guyna ou encore la publication du livre choc « Silence sous la blouse » de Cécile Andrzejewski au début de cette année.

Dr Roseline Péluchon

RÉFÉRENCES
Hu YY et coll. : Discrimination, Abuse, Harassment, and Burnout in Surgical Residency Training. N Engl J Med ., 2019 ; 381(18):1741-1752. doi : 10.1056/NEJMsa1903759.