L’hôpital

Libération - Décès inattendus aux urgences : « Le dysfonctionnement est global »

Janvier 2023, par Info santé sécu social

Samu-Urgences de France a recensé 31 morts inattendues dans les services d’urgences hospitalières sur le mois de décembre. Un chiffre impressionnant et sans doute très sous-estimé, qui reflète la dégradation générale des conditions d’accueil des patients.

publié le 3 janvier

C’est un relevé qui tombe mal pour l’exécutif. A quelques jours de la présentation des vœux d’Emmanuel Macron aux professionnels de santé, Samu-Urgences de France vient de boucler son recensement des « morts inattendues » dans les services d’urgences hospitalières au cours du mois de décembre. Non encore dévoilé, le résultat de ce « No dead challenge » devrait compliquer la communication d’un chef de l’Etat, pourtant pressé de refermer le dossier santé pour se consacrer à celui des retraites. C’est que les remontées des services d’urgences donnent le tournis. Même après avoir éliminé les déclarations imprécises sur les causes de décès, Samu-Urgences de France décompte, sur un mois, 31 morts inattendues aux urgences ou en pré-hospitalier.

Autant de patients qui n’étaient pas en détresse vitale lors de leur appel au 15 ou de leur arrivée aux urgences. « C’est un chiffre démesuré, surtout quand on considère que beaucoup de services sous-déclarent ce type d’accidents, souligne le président du syndicat, le docteur Marc Noizet. La dégradation des conditions d’exercice aux urgences est telle qu’il y a désormais une vraie mise en danger des patients. Si on extrapole ce résultat à la France entière, le nombre de décès inattendus aux urgences sur la période est sans doute supérieur à 160. C’est énorme. Toutes les régions sont concernées. Le dysfonctionnement est global. »

« Huit heures d’attente »
Plus précisément, dans 20 % des cas, la mort fait suite à l’impossibilité de mobiliser assez vite une ambulance du Smur. Mais l’essentiel des décès est lié au délai pour obtenir un lit d’hospitalisation. « Cela peut faire suite à un accident de traumatologie périphérique, précise Noizet, par ailleurs chef des urgences de l’hôpital de Mulhouse. J’ai en tête le cas d’une vieille dame arrivée aux urgences après une chute sans gravité apparente qui a succombé sur un brancard après huit heures d’attente dans un couloir… » De fait, ce sont les plus âgés – qui sont les plus à risque d’hospitalisation et donc de devoir patienter des heures, voire des jours, aux urgences – qui payent le plus lourd tribut des décès.

Pour Samu-Urgences de France, la faute en revient largement à la fermeture continue des lits d’hospitalisation. « En décembre les passages aux urgences n’ont pas flambé : on enregistre une hausse d’environ 10 %. En revanche, les lits d’aval ont fondu. Du coup, les patients s’entassent aux urgences en attendant qu’il y en ait un qui se libère, où que ce soit. On est aujourd’hui sur un Tetris grandeur nature : le patient au bon endroit, ça n’existe plus. Tout est englué. »

« Tout le monde se protège »
Pour passer le cap d’un hiver marqué par la circulation conjointe du Covid et des traditionnels virus hivernaux (bronchiolite, grippe, gastro-entérite) mais aussi par les mouvements de grève des généralistes, le premier syndicat des urgentistes presse les pouvoirs publics de faire preuve d’autorité : « On veut des mesures nationales fortes jusqu’à l’injonction s’il le faut, martèle le docteur Noizet. Il faut contraindre les médecins de ville à libérer des rendez-vous pour les urgences, et les hospitaliers à prendre en charge des patients même s’ils ne relèvent pas directement de leur spécialité. Cela ne se fera pas spontanément. Aujourd’hui, personne ne veut sortir du travail en silo. Tout le monde se protège. »

L’intervention du chef de l’Etat est pourtant attendue sans illusion. Pour cause, en dépit des interpellations de son ancien syndicat, le ministre de la Santé, François Braun, n’a envoyé aucun signal d’ouverture, préférant au contraire mettre le « No dead challenge » sur le compte de l’« agitation ». « Leur credo, c’est que les agences régionales de santé ont les moyens de faire face et qu’il faut qu’on se débrouille, regrette le président de Samu-Urgences de France. Macron va donc sans doute se contenter de faire de la communication positive. Ce n’est pas inutile. Mais, vu la gravité de la situation, c’est hors sol. »