L’hôpital

Libération - Pour le Comité national d’éthique, la crise de l’hôpital est aussi « morale »

Novembre 2022, par Info santé sécu social

L’instance dirigée par le professeur Jean-François Delfraissy appelle à organiser des états généraux pour refonder le système de santé autour de deux principes éthiques majeurs : la justice sociale et le respect des personnes.

publié le 7 novembre 2022

Crise des urgences hospitalières, maternités embolisées, services pédiatriques en surchauffe, établissements psychiatriques en déshérence, fuite des soignants de l’hôpital public : amplifiés par la pandémie, les dysfonctionnements du système de santé ont aujourd’hui pris un tour systémique, dont les plus modestes sont les premiers à payer le prix. Simple mauvaise passe que la réorganisation fonctionnelle du système de santé, lancée par l’exécutif dans le cadre du conseil national de la refondation, suffira à surmonter ? A lire l’avis publié ce lundi par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), il est permis d’en douter.

Au terme d’une longue analyse des déterminants de la crise, l’instance dirigée par le professeur Jean-François Delfraissy « alerte » sur sa dimension « morale » : à ses yeux, l’altération des principes éthiques, sur lesquels reposent l’engagement des soignants tout comme la confiance de la collectivité dans le système de santé, explique largement la crise de sens « sans précédent » que traverse aujourd’hui l’hôpital. « Les soignants qui font face à un décalage de plus en plus manifeste entre leurs pratiques, perçues comme déshumanisées, et les valeurs éthiques du soin, sont ainsi de plus en plus souvent en situation de “souffrance éthique” » souligne le Comité, qui réclame « l’organisation d’états généraux pour une éthique de la santé publique ».

« La tarification à l’activité a privilégié les actes techniques »

Le malaise vient de la disparition progressive d’un temps peu valorisé par le système de santé, historiquement focalisé sur le traitement curatif des maladies : le temps du soin, de l’écoute des patients. La volonté des pouvoirs publics d’accroître la productivité du secteur pour contenir la hausse des dépenses nationales de santé y est pour beaucoup. A la suite de la mise en place en 2004 de la tarification à l’activité, outil d’allocation des crédits budgétaires, les établissements de santé, tenus d’accroître leur rentabilité, ont commencé à faire la chasse aux temps perçus comme morts. « La tarification à l’activité a privilégié les actes techniques au détriment d’actions essentielles mais consommatrices de temps, telles que l’accompagnement des personnes malades, la communication avec elles, la réflexion interdisciplinaire visant à déterminer de manière éthique le niveau de soin pertinent », souligne le rapport.

Conséquence : « Le temps des soignants croise de moins en moins celui des malades. » Une situation devenue intenable alors que sous l’effet du papy-boom, les patients âgés, polypathologiques, dont l’accompagnement « nécessite du temps et de la disponibilité humaine », affluent à l’hôpital. « Il semble qu’on attend des soignants un dévouement qui va au-delà de leur capacité de résistance physique et morale. Ne parvenant plus à s’identifier ni à se reconnaître dans les missions et les rôles qui leur sont assignés, certains professionnels se demandent si la manière dont ils sont contraints d’exercer leur métier reste compatible avec les valeurs éthiques », souligne le CCNE, pour qui la hausse sensible des taux moyens de turnover et d’absence dans les services, soit respectivement 30 % et 9 % dans les hôpitaux publics, traduit ce bouleversement.

« Souffrance psychique »

Pour sortir du marasme, le comité estime nécessaire de repenser le système de soins suivant deux principes éthiques majeurs : l’accès égal pour tous aux soins et le respect inconditionnel des personnes soignées et de ceux qui les soignent. A ses yeux, telle refondation doit s’opérer sur trois axes. Au nom de la justice sociale, il s’agit d’abord de déployer les politiques de financement de la santé en direction des populations les plus défavorisées mais aussi d’assurer la « préservation du service public de santé », dont l’hôpital public est un pilier. En second lieu, il s’agit de « redonner du sens et de la valeur aux métiers du soin ». Outre l’amélioration nécessaire des conditions de travail des soignants (salaires, carrières, formation etc.), l’instance plaide pour intégrer le « questionnement éthique » aux pratiques professionnelles, de sorte à éviter que des « dilemmes éthiques tus » nourrissent un sentiment de « perte de sens », voire une « souffrance psychique », cause de nombre de désengagements.

Enfin, le CCNE appelle au renforcement des dynamiques participatives au sein des structures de soin, comme au renforcement de la démocratie en santé, condition sine qua non pour que la voix des patients, de leur famille et plus largement des citoyens soit prise en compte. Pour cause, de l’avis du comité, « la participation des citoyens apparaît aujourd’hui nécessaire pour dégager les priorités politiques, s’accorder sur les valeurs, les soins et services de santé que l’on souhaite garantir à toute la population en fixant les moyens qui doivent être alloués pour y parvenir, en combinant efficience et justice sociale ».