L’hôpital

Le Monde.fr : Crise à l’hôpital : « pas de drames » cet été aux urgences, mais l’inquiétude persiste

Septembre 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : Crise à l’hôpital : « pas de drames » cet été aux urgences, mais l’inquiétude persiste

Avant l’évaluation ministérielle attendue fin septembre, les acteurs de terrain, chefs de service et urgentistes, posent un premier bilan sur deux mois de difficultés inédites, qu’ils ont, chacun à leur manière, réussi à traverser.

Par Mattea Battaglia et Camille Stromboni

Publié le 02/09/2022

L’été n’est pas encore achevé que le temps du diagnostic s’impose déjà dans le monde de la santé : les services d’urgence, qui sont en première ligne face à la crise de l’hôpital, obligés pour certains de fermer faute de personnels suffisants, ont-ils tenu le choc d’une période estivale sous haute tension ? Le ministère de la santé, qui a promis un bilan détaillé fin septembre, s’avance déjà. « La catastrophe annoncée ne s’est pas produite, grâce à l’investissement fort des professionnels sur le terrain », a affirmé François Braun au Quotidien du médecin, le 29 août.

Avant l’été, les craintes et les mises en garde n’avaient jamais été si fortes quant au risque de drames. « L’engorgement aux urgences est un facteur associé à une surmortalité indue », alertait dans nos colonnes Frédéric Adnet, chef des urgences à l’hôpital Avicenne, à Bobigny, le 1er juin. Cent vingt services d’urgence ont dû fonctionner de manière dégradée, allant jusqu’à la fermeture, dès la fin mai, selon le syndicat SAMU-Urgences de France.

« Il n’est pas question de crier victoire, nous restons très vigilants, l’été n’est pas fini, fait-on valoir au ministère de la santé. Mais l’effondrement qu’on nous avait prédit n’a, heureusement, pas eu lieu, et les mesures que nous avons déployées cet été vont pouvoir servir de point d’appui pour la prochaine étape. » La « boîte à outils » de 41 mesures déployées en urgence, courant juillet, doit être évaluée fin septembre, avant son éventuelle pérennisation.

Deux rapports ont été commandés à l’Inspection générale des affaires sociales, l’un sur l’ensemble des mesures, l’autre spécifiquement sur celle qui a cristallisé l’attention : le filtrage à l’entrée aux urgences, imposant un appel au 15 avant d’avoir accès – ou non – au service. Cette régulation déployée dans environ 20 % des 660 services d’urgences, en majorité la nuit, a été dénoncée par une partie de la communauté médicale comme un « tri » à l’entrée et une remise en cause du service public.

Le SAMU encore sous tension
Qu’en disent aujourd’hui les médecins ? Les positions syndicales exprimées avant l’été n’ont que peu évolué. « Je ne comprends pas qu’un ministre puisse prendre son envol avec une extrapolation de la vérité », tacle Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France, estimant toujours que cette régulation n’est pas « concluante ». « S’il n’y a pas eu de morts devant les urgences, c’est parce que les professionnels étaient là, et les plaintes déposées, s’il y en a, prendront du temps à être instruites. » Il fait état d’une dizaine d’alertes reçues par courrier pour une mauvaise prise en charge. Pour l’urgentiste, la « catastrophe » continue « en silence », citant l’exemple de la fermeture cet été du SMUR de Lariboisière, à Paris, « pour la première fois de son existence ».

Du côté du syndicat SAMU-Urgences de France, on continue à défendre la régulation, tout en décrivant un quotidien « excessivement compliqué ». « Le dispositif a permis d’éviter les drames, assure le docteur Marc Noizet, président de l’organisation. Il n’y a pas eu de désastre ou d’incident grave connu, certes, mais demandez ce qu’ils en pensent à ceux qui ont dû faire 60 km de plus en voiture pour venir aux urgences, ou qui ont dû attendre des jours sur des brancards… » L’urgentiste est catégorique : « Il n’y a jamais eu autant de services fermés l’été. » Et de dresser la liste de ceux qui ont « payé cher », allant des « petits » hôpitaux comme Montauban, Manosque (Alpes-de-Haute-Provence), Cavaillon (Vaucluse), Creil… jusqu’aux CHU de Grenoble, Nice, Bordeaux… Heureusement, remarque-t-il, après la suractivité de juillet, un « léger ralentissement » s’est fait ressentir en août.

La forte tension sur les SAMU, qui ont vu leurs appels exploser, est pourtant loin d’être redescendue. Avec une conséquence directe sur les assistants de régulation médicale (ARM), en charge du « décroché », selon le jargon hospitalier : « Nous savons que dans certains services, de 20 % à 25 % de ces assistants annoncent leur départ pour ces prochains mois, reprend Marc Noizet. Or on en manque déjà. » Un « manque » que l’Association française des ARM chiffre entre 500 et 800 assistants, pour 2 500 en poste.

Difficultés à long terme
L’inquiétude est tout aussi forte, sur le plan des recrutements, parmi les urgentistes : au CHU de Bordeaux, le premier grand établissement à avoir mis en place le filtrage de nuit, un nouveau départ de médecin est encore prévu en cette rentrée, alors que 40 % de l’effectif est déjà vacant. Si la régulation a permis de préserver les « urgences vitales » et de diminuer les entrées, « ça a été très compliqué », rapporte le chef de service du site Pellegrin, Philippe Revel, évoquant un « ping-pong difficile » pour trouver des places aux patients alors que de nombreux services du département ont dû garder portes closes. Tous, à ce stade, n’ont pas rouvert.

Au CHU de Rennes, le chef de service Louis Soulat n’est qu’à moitié soulagé : « Même si c’est le pire été qu’on ait eu, on a en partie passé l’épreuve… Mais à quel prix ? Il a fallu tirer sur la corde », dit-il à propos de la charge de travail qui a pesé sur des personnels déjà éprouvés par deux années de crise sanitaire. D’autant que septembre s’annonce aussi tendu : la grande problématique des urgences, soit la difficulté à trouver des lits dits d’aval pour hospitaliser les patients, n’est en rien réglée. « On avait déjà une vingtaine de patients tous les matins sur des brancards aux urgences cet été, soit le double des autres années, explique ce médecin. Avec la reprise cette semaine de l’activité programmée à l’hôpital, nous aurons encore moins de lits disponibles. » La question de long terme reste entière : c’est celle de l’attractivité du métier.

A l’hôpital de Montauban, le seul à avoir mis en place dès le 1er juillet un filtrage jour et nuit, Hélène Pizzut veut, elle, rester positive : la directrice du SAMU 82 attend pour novembre trois recrutements – deux docteurs juniors et une mutation. « Notre fonctionnement séduit, estime-t-elle. Nous avons d’emblée opté pour la régulation H24. C’est un choix que l’on veut pérenne, on ne reviendra pas en arrière. » Choix qui, défend-elle, a modifié « au positif » le ressenti tant du côté des patients que des médecins : « On a moins de personnes qui attendent sur des brancards, et c’est visible de tous. »

Pertes de chance
Dans le Vaucluse, où de nombreux services ont dû fonctionner en pointillé, on avance le lien renforcé avec la médecine de ville comme un des éléments ayant permis de « tenir ». « On a développé des partenariats avec les maisons médicales ou les médecins de garde, notamment lors des semaines critiques autour de 14 juillet et du 15 août, et ça a été précieux », rapporte Ludovic Sauvage, urgentiste au centre hospitalier d’Avignon, dans un service qui n’a pas fermé.

A Laval au contraire, où les fermetures – nuits, week-end… – ont démarré bien avant l’été, on pose un diagnostic plus grave. « Oui, on a évité la casse, mais ce n’est pas parce que ça s’est passé à peu près correctement qu’on peut se satisfaire de la situation », affirme la cheffe de service, Caroline Brémaud. On ne peut pas exclure les « pertes de chance », quand des patients doivent être acheminés vers d’autres sites, « à moyen ou long terme ». « Face à un AVC ou à un infarctus, dit-elle, un retard de prise en charge de cinq minutes compte, mais ça se mesure souvent un an, voire deux ans après. »

Un constat fait en tout cas consensus : la crise des urgences des derniers mois n’est que le symptôme d’un système de santé qui « craque » de partout, ne cesse-t-on de rappeler chez les urgentistes. La concertation sur la santé, que le gouvernement a promis d’ouvrir en cette rentrée, réussira-t-elle à traiter le mal dans son ensemble ? Ils attendent de voir.

Mattea Battaglia et Camille Stromboni