Branche maladie de la sécurité sociale

Libération - Qu’est-ce que la « carte vitale biométrique » à laquelle le gouvernement n’est désormais plus opposé ?

Juillet 2022, par Info santé sécu social

La droite demande la mise en place d’une carte vitale biométrique pour lutter contre la fraude sociale. Après avoir refusé une proposition de loi sénatoriale sur le sujet en 2020, la majorité y semble désormais ouverte.

par LIBERATION
publié le 28 juillet 2022

Un vieux loup de mer de la droite qui refait son apparition et pourrait, enfin, aboutir. Ces derniers jours, Les Républicains ont remis sur la table la volonté de créer une carte vitale biométrique, qui permettrait selon eux de lutter contre la fraude sociale, dont le coût est difficilement estimé par l’institution française. Les sénateurs de droite font même de cette mesure une « condition » de leur soutien au « paquet pouvoir d’achat ». Après avoir rejeté une mesure similaire il y a deux ans, le gouvernement serait prêt à réfléchir à la question.

Une « carte vitale biométrique » : de quoi parle-t-on ?

Depuis une dizaine d’années, droite et extrême droite réclament la mise en place de cette carte vitale biométrique. Trois des cinq prétendants à la primaire des Républicains l’avaient d’ailleurs inscrit dans leur programme (Xavier Bertrand, Michel Barnier, Eric Ciotti), tout comme Nicolas Sarkozy en 2012 et Marine Le Pen lors des trois dernières présidentielles. L’idée est simple, comme l’a expliqué à l’Assemblée il y a une dizaine de jours le député LR Thibault Bazin : la carte vitale serait désormais munie « d’une puce » qui « contient des caractéristiques physiques de l’assuré comme ses empreintes digitales » et permettrait de l’identifier avec certitude. La biométrie est déjà mise en place sur les passeports français depuis 2008, et a même fait son apparition sur les nouvelles cartes d’identité.

Quel est l’intérêt de mettre en place cette carte ?
Pour les élus de droite, instaurer une carte vitale biométrique serait un outil pour permettre de réduire la fraude sociale. Grâce à la puce, expliquent-ils, les professionnels de santé pourront vérifier que la carte présentée appartient bien au patient qui la présente. « Il n’y aurait plus de prêt de carte possible, et les cartes volées ne pourraient plus être autorisées », plaide Thibault Bazin. Le député expliquait dans l’hémicycle que « la fraude sociale coûterait entre 14 et 45 milliards d’euros par an » à l’Etat français, et que les près de deux millions de cartes vitales en trop (surnuméraires) en circulation en France n’y sont pas pour rien. Bruno Retailleau, le chef de file des sénateurs LR, parlait pour sa part sur BFM TV cette semaine de « 20 milliards d’économies » réalisées grâce à une telle carte vitale, un calcul qu’il explique ainsi : « Il y a plusieurs rapports parlementaires mais aussi de l’Inspection générale des finances […] qui montrent qu’il y a environ sept millions de cartes vitales en circulation qu’il y a de français (sic). Un français c’est en moyenne une dépense de santé autour de 3 000 euros. Vous multipliez plus de sept millions par 3 000 euros vous êtes déjà à 20 milliards. » Suffisant pour que son groupe au Sénat fasse de la mise en place d’une carte vitale biométrique « une condition » pour voter le projet de loi de finances rectificative, arguant que la somme économisée permettrait de redonner « du pouvoir d’achat […] aux Français qui bossent et se lèvent tôt ».

Combien de fausses cartes y a-t-il en circulation ?
Il est bien difficile de chiffrer l’impact de la fraude sociale en France, et tout autant la part de fraude à la Sécurité sociale dans ce total. Interrogée dans le cadre d’une commission parlementaire en février 2020, Mathilde Lignot-Leloup, l’ancienne directrice de la Sécurité sociale, parlait de 2,6 millions de cartes surnuméraires en circulation, comme le rappelle Le Monde. Mais rapidement, la Sécurité sociale est revenue sur les propos de sa cheffe, parlant finalement, un calcul rectifié plus tard, de seulement 609 000 cartes actives en surplus. La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale estimait pour sa part en 2020, en se basant sur un rapport de la Cour des comptes, que « l’écart peut être estimé à environ 1,8 million entre le nombre cartes vitales actives et le nombre de bénéficiaires potentiels ». Soit le chiffre évoqué par Thibault Bazin. Mais mi-2021, la Caisse nationale de l’assurance-maladie (Cnam) expliquait, toujours au Monde, qu’il ne restait « plus que 34 295 cartes surnuméraires pour les régimes spéciaux ou mutuelles délégataires (SNCF, Mines, Clercs, Assemblée nationale, Sénat) », une baisse obtenue grâce à des « opérations de contrôle menées par les régimes concernés ».

Des dizaines de milliards d’économies, vraiment ?
En pleine crise des gilets jaunes, Charles Prats, un magistrat anciennement en charge de la lutte contre la fraude, fait tous les plateaux TV et radios. A chaque interview, il évoque les quelque 1,8 million de numéros de sécurité sociale obtenus par des personnes nées à l’étranger au moyen de faux documents administratifs. L’enjeu de cette fraude serait, selon son extrapolation, de 14 milliards d’euros. Cette somme correspondant selon lui à la totalité des aides sociales (RSA, allocations familiales, assurance maladie, etc) perçues par les personnes ayant obtenu un numéro de sécurité sociale au moyen d’un faux document. Pourtant, comme l’avait démontré CheckNews à l’époque, ce chiffre de 14 milliards, estimations obtenues suite à un contrôle réalisé en 2011 sur quelque 2 000 dossiers d’immatriculations de personnes nées à l’étranger, était très fortement nuancé par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) qui s’occupe des immatriculations des personnes nées à l’étranger. « Si la fraude à la prestation existe évidemment », la démonstration aboutissant à 14 milliards est « tout à fait extravagante », selon la Cnav. La direction qui gère l’immatriculation des personnes nées à l’étranger évoquait des données « fantaisistes » et de « nombreuses erreurs » dans la démonstration du magistrat. Ce qui n’empêche pas la droite d’utiliser ces chiffres jusqu’à aujourd’hui.

La commission des affaires sociales du Sénat a, elle, estimé à moins de 140 millions d’euros la fraude liée aux assurés nés à l’étranger. Un bilan minimisant la fraude sociale, assurait la sénatrice UDI Nathalie Goulet, qui a obtenu d’être missionnée à son tour, avec la députée LREM Carole Grandjean, pour enquêter sur le sujet. Sans pour autant que le duo aboutisse à un nouveau chiffrage.

Pour mettre un terme au débat des chiffres, la Cour des comptes s’est aussi penchée sur le sujet en 2020. Sans succès. Il est impossible, conclut-elle, de produire « une estimation globale du montant […], les données disponibles ne permettant pas de parvenir à un chiffrage suffisamment fiable ». Elle se contentait de ce chiffre : un milliard d’euros de « préjudices subis et évités », soit la somme des fraudes détectées en 2019 par les organismes sociaux. Un montant qui tient plus d’une fraude au RSA, à l’assurance maladie des professionnels de santé et des établissements de santé et médico-sociaux, au minimum vieillesse et à Pôle Emploi, qu’à de fausses cartes vitales.

Quelle est la position du gouvernement sur le sujet ?

Interrogé par les élus LR à l’Assemblée, le ministre de la Santé François Braun a déclaré que l’idée d’une carte vitale biométrique pour lutter contre la fraude sociale « mérite d’être travaillée » et que le gouvernement « soutiendra une mission parlementaire » sur le sujet. « Nous devons nous assurer que les prestations sont versées à bon droit, que les cotisations et contributions sociales sont recouvrées de manière exhaustive », a-t-il expliqué face aux députés, assurant que l’exécutif n’aurait « aucune complaisance à l’égard de ceux qui fraudent ».

Pourtant, la majorité avait refusé une proposition de loi sénatoriale sur le sujet en 2020, au nom notamment de la « protection de la vie privée et des données personnelles ». Le gouvernement demandait également que l’expérimentation d’une carte vitale dématérialisée, testée dans plusieurs départements depuis le printemps 2019, se termine et qu’un bilan en soit tiré. Cette « e-carte » est disponible sur smartphone mais n’intègre pas de données biométriques. Ce qui n’est pas suffisant pour Les Républicains.