L’hôpital

Le Monde.fr : Patiente morte à l’hôpital Lariboisière : l’enquête confirme des dysfonctionnements aux urgences

Juin 2019, par infosecusanté

Le Monde.fr : Patiente morte à l’hôpital Lariboisière : l’enquête confirme des dysfonctionnements aux urgences

Par Cécile Bouanchaud • Publié le 11 juin 2019

L’enquête judiciaire ouverte après la mort de Micheline M., 55 ans, une patiente découverte après douze heures d’attente sur un brancard, en décembre 2018, dans les couloirs de l’hôpital Lariboisière à Paris, entre en résonance avec la crise qui secoue les services d’urgence.

Cette enquête, dont Le Monde a pris connaissance, met au jour une série de dysfonctionnements : la « saturation » des urgences ce jour-là, impliquant « une charge de travail très importante », aurait conduit au non-respect du protocole de prise en charge de la patiente décédée, expliquent aux enquêteurs les personnels hospitaliers.

Cette enquête permet de reconstituer minutieusement l’enchaînement des faits qui a conduit à la mort de cette employée de la police municipale, originaire de Martinique. Selon le rapport d’autopsie, les causes du décès de Micheline M. sont « compatibles » avec une méningite. « Cette infection bactérienne, rare et gravissime, est fatale dans 10 % des cas », explique au Monde un médecin. S’agissant de la victime, cette infection a atteint les poumons, provoquant un œdème pulmonaire, corollaire de son étouffement, précise le rapport.

La famille de la défunte a déposé plainte, le 14 janvier, pour « homicide involontaire » et « omission de porter secours à personne en danger », et une information judiciaire a été ouverte le 18 mars. Les proches de la défunte se sont constitués partie civile le 16 avril.

Mauvaise identité

Le 17 décembre 2018, Micheline M., souffrant depuis la veille de douleurs aux mollets et de maux de tête, décide de se rendre au centre médical Stalingrad, non loin de chez elle, dans le 19e arrondissement de Paris. Il est 18 heures quand elle fait un malaise devant l’établissement, sur le point de fermer. S’appuyant à un tabouret, elle réclame, « tremblante », d’être reçue par un médecin, en vain.

Alors qu’elle souhaite rentrer se reposer chez elle, un agent de sécurité appelle les pompiers, qui arrivent sur place vers 18 h 20. A ce moment, Micheline M., qui n’avait pas consulté de médecin depuis février 2017, « semble souffrante, mais pas plus que cela », explique aux enquêteurs le pompier qui l’a prise en charge.
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Arrivé à l’hôpital vers 18 h 50 avec la patiente, le chef d’équipe des pompiers transmet la fiche d’intervention, réalisée sans qu’aucune pièce d’identité ne soit demandée à la victime. De ce premier manquement découle une série d’événements menant à la tragédie. Car l’infirmière chargée d’enregistrer Micheline M. se fiera aux seules informations transmises par les pompiers. « Comme ils ne m’ont pas donné de pièce d’identité, j’en ai déduit qu’il n’y en avait pas », s’est justifiée l’infirmière auprès des enquêteurs, précisant que cette façon de procéder est devenue « un automatisme ».

Vers 19 heures, la patiente est brièvement examinée. L’infirmière constate alors une fièvre de 40,1° et lui administre un Doliprane. Lorsqu’elle lui demande de décliner son identité, cette dernière prononce « quelque chose d’inaudible », avant de confirmer en hochant la tête que le nom inscrit sur le bracelet d’admission est le bon, alors qu’il est erroné – un bracelet qui sera perdu.

Déclarée « en fugue »

Micheline M. est alors orientée en « circuit court ». Selon le personnel médical, son état de santé, considéré comme « parmi les moins graves », ne nécessite qu’une simple consultation.

Dans le fichier informatique des urgences, la patiente est classée au niveau trois – sur une échelle de « tri » de cinq couleurs – qui correspond aux personnes qui doivent attendre moins de soixante minutes pour être vue par un médecin. « En sachant que les délais ne peuvent pas toujours êtres respectés », fait savoir l’infirmière. Et ce jour-là, il y avait « un délai de prise en charge de cinq heures ». Les personnels auditionnés rappellent que les faits sont survenus un lundi, jour où l’affluence est la plus forte aux urgences.
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Il est 19 heures passées lorsque la patiente est transportée sur un brancard, dans la salle où se trouvent de nombreuses autres personnes alitées. Commence alors une longue attente. Ce n’est qu’à 23 h 55 qu’elle est appelée, sous une mauvaise identité, pour une consultation avec un médecin.

Selon les éléments de l’enquête, une infirmière l’appelle une première fois en salle d’attente, puis à l’accueil, avant de réitérer son appel dans la salle du circuit court. Faute de réponse, Micheline M. est alors inscrite dans le logiciel comme « ne répondant pas à l’appel ». A 1 h 18, elle est déclarée « en fugue » par un membre du personnel médical qui n’a pas pu être identifié.

La procédure d’appel pas respectée

A 4 heures, une infirmière l’inscrit comme « définitivement sortie », l’excluant alors officiellement du circuit. Le protocole prévoit pourtant qu’avant de la rayer des listes il aurait fallu l’appeler à trois reprises à vingt minutes d’intervalle et vérifier systématiquement tous les bracelets des patients présents dans les zones de surveillance.

Interrogée sur ce point, une infirmière de nuit estime qu’en raison « de la surcharge de travail » elle « ne peut pas se permettre de vérifier tous les bracelets ». « La surveillance de la patiente n’a pas été conforme aux procédures internes », concluait dès janvier l’enquête interne de l’AP-HP.

Au petit matin, à 6 heures, la patiente est découverte inanimée. Après quinze minutes de tentative de réanimation, elle est déclarée morte. En regardant dans ses affaires, les membres du personnel constatent alors que la victime avait été enregistrée sous une mauvaise identité.
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« Ce décès, c’est la pire chose qui puisse arriver à nous, médecins. Un cauchemar », résume une soignante. Rejetant « une erreur humaine », ils privilégient une explication structurelle sur l’organisation des urgences, « saturée en permanence ». Le directeur des ressources humaines de l’hôpital estime, lui, que le personnel était « en nombre suffisant » ce soir-là, quand le DRH des médecins précise pour sa part que les effectifs de sa section étaient respectés.

Ce drame révèle les coulisses d’une organisation hospitalière à bout de souffle, avec des effectifs dépassés par une affluence de plus en plus forte. Face à la « colère » et au « découragement » des urgentistes en grève, la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, a annoncé, le 5 mai, le lancement d’une mission de refondation des services d’urgences. Des annonces d’ores et déjà jugées « insuffisantes » par le collectif des grévistes.
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Cécile Bouanchaud