Le social et médico social

Le Monde.fr : Les salariés du médico-social dénoncent une nouvelle fois leurs conditions de travail

Février 2022, par infosecusanté

Le Monde.fr : Les salariés du médico-social dénoncent une nouvelle fois leurs conditions de travail

Plusieurs milliers de travailleurs du secteur ont répondu présents à l’appel des syndicats mardi, à Paris, pour la troisième fois en moins de trois mois. Considérant avoir été les oubliés du Ségur de la santé, ils demandent la revalorisation de leurs métiers.

Par Sabrina El Mosselli

Publié le 02/02/2020

Epuisés après deux ans d’épidémie, déçus des conclusions du Ségur de la santé, les travailleurs du médico-social étaient mobilisés mardi 1er février pour exprimer leur colère. A Paris, ils étaient plus de 5 000 selon les syndicats à s’élancer de la place des Cinq-Martyrs-du-Lycée-Buffon. Salaires insuffisants, conditions de travail déplorables, manque d’effectifs et d’attractivité de leur profession. Les revendications des manifestants étaient plurielles.

En tête du cortège parisien, Elena (qui a souhaité garder l’anonymat), membre de la commission de mobilisation du travail social Ile-de-France, donne de la voix, armée de son mégaphone. Si elle est là aujourd’hui, c’est avant tout pour « rendre visible » le combat de ses pairs. « On s’est rendu compte que les luttes du secteur social étaient nombreuses mais invisibles, notamment parce qu’elles sont réparties sur pleins de champs comme l’enfance, le handicap, l’accompagnement des personnes précaires, sans abris, etc. », explique t-elle.

Ce n’est pas la première fois que le secteur du médico-social se mobilise. « Le 7 décembre dernier, on était 60 000 à manifester en France et 8 000 à Paris. Ce n’est pas négligeable », commente Elena. Aujourd’hui, elle dit vouloir « taper plus haut » en interpellant le premier ministre devant Matignon, lieu d’arrivée de la manifestation.

« En décembre, on a obtenu qu’une délégation soit reçue par le ministère de la santé. Bien sûr, on se doutait qu’on n’allait pas échanger avec M. Véran directement. Mais mes collègues se sont retrouvés face à une personne qui leur a demandé “En fait, le travail social, c’est quoi ?”. Notre propre ministère ne sait pas ce qu’on fait. C’est bien la preuve que nous ne sommes pas une priorité pour ce gouvernement », fustige la militante, également membre de la CGT.

Emma Quirion est éducatrice spécialisée au sein d’un foyer dans les Hauts-de-Seine. Elle s’occupe d’adultes en situation de handicap mental et psychique. Depuis deux ans, elle voit les effectifs au sein du foyer où elle travaille s’amincir : « Nous sommes cinq éducateurs au lieu de quatorze. » Un manque qu’elle met sur le dos de salaires non attractifs. « Nous avons des horaires décalés. On peut commencer à 7 heures, finir à 22 heures, donc nos vies personnelles sont impactées. C’est compliqué par exemple d’avoir une vie de maman. Si en plus, derrière, les salaires ne suivent pas, c’est normal que personne ne veuille faire ça », analyse t-elle.

« Nos résidents sont des éponges. Si on va mal, eux aussi »
Des conditions qui conduisent automatiquement selon elle à une baisse de la qualité de l’accompagnement. « On ne peut plus prendre le temps d’accompagner nos résidents. Actuellement, nous sommes dans l’urgence, l’occupationnel. Ce n’est pas une prise en charge convenable », juge t-elle. « Ne serait-ce que les écouter nous raconter leur journée, c’est une chose que nous ne pouvons plus prendre le temps de faire », rebondit sa collègue Camille Lemaître, conseillère en économie sociale et familiale (CESF) dans le même établissement. Une dégradation des soins qui a selon elle des conséquences sur les patients. « Nos résidents sont des éponges. Si on va mal, eux aussi. Ils deviennent agressifs. Certains se mutilent, d’autres se sous-alimentent, s’isolent », partage t-elle.

Une réalité qui engendre, logiquement, une difficulté à recruter. « Beaucoup abandonnent, changent de voies, se dirigent notamment vers le sanitaire qui est mieux payé. On estime qu’entre 150 000 et 200 000 salariés du médico-social ont abandonné leurs métiers », affirme Christophe Prudhomme, membre de la direction nationale de la CGT santé-action sociale.

A l’écart du rassemblement, un groupe de jeunes femmes discute, pancartes à la main. Anaïs Wautiez est, elle aussi, éducatrice spécialisée. Elle veut dénoncer le manque de reconnaissance de sa profession. « Le médico-social touche tout le monde. Les enfants comme les personnes âgées, les personnes sans abris comme celles en situation irrégulières. Ou encore celles qui souffrent de troubles psychiatriques ou de handicaps. Si nous ne sommes plus là, la société qui va déjà mal actuellement va s’effondrer », déclare t-elle.

« Nous aussi nous avons continué pendant les confinements »
Elle et ses collègues disent se sentir délaissées après les conclusions du Ségur. « Nous avons une place tout aussi importante que les soignants. Nous incarnons une autre manière de soigner. Nous aussi nous avons continué pendant les confinements. Pourquoi revaloriser certains corps de métiers et pas le nôtre ? », questionne t-elle. « Le Ségur a créé des tensions et des divisions. Le médico-social a été exclu des mesures prises, juge Christophe Prudhomme, responsable de la CGT santé-action sociale. Aujourd’hui, il y a une colère des salariés du milieu. Cette mobilisation est un moyen de canaliser cette colère, mais nous avons besoin de vraies discussions et de négociations. »

« On s’occupe de personnes. On ne peut pas se permettre de bâcler notre travail. Malheureusement, à l’heure actuelle, on est obligé de fonctionner à la chaîne. On ne peut plus passer autant de temps avec les résidents. On gère tout dans l’urgence, on chronomètre nos visites », raconte Emilie (qui n’a pas souhaité de donner son nom), CESF au sein du même établissement qu’Anaïs Wautiez. Toutes les deux disent ne pas être étonnées des récents scandales au sein des EHPAD du groupe Orpea. « Etre en sous-effectif peut amener à de la maltraitance. Nous sommes contraints de faire des heures supplémentaires. La fatigue entraîne un manque de vigilance. On nous demande de faire dix fois plus avec dix fois moins. On fait des économies là où on ne devrait pas », analyse Anaïs.

Pour redorer le blason du médico-social, elle a plusieurs requêtes : « 300 euros de revalorisation salariale. La fin de la précarité des contrats de travail, avec une priorisation des CDI ou des titularisations. L’arrêt du financement à l’acte qui est un héritage du milieu hospitalier et un budget à la hauteur de l’accompagnement des patients. » « On ne lâchera pas l’affaire tant qu’on ne pourra pas discuter autour d’une table avec le gouvernement », conclut-elle.

Sabrina El Mosselli