L’hôpital

Libération - Réforme de l’hôpital : SUD claque la porte du Ségur de la santé

Juin 2020, par Info santé sécu social

Par Nathalie Raulin — 3 juin 2020

Opération de com’ ou volonté réelle de l’exécutif de redonner de l’attractivité à l’hôpital ? A l’issue de sa première rencontre en bilatérale avec Nicole Notat, coordinatrice des négociations sur le Ségur de la santé installé le 25 mai en grande pompe par Edouard Philippe, SUD santé sociaux a tranché. Mardi, à l’issue de sa commission exécutive fédérale, le syndicat a décidé de quitter des négociations qui selon lui relèvent de la « parodie ».

A l’origine du clash, la question centrale des salaires. A la différence des quatre autres « piliers » du Ségur – l’investissement dans le système de santé, son organisation territoriale, l’évolution des métiers du soin, la réforme de la gouvernance –, ce point devait faire l’objet non d’une « concertation » mais bien de « négociations », pilotées en direct par Nicole Notat dans le cadre d’un groupe de travail spécial, baptisé « carrières et rémunérations ». Consciente de l’attente, Nicole Notat a lancé sans attendre une première série de rencontres bilatérales avec les syndicats. Reçu vendredi 29 mai avenue de Ségur, siège du ministère de la Santé, SUD en est ressorti désabusé. « Notat nous a dit qu’elle n’était qu’une "animatrice" du Ségur, qu’elle était là simplement pour nous écouter, relate Olivier Youinou de SUD. Elle nous a fait comprendre qu’elle n’avait pas de mandat, et pas la main pour accepter les préalables que nous posions aux négociations. A savoir, une hausse de 300 euros net des salaires pour tous les soignants, un moratoire sur les restructurations hospitalières, et l’embauche des hospitaliers actuellement en CDD. »

L’hôpital peine à recruter et conserver infirmiers, brancardiers, ou manipulateurs radio
C’est que pour les syndicats et collectifs d’hospitaliers, il y a urgence. « L’hôpital est une poudrière, souligne Didier Birig de FO. Les soignants ont perdu 21 % de pouvoir d’achat sur les dix dernières années. A chaque revalorisation du smic, on est contraint d’ajuster les grilles de rémunération pour éviter que les salaires de certains soignants ne tombent en dessous… » De quoi saper l’attractivité des métiers hospitaliers, notamment paramédicaux. Plus préoccupant encore, faute de reconnaissance sonnante et trébuchante, l’hôpital peine désormais à recruter et conserver ses infirmiers, brancardiers, ou manipulateurs radio. L’automne dernier, plus de 500 postes de paramédicaux étaient vacants à l’AP-HP, contraignant les chefs de service hospitaliers à fermer des lits faute de soignants en nombre suffisant pour s’occuper des malades…

Face au « mur qui se rapproche », les protestations se multiplient depuis plus d’un an, entre manifestations des personnels soignants, mouvement de grève nationale des services d’urgences, et démissions de plus de 1 200 chefs de service hospitaliers début janvier. Tous partagent une même conviction : sauver l’hôpital public passe par une revalorisation immédiate de 300 euros des salaires des paramédicaux.

L’épidémie de Covid a semblé mettre fin à la surdité de l’exécutif. Les efforts dantesques fournis par les hospitaliers, parfois au péril de leur vie, pour éviter la submersion, pousse Emmanuel Macron le 25 mars à Mulhouse à promettre « un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières ». Le soutien des Français ne se démentant pas, le 15 mai, lors de sa visite à la Pitié-Salpêtrière, le chef de l’Etat réitère cet engagement, promettant de « mettre fin à la paupérisation » de l’hôpital. Le 25 mai, en installant le Ségur de la santé, Edouard Philippe est toutefois un ton en dessous. Si le Premier ministre confirme son intention d’accorder aux soignants une revalorisation salariale « significative », le chef du gouvernement ne s’avance ni sur un montant, ni sur un calendrier d’entrée en vigueur…

« Les syndicats ne se font pas d’illusion »
Convaincu d’être « baladé » au terme de son premier échange avec Notat, SUD arrête donc les frais. Reçus mardi par l’ex-responsable de la CFDT, la CGT et FO, les deux syndicats les plus représentatifs du personnel soignant, ont eux choisi de « laisser du temps au temps », selon Didier Birig. « On a présenté notre cahier de doléances, précise ce dernier. On attend la deuxième phase des négociations, qui devrait alors lieu dans quinze jours. » Toutefois, l’heure n’est pas au blanc-seing. Mardi soir, lors d’une visioconférence réunissant syndicats et collectifs de soignants, tous ont réaffirmé leur volonté d’unité. « Les syndicats ne se font pas d’illusion sur l’issue du processus, estime Hugo Huon, fondateur du collectif Inter-Urgences. Tout le monde a conscience de la nécessité de faire valoir un rapport de force. »

Envisagé avant l’annonce du lancement du Ségur de la santé par Macron, l’appel à une journée nationale de mobilisation des soignants le 16 juin fait désormais consensus. L’occasion de fédérer la gronde croissante des soignants : les « jeudis de la colère » lancés dès la sortie du confinement à l’hôpital Robert-Debré, ont fait des émules à la Pitié-Salpêtrière, Bobigny, Tours, Besançon, Amiens ou Nice, avant d’être déclinés à l’initiative de la CGT en « mardi de la colère » à l’hôpital de Saint-Denis, Pau, Lyon, Grenoble, Rennes, ou Le Mans. « Durant la crise du Covid, les hospitaliers n’ont compté ni leurs heures ni leur engagement, estime Youinou. Il ne suffit pas de médaille ni même de prime pour leur témoigner de la reconnaissance. Le 16 juin, il nous faut mobiliser tous les hospitaliers, mais aussi les citoyens : ce sera le moment pour les balcons de descendre dans la rue. »

Nathalie Raulin