L’hôpital

JIM - Six ministres de la Santé se souviennent

Août 2022, par Info santé sécu social

Publié le 12/08/2022

Six anciens ministres de la santé ont été interrogés par le journal Le Monde sur la politique sanitaire menée ces vingt dernières années et ses conséquences sur la situation actuelle de notre système de santé.

Notre système de santé va mal, c’est un fait. La pénurie de soignants à l’hôpital a provoqué la fermeture de plusieurs services d’urgences à travers le pays, de plus en plus de Français ont du mal à trouver un médecin traitant dans les zones sous-dotées et les praticiens ressentent une perte de sens face aux lourdeurs administratives.

Cette crise ne tombe évidemment pas du ciel et est la conséquence des politiques sanitaires menées ces dernières années.

Le journal Le Monde a donc interrogé six anciens ministres de la Santé (Jean-François Mattei, Xavier Bertrand, Phillipe Bas, Roselyne Bachelot, Marisol Touraine et Agnès Buzyn), en poste entre 2002 et 2020, et les a questionnés sur les erreurs qui ont été commises ces vingt dernières années et qui ont provoqué le marasme actuel.

Haro sur le numerus clausus
Malgré leur bord politique différent, les six anciens ministres s’accordent sur une chose : le numerus clausus, qui a limité drastiquement le nombre de médecins formés entre 1971 et 2020, a été une erreur majeure et la principale cause de la crise actuelle.

« Quand je suis arrivée au ministère, j’ai regardé les projections démographiques et j’ai été paniquée » se souvient Agnès Buzyn (2017-2020). « Nous n’avions aucun moyen de maintenir le même nombre de médecins, déjà insuffisant en 2017, sur le territoire ».

Chacun se félicite d’avoir fait ce qu’il a pu pour contrer cette mesure « insensé et totalement absurde » selon Jean-François Mattei (2002-2004). « Je suis celui qui a certainement le plus augmenté le numerus clausus » lance ainsi Xavier Bertrand (2005-2007 puis 2010-2012).

Mais c’est bien Agnès Buzyn qui y mettra fin et le remplacera par le numerus apertus en 2019.

Pour le reste, les anciens locataires de l’avenue de Ségur expriment des regrets pour certaines réformes engagées ou en tout cas sur leurs modalités. Deux mesures qu’il a mise en place restent encore en travers de la gorge de Jean-François Mattei : la fin de l’obligation de garde pour les médecins libéraux et la tarification à l’acte à l’hôpital.

Pour la première réforme, l’ancien ministre regrette surtout que la mise en place de maisons médicales de garde, à l’entrée des urgences, qu’il préconisait en 2002, n’ait pas été reprise par ses successeurs.

Pour la seconde, il reconnait, 20 ans après, que la tarification à l’activité à l’hôpital « ne fonctionne pas très bien ».

Le conventionnement sélectif, le grand regret de Roselyne Bachelot
Chez Roselyne Bachelot (2007-2010), c’est plutôt le souvenir d’une réforme non réalisée qui domine, celle du conventionnement sélectif, amorcée à son arrivée au gouvernement en 2007. L’ancienne ministre se souvient du bras de fer avec les médecins libéraux, dont elle dénonce le conservatisme : « La médecine de ville estime qu’on ne doit lui imposer aucune contrainte, ils sont maîtres et compagnons ».

Après plusieurs mois d’âpres négociations, le Premier Ministre François Fillon lui demande de jeter l’éponge, pour ne pas perdre les voix des médecins. Mais 15 ans après, l’ancienne pharmacienne estime qu’elle avait « totalement raison » de s’attaquer à la liberté d’installation.

Ministre de la santé sous François Hollande (2012-2017), Marisol Touraine regrette aussi de ne pas avoir su gagner les arbitrages, notamment sur les questions budgétaires. Ainsi, elle explique avoir demandé des revalorisations de salaires pour les infirmières et les aides-soignantes que Bercy lui a refusé.

« La crise actuelle s’explique en grande partie par la situation des aides-soignantes et des infirmières qui sont insuffisamment payées » analyse l’ancienne ministre « mais à l’époque on me disait que je demandais trop pour l’hôpital ».

Entre regrets, impuissance assumée et autocongratulation, ce retour vers le passé permet de démêler les origines de la crise actuelle de notre système de santé mais également de découvrir les coulisses du ministère de la Santé et de comprendre comment le ministre doit concilier ses aspirations avec les ordres de l’Elysée et de Matignon, et les velléités des syndicats.

Espérons que dans 20 ans, Olivier Véran, François Braun et d’autres seront invités à se pencher sur la manière dont l’hôpital français a été sauvé.

Quentin Haroche